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Je remonte de la cave pour aller aux nouvelles. Et alors, je te le donne en ce que tu voudras : en cent, en mille, ou en une fois, même, avec dix pour cent d’escompte.

Quelqu’un vient d’entrer. Tu sais qui ? Marika, la femme de mon copain Larry Golhade. J’avais, dans ma hâte d’introduire (et je pèse mes mots) Andréa dans la chambre, laissé la clé sur la porte. Et la faramineuse créature s’est permis d’entrer.

Elle sourit à notre double effarement.

— Larry a été convoqué d’urgence, m’explique-t-elle, alors je suis venue passer un moment agréable avec vous !

La môme Andréa est agonisante de confusion. Elle cherche de quoi se draper, mais dans notre position c’est pas commode car on ne s’est pas donné la peine d’ouvrir le plumard, tu t’en gaffes.

Marika s’approche, le regard allumé comme deux cierges.

— Vous me laissez votre place un moment, cher ami ? me supplie-t-elle. Je suis très éclectique en amour.

Joignant le geste à la requête, elle me pousse.

Déséquilibré (ne le sommes-nous point tous plus ou moins ?) je chois du lit. D’une détente féline, elle y saute. Elle porte un kimono noir avec des dessins jaune et bleu, fluorescents. Une vraie petite diablesse !

Au début, la gentille Andréa tente une opposition farouche, mais Mary-Marika est forte, obstinée et, surtout, terriblement surexcitée.

Alors (que veux-tu que j’y fasse ?) la miss d’Irlande adresse une prière à saint Patrick, comme quoi il doit la pardonner, et se laisse savourer le trésor. Ces choses-là, après tout, appartiennent au genre neutre, hein ? Faut pas être plus loyaliste qu’Eloi.

Pour lors, le spectacle me met le feu aux poudres, le foutre au peu, tout ça… La chaire est faible, comme l’a dit Bossuet le jour où sa tribune s’est effondrée pendant son sermon.

Je m’accroche au wagon. Retroussant le kimono à Marika, je me transforme en photographe de l’ancien temps, tu te rappelles ? Ceux qui flashaient sous un drap noir. J’y vois rien, mais ce que je fais à la jeune mariée, un aveugle pourrait l’entreprendre sans canne blanche.

Nous voilà partis, à trois. Tututtt ! Pacific Express ! Le plumard n’est pas assez long, aussi dois-je rester debout.

On s’exprime à fond dans la figure 54 bis du Kamasoutra, modèles vivants pour inspirer un estampeur japonais.

Ça devient vachement épique. S’il y a des moins de dix-huit ans dans ce book, je leur prie de sortir et d’attendre au foyer, les dames placières se feront un plaisir de leur vendre des esquimaux ou des Toblerone.

Notre formation chenille un brin sous l’effet du plaisir. On a le désir dodelineur, les trois. Devant moi, la ravissante Marika m’écrit tous les multiples de zéro avec son dargif exquis. Je la cramponne à deux fesses pour suivre ses arabesques savantes, pas déjanter en cours de dressage.

Te dire pendant combien de temps on se livre à ces turpides, je pourrais pas, ayant perdu la notion du temps. Mais ma partenaire doit atteindre son terminus car elle s’abat brusquement sur le lit, plouf ! comme déconnectée par l’orgasme. « Eh bien, me dis-je, si elle est parvenue à dame, j’espère que je vais pouvoir me rabattre sur ma compagne antérieure.

Pour cela, je sors de sous le kimono. Ouf ! il y faisait chaud ! Je reste debout, bras ballants, yeux ronds, ne comprenant plus. J’ai eu bien des surprises au cours de ma carrière de flic amoureux, mais de cette taille, faudrait que je relise tous mes autres zouvrages pour récapituler.

Non, je suis certain de n’avoir rien connu de similaire.

Mes deux polissonnes gisent mortes sur le pageot.

Criblées de balles.

Non, mais est-ce que tu as bien entendu ce que je viens d’écrire ?

Réponds !

Tu as lu ce que je viens de dire ?

Elles ont été mitraillées en pleine minouche.

Et moi qui gode encore, my God !

Je distingue la porte ouverte et une légère fumée bleutée qui flotte comme la photo d’un ectoplasme dans la pièce.

J’ai rien vu, rien entendu. On a opéré avec un silencieux, certes, mais à cause du kimono même les petits « tioufff, tioufff » me sont passés inaperçus.

L’instinct de flic ! Je fonce à la lourde. Le couloir est vide. Je bombe en direction de l’ascenseur. Nothing !

L’escalier !

Désert…

Alors, quoi ?

Misérable au-delà de tout, je regagne la chambre.

Par acquit de conscience, je vais examiner mes deux gentilles camarades de cul.

