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Il sourcille.

— Ne dites pas de mal des Français, jeune homme : ils font du vrai vin, eux ! Leurs femmes ont de vraies chattes ! Et chez eux la merde suit les repas, mais ne les remplace pas. Cela dit, oui, en effet, cette sacrée putain de Valentine est l’unique ennemie que j’aurais eue en ce bas monde.

— C’est si grave ? béé-je.

— Monsieur le Belge, me dit-il, prenez l’annuaire téléphonique de Dublin et cherchez à la lettre « O ». Vous tomberez fatalement sur les O’Brien car il y en a plusieurs pages. Prenez tous les O’Brien rassemblés là et réclamez leur casier judiciaire. Vous n’en trouverez pas un seul qui eût encouru une quelconque condamnation ; pas un. Et savez-vous pourquoi ? Parce qu’un O’Brien est plus honnête que notre Seigneur Jésus-Christ ; enfin, je ne veux pas blasphémer : disons autant.

— Et alors, monsieur O’Brien ?

— Alors ?

Il regarde sa montre.

— Alors il est temps que j’aille prendre mon poste ; mais si le cœur vous dit de m’offrir une seconde bière après le spectacle, je me ferai un plaisir de vous parler de cette charogne de Valentine. Je vous dirai tout, et j’en rajouterai s’il le faut !

— Entendu donc, rendez-vous ici tout de suite après les saloperies que l’évêque Cauchon a fait endurer à la Pucelle.

Je me tais pour le voir vider son récipient. Une descente phénoménale. Travail impec de la glotte, respiration différée par branchies : un beau boulot irlandais. Il devrait se produire sur scène au lieu de déchirer dans le hall de malheureux tickets qui ne lui ont rien fait.

Je ronge mon frein en assistant au spectacle par ailleurs excellent. Pas du tout la pièce saint-sulpicienne que je redoutais. Il s’agit là d’un show vachement moderne. Tout le monde chante : Joan, thé Dauphin, saint Michael, sainte Catherine, et le bishop Cauchon danse la gigue du culte avec les moines du procès. A la fin Joan s’engloutit dans la fumée du brasier et descend dans les profondeurs pour réapparaître, un peu plus tard, revêtue d’une armure de lumière : poum ! elle est sainte ! Hip, hip, hip, hurrah ! The end !

J’ai adoré. Et puis Charles VII qui remercie Jehanne en anglais, ça paie ! D’autant qu’il a une frime ultra-britiche, le monarque !

Malgré la haute qualité du chauve, pardon, du show, je n’ai pu m’arracher à mes préoccupations. Ma cervelle est une planète perdue agressée par les météorites vachardes. Ça pilonne dur !

J’ai essayé d’atteindre Béru et Pinuche, à propos de l’histoire Lesbrouf : en vingt !

Plus de nouvelles non plus de mon pote Larry. Quand je me suis enquis de sa pomme à la réception, on m’a répondu qu’il avait dû quitter l’hôtel. Gentil, il m’avait laissé un petit mot.

Dear Bite-en-Bronze,

Ça ne va pas fort pour Mary. J’affrète un avion-ambulancier pour l’emmener à London. So long !

Larry

Ne me restait plus, pour m’occuper l’esprit, qu’à exécuter la mission justifiant ma venue à Dublin.

Dont acte !

Et alors, Larry m’a chambré de bout en bout. C’est pour me voir qu’il est descendu prendre le breakfast, ce matin. Me tâter, me sonder. J’ai dû bien jouer ma partition. Rassuré, il a mis les bouts. Je ne suis pas riche, mais je donnerais la moitié des revenus de la famille Kennedy pour savoir ce qu’il fabriquait en Irlande. Son mariage éclair avec la sublime ravissante m’a l’air bidon. Cette gonzesse avait un goût étrange venu d’ailleurs (je peux t’en parler !). Va falloir que je branche certaines gens sur mon pote, et pourtant je n’aime pas trahir les copains sinon par l’intermédiaire d’un plumard.

Je visionne ma tocante. Déjà une demi-plombe que Joan of Arc a été incinérée et le petit père O’Brien n’est toujours pas là. Il m’aura oublié, ce vieux crabe ? Je lui accorde un nouveau délai de dix minutes et puis je les mettrai. Ouais, la pièce était excellente, Jeanne d’Arc ressemblait un peu à une shampooineuse, mais sa voix rappelait celle de Barbra Streisand. Et puis y avait plein d’inventions cocasses dans le show.

Ah ! Voici mon contrôleur. En civil, il est très différent. Il porte un costar beige, avec plein de poches, y compris aux genoux et aux manches. Ses fringues sont fripées, luisantes d’usure. Il a coiffé une casquette large comme un pébroque d’escouade. Là-dessous, il ressemble à ces êtres bizarroïdes qui, jadis, hantaient les champs de courses britanniques ; le genre employé de bookmaker, tu mords le topo ?

— Navré, me dit-il, mais c’est moi qui ferme la boîte, et d’ici que tout le monde ait évacué les coulisses…

Il va au bar se chercher une nouvelle bibine, plus foncée que celle de naguère et qu’on lui sert dans un vase de fleurs pour glaïeuls.

Il apporte son abreuvoir jusqu’à ma table, se laisse choir sur la banquette.

— Belle pièce, non ? me dit-il.

— Excellente.

— Malheureusement, elle passe au-dessus de la tête des gens. De nos jours, tout ce qu’ils sont capables de faire, c’est de regarder Dallas ou Dynastie à la télévision. On les prend pour des cons, et on a bien raison parce que ce sont des cons. Je vous choque ?

— Vous apportez de l’eau à mon moulin, au contraire.

— On vous passe aussi ces turpitudes, en Belgique, évidemment ?

— Et comment ! Mais je ne voudrais pas vous faire coucher trop tard, monsieur O’Brien, si vous me parliez de Valentine Gleenon ?

— Ah ! celle-là !

Un gorgeon de sa crème de goudron. Il essuie ses baffies et attaque. Mais je vais te résumer, pas te faire tarter la bite dans des détails qui, pour être pittoresques n’en sont pas moins fastidieux. Les vioques, comme pépé O’Brien, ne savent plus jacter clair et net. Ils fignolent, se lancent dans des fioritures. Il m’explique que Valentine Gleenon était une actrice anglaise qui, n’ayant pas réussi à London, était venue tenter sa chance à Dublin. Là, coup de bol : elle avait décroché un beau rôle dans un beau show et, très rapidement, s’y était fait un nom. Faut dire qu’elle avait toujours le cul à dispose, quand il le fallait, et il le fallait souvent. Au début de la guerre, elle passait en vedette à l’Olympia.

Ses admirateurs ne se comptaient pas. Elle avait toujours un mec plein aux as dans son sillage. Elle menait la grande vie et écrémait les comptes bancaires de ces beaux messieurs, dans le style Marguerite Gauthier.

Elle, c’était la dame à la rose, car elle avait toujours une rose en bouton accrochée après son corsage ou son sac à main.

Un jour, son riche protecteur du moment était venu la chercher à la fin du spectacle. En homme bien élevé, il avait prié O’Brien de l’annoncer à sa belle. Le gnome s’était pointé et, avant de toquer, avait perçu, provenant de la loge, des gémissements d’un grand intérêt. Grâce au trou de serrure, il avait eu un flash impec sur les miches à Valentine, laquelle se faisait calcer par un de ses collègues de la troupe.

Comme elle traitait toujours O’Brien plus bas que terre (alors qu’il est un tout petit peu au-dessus), ce petit sournois, trouvant là une occasion de se venger, avait couru dire au « riche protecteur » que son égérie l’attendait. Voilà l’autre pomme qui fonce bille en tête dans la loge et qui trouve Ninette en plein coït ! The douche ! The scandale !

La Gleenon se renseigne. Elle apprend d’où vient ce coup de Jarnac. Bouge pas, petit père ! La vengeance est un plat qui…, etc.

Quelque temps plus tard, elle rameute le théâtre, comme quoi sa minaudière en jonc massif lui a été volée. La police est prévenue. Enquête sur place.