Avisant une voiture décorée de fleurs blanches dont la portière arrière est mal fermée, je m’y coule tu sais comment ? Subrepticement !
Tapi au fond du carrosse, j’attends que ça se tasse.
Une rose blanche est tombée sur le plancher de la vénérable Daimler. Je la respire pour tromper mon poireautage. Putain, être laguche, comme un homme traqué, bientôt poursuivi par les polices irlandaises, avec tout le boulot qui m’échoit ! L’affaire Lesbrouf, les documents de la mère Gleenon à récupérer et, plus urgent que tout, la sécurité de Reagan à renforcer.
Chaque seconde qui s’écoule accroît le danger qui menace le Président américain. Car maintenant, mon instinct est formel : c’est de lui qu’il s’agit. Un complot !
On va profiter de son voyage en Irlande pour le buter.
Tout est en place. Les terroristes chargés de l’effacer avaient dû s’assurer la participation de Larry, à travers sa bonne femme. Attends, je crois que je brûle. Larry était dans ce coup-là. Je me rappelle maintenant ses idées avancées qui m’étonnaient de la part d’un Amerloque.
Oui, oui, bouge pas, l’artiste, je sens que ça vient…
Larry et Marika trempaient dans le complot. Seulement s’est pointé un zigue qui est entré dans leur intimité à l’hôtel de Dublin. Les Golhade sont surveillés. On s’inquiète de ma présence. Rapidement mon identité est percée à jour : San-Antonio, l’as de la police française (si je ne le dis pas qui va le proclamer ?). Les chefs du complot croient à de l’arnaque de la part des Golhade et c’est l’hécatombe !
Remarque, je m’imagine ça, mais peut-être me gouré-je ? Je fonctionne au pif, moi, et il arrive qu’on ait le nez bouché.
En tout cas, l’enfant se présente mal.
Et il se peut que, dès demain, la planète Terre change de physionomie.
EN VOITURE, TOUT LE MONDE !
Une effervescence trouble la quiétude du parking.
Des voitures de police radinent. J’entends discutailler.
Je perçois des éclats de flashes. Le « greling-greling » d’une ambulance. Bref, l’agitation qui dans tous les pays succède à la découverte d’un mort dans une voiture piégée. Pas le moment de ramener mon physique de théâtre !
Les choses vont ainsi pendant près d’une heure et je commence à choper une caravane de fourmis dans les membres inférieurs. Mes pensées se font de plus en plus cafardeuses et finissent par ressembler à un enterrement qui serait triste (le défunt ne laissant aucun bien).
Enfin, une accalmie succède au brouhaha. Est-il opportun de dégager la piste ? Mais pour faire quoi ? Ma seconde bagnole n’a pas été retapissée. Par sécurité, je l’ai laissée en dehors de l’hôtel, près du poste de police de Malahide. Il est risqué de parcourir cette distance à pincebroc, au milieu de l’activité policière déclenchée par le décès du garagiste. Je vais me faire repérer facile.
Et alors…
Comme bien souvent dans les cas désespérés, le sort décide en mes lieu et place. Une nouvelle rafale de cris déferle, mais joyeux ceux-là. Je pige vite qu’un nouveau couple de jeunes mariés part à son tour à la conquête du destin. Ils se pointent jusqu’à mon refuge. Embrassades, claques dans le dos, conseils égrillards…
Les portières avant s’ouvrent. Le plafonnier s’éclaire.
Je reste incrusté sur le plancher, priant ardemment le ciel de n’être pas découvert. Mais il s’agit d’une vénérable bagnole, je te l’ai déjà dit à la page j’sais-plus-combien, dont les dossiers sont très hauts. La horde d’invités en liesse est trop occupée à chambrer les jeunes zépoux pour renoucher l’arrière de l’auto. Le marié a hâte d’en finir pour aller tremper le biscuit (en anglais : steep the biscuit). Il démarre lentement, fendant la foule des aminches à coups de klaxon. Qu’à peine il se met à rouler, y a un putain de charivari qui se déclenche. Les convives, selon une fine tradition du cru, ont attaché une flopée de boîtes de conserve vides au pare-chocs arrière. Si bien que la Daimler vénérable fait un tintamarre du diable. Elle prend de la vitesse. Je la sens tourner pour quitter le parking. Bon, on oblique à gauche, direction Dublin.
La petite épouse soupire :
— Oh ! chéri, enfin seuls.
Il y a un froissement d’étoffe.
— Ne me touche pas la bite quand je conduis, Gwendolen ! proteste son julot.
Pauvre môme, v’là qu’elle se paie un connard ; le genre sérieux : chaque chose en son temps ; mélangeons pas père de famille et paire de couilles. A la voix, j’ai décelé un veau mal cuit. Sous-chef de quèque chose, puis chef. La filière ! Il va lui planter une demi-douzaine de mouflingues dans la foulée, ce peigne-cul ! Ils iront tous à la messe le dimanche. Le soir, il bricolera son zinzin électronique japonouille. Le compucteur, c’est le futur déjà parmi nous ! Ils boufferont d’infects sandwiches, en guise de repas, chacun son tour, au gré de la faim. Avenir, couleur mur de chiottes pour la pauvrette.
Elle va larguer ses chailles rapidos, because la malnutrition. Les Irlandoches, tu peux pas croire combien leur damier se clairsème vite. Ça commence par les ratiches du fond. La molaire, ça paraît costaud, à la voir, carrée et plate, mais c’est ce qui s’effeuille en premier. Les gus d’ici, à cause de tous les tabourets qui leur manquent dans l’arrière-boutique, ils rient pas jaune, mais noir.
Bon, Poupette cesse de taquiner la zifollette à son bonhomme. Elle remet les agaceries à plus tard. La résignation vient vite dans ces ménages-là.
On roule en traînant les boîtes. Les lumières sont moins vives, moins nombreuses. Nous voilà sur la route.
Au bout d’un temps, le Casanova se range sur le côté gauche de la route.
— Excuse-moi, Gwendolen, c’est la bière, j’ai pas eu le temps, à l’hôtel, les lavatories étaient pris d’assaut.
Tu parles d’une délicatesse, ce petit frometon de mes fesses !
Il descend pour aller licebroquer. Pour moi, ça commence à bien faire. Si j’attends une plombe de mieux dans cette posture, faudra me découper au chalumeau pour me sortir de la guinde. Je me relève en souplesse.
La nouvelle épousée sursaute.
— N’ayez pas peur, ma jolie petite mariée, lui fais-je, je ne vous veux pas de mal. Surtout restez tranquille.
Là-dessus, je sors de la bagnole. Le Don Juan licebroque contre une haie, à deux pas devant moi. Il me prend pour sa souris et murmure, en lâchant un vent du soir :
— Toi aussi, darling ?
J’arpente le mètre quatre-vingts qui nous sépare, le biche au colback et lui allonge un crochet très sec au bouc. J’ai jamais vu un gars résister à cette tisane de cartilages. Il s’écroule, groggy, continuant de se compisser. J’ouvre l’immense coffiot de la Daimler et l’y flanque comme un… comme un tout ce que tu voudras, excepté un « paquet de linge sale » car j’ai horreur des clichés éculés.
Sans me presser, je vais prendre sa place au volant.
La mariée, terrorisée, est blottie dans son coin, grelot-tante de frousse. Une jolie petite gosse, avec des yeux noisette, des taches de son, of course, une bouche adorable, des cheveux presque blonds maintenus par un diadème à la con, presque aussi tarte que ceux de la mère Deux d’Angleterre.
— Surtout, je lui dis, n’ayez aucune crainte, tout va bien se passer. Cet incident marquera votre nuit de noces, ma jolie, sinon vous n’en auriez pas conservé un souvenir impérissable si j’en juge au peu que j’ai vu et entendu de votre bonhomme.
Et, poum ! je décarre.
Un moment de silence. Je fredonne. On continue de faire un boucan de chiasse avec cette ferraillerie attachée au cul. Tant mieux. De la sorte je suis certain de ne pas être stoppé par les poulets. Arrête-t-on un couple de jeune mariés qui se déplace dans une voiture fleurie en traînant quinze boîtes de conserve ?