Pas d’erreur, elles sont out. On leur a défouraillé en plein cigare, à moins d’un mètre, tu juges ? Le meurtrier l’a eu belle, tu parles ! En plein boulot comme nous étions ! Y a que l’Andréa qui aurait pu le voir radiner, mais il a dû commencer par elle !

Je vais prendre une petite bouteille de vodka dans le réfrigérateur, bien que j’aie horreur de ces flacons minus. Je la tute d’un trait. En général, elles marchent par deux, les boutanchettes. Oui, voilà sa jumelle : glaoup ! Mais cette double rasade n’a rien arrangé.

Dis, je vais leur raconter quoi, aux flics d’ici ? La vérité ? Qui d’autre la croirait en dehors de toi qui cherches à me faire plaisir ?

Je vais accrocher la pancarte Do not disturb au loquet de la lourde. Puis je tire le verrou. J’aurais dû débuter par ça, au lieu de bouillaver comme dans une grande surface où tout un chacun déferle avec son caddie chargé de fesses !

O Marie-Marie, tu ne méritais pas ce déshonneur !

Qu’ai-je fait, moi que voilà, bandant sans cesse !

Qu’ai-je fait, moi que voilà, de ta jeunesse !

Salaud de Sana !

Une balle dans la tronche pour être fair-play ?

Que non : ce suicide serait considéré comme l’aveu de ma culpabilité.

Il faut que je me tire de ce pétrin !

Mais comment ?

Je vais au bigophone et compose l’international, puis le numéro privé du président. Une voix rêche me répond.

— Passez-moi le président, fais-je, de la part d’Henri Deveau. Vous lui direz que je laisse pousser les asperges !

— Ne quittez pas !

J’essaie de ne pas regarder en direction du lit tragique. Mais l’affreux spectacle me fascine.

Larry est déjà veuf !

LA ROMANCE DE MAITRE PAPELARD

En attendant la survenance de l’Illustre, je dresse un hâtif bilan de mes derniers exploits.

Franchement, ils ne sont guère affichables. Je te prends l’affaire Lesbrouf pour commencer. Je piège son quatrième magasin parisien, tenter de coiffer le sadique qui vient scrafer ses clientes et ses employées et, illico, le meurtrier vient poinçonner une pauvre môme sous nos yeux, pendant que master Béru donnait un récital.

Licencié (pour la galerie), j’accepte l’artiche de dame Lesbrouf, laquelle jure ses grands dieux en jarretelles que c’est son mari le coupable, et je ne m’occupe plus d’elle, ayant confié sa louftingue affaire à mes deux porteurs d’eau.

Troisio, le président, dans son infinie mansuétude, me prend à son service exclusif et me confie une ultra-délicate mission en Irlande. Au lieu de m’y consacrer, j’organise une partouze dans ma chambre et un emmanché téméraire se permet de mitrailler ces dames ! Dont une à laquelle je m’employais à déguster le trésor !

Conclusion : dans beaucoup moins de pas longtemps, les archers de l’Irish République, bien qu’étant des gens de bonne compagnie, vont m’enchrister vite fait, et alors mes arguments pour m’arracher seront tellement vaseux qu’on pourra les transvaser dans une bouteille.

— J’écoute ! dit la chère voix, métallique et nonobstant passionnée.

Mon mutisme fouette son impatience. Faut convenir aussi que ses moments coûtent un maxi, au prix qu’on paye les présidents de nos jours.

— Une catastrophe, monsieur le président, plongé-je.

— Encore ! s’exclame-t-il.

Je lui résume. Il m’interrompt.

— Attendez, attendez, je voudrais comprendre votre formation sur ce lit…

— Eh bien, il y avait, la tête sur l’oreiller, la petite Irlandaise…

— Oui, je vois…

— Ensuite, attelée dans ses brancards, Mme Larry Golhade…

— Mais, et vous ?

— Je fermais la marche, si j’ose dire, debout au pied du lit.

— Debout ?

— Enfin, accroupi, si vous préférez, monsieur le président.

— Ah ! bien, comme cela je conçois. Ça devait être assez plaisant, non ?

— Extrêmement, monsieur le président. Comme Mme Golhade se trouvait agenouillée, j’avais les pans de son kimono pardessus la tête, comprenez-vous ?

— Un président de la République française comprend parfaitement ce genre de détail.

— Ce qui explique que je n’ai vu ni entendu entrer le tueur.

— Evidemment. Cela dit, ces personnes auront eu une belle mort, somme toute. On a fait cela pour vous embêter, mon cher ?

Je reste « son cher » ; voilà une précieuse consolation dans mon malheur.

— Je l’ignore, monsieur le président.

— Bien ! il serait intéressant que vous le sachiez.

— Pour quelle raison me téléphonez-vous ?

— Mais, pour vous prévenir qu’étant donné les circonstances, je ne suis plus apte à accomplir la mission dont vous m’avez chargé, monsieur le président.

Il a sa petite toux irritée, comme quand la mère Thatcher lui casse les couilles avec le Marché commun.

— Une mission confiée par moi ne saurait être annulée, ni même remise à plus tard. Si vous êtes dans la mouscaille, mon petit ami, sortez-en. Et ne me rappelez que pour m’annoncer des nouvelles positives !

Il raccroche.

Comme je n’ai rien à fiche d’un combiné téléphonique relié à rien, j’en fais autant.

« Eh bien, me dis-je, une fois de plus te voilà face à face avec toi-même, mon vieux Sana… »

Ce qu’il me faut, c’est faire le blanc dans ma grosse tronche… Pas le vide : le blanc ! Jusqu’à ce qu’un calme himalayesque me rende disponible et clairvoyant.

J’allonge mes pinceaux sur une chaise, croise les mains sur mon ventre et ferme les yeux. De combien de temps disposé-je ? Cela dépend de la rentrée de Larry.

Il a eu une conférence. Je connais l’arsouille, après sa réunion, il n’aura rien de plus pressant en tête que de trouver un pub ouvert et d’y aller avec un autre boit-sans-soif de son envergure. Seulement, les pubs ferment tous avant minuit à Dublin. Et il est minuit. Conclusion, Larry va se pointer avec un ou deux traîne-lattes et faire la razzia de son frigo. A moins qu’il ait à cœur de ne pas importuner sa jeune épouse. Auquel cas il ira chez quelqu’un. Mais chez qui ? Tu donnes ta langue, chérie ?

Chiche ! Oui, mon bijou : chez l’Antonio. Sans vergogne, il va tambouriner à ma lourde.

« J’étais certain que tu crevais de soif, me dira-t-il.

Tiens, je te présente John Fileghann du Morning Post. »

Et ensuite ?

Il s’avance dans la chambre, jette un œil sur mon plumard…

O.K. : je ne lui ouvrirai pas. Seulement il ira alors dans sa piaule à lui ; n’y trouvant pas sa bobonne, il fera tout un bouzin…

Je me lève pour gagner le lit. Je glisse la main sur Marika. Direction ses poches de kimono. Dans celle de droite, je trouve ce que je cherchais : la clé de sa chambre. La plaque de bronze fixée à l’anneau porte le numéro 608. Je tique en réalisant qu’ayant personnellement la chambre 606, leur carrée se trouve à deux lourdes de la mienne. Je sors en catiminette. Tout est calme, silencieux. Quatre secondes s’écoulent et me voici chez les Golhade. Leur appartement est la réplique du mien, sauf que les gravures représentant des fleurs latines ne sont pas les mêmes que chez moi. Ça sent le parfum. Tout est bien rangé, à l’exception d’un adorable petit slip de dentelle blanche jeté sur un siège.

Au boulot, Albert !

Et quel !

Que ne suis-je déménageur de pianos !

Je biche le matelas d’un des lits (ici ils sont jumeaux), je le roule ainsi que le couvre-lit, le saisis à bras-le-corps et l’emporte.

Le reste, tu m’as compris ? Je déteste donner dans le macabre. Le cul, ça oui, tant que tu en veux, et davantage encore, mais le funèbre, non merci. Ce qu’il me faut nonobstant te préciser, c’est qu’en un temps record, j’ai coltiné les deux cadavres et ma literie ensanglantée chez Larry. Le tout dans le plus parfait silence.

Combien fais-je d’aller et retour ? En chaussettes, les muscles tendus, les nerfs en pelote ? I don’t know. J’agis en état second. Je refuse les objections qu’en bon flic je ne puis différer et qui sont que, fatalement, les mortes auront laissé des traces dans ma chambre ; et puis que l’on m’a vu dîner et grimper en compagnie d’Andréa, et encore que la couleur du couvre-lit de chez les Golhade est bleue, alors que le mien est saumon. En m’escrimant de la sorte, je ne fais que différer l’inévitable. Le différer de très peu : quelques heures tout au plus.

Qu’importe ? Ce bref délai est bon à prendre.

Lorsque j’en ai terminé avec mon chambardement, j’inspecte ma turne. Tout serait O.K. s’il n’y demeurait le manteau et la robe d’Andréa. Ces fringues déposées sur un fauteuil me nouent la boyasse et je me retiens pour ne pas vomir… Un dernier voyage au 608 et me voilà provisoirement paré.

Alors là, oui : Do not disturb, mes frères !

Ce pauvre Larry !

Sa gueule quand il va rejoindre sa dulcinée !