Inoubliable. Je crois entendre la Marche de Mendelssohn. Ça stimule ! Vive la mariée ! Un coup de reins stupéfiant. Mes mains s’égarent dans les froufrous !
On entend le cocu qui glapit dans son coffiot. Il crie Help me. Ben, qu’est-ce que je suis en train de faire ?
C’est pas lui porter secours que d’assumer avec un tel brio sa nuit de noces ?
Je suis un grand cynique.
Qui nique.
Il y a des promesses d’aube lorsque nous atteignons Galway.
On longe une anse, et puis un écriteau annonce la capitale du Connemara. Et on découvre des maisons de granit. Le vent souffle fort.
Au même instant, si tout a bien fonctionné, le sire Bérurier doit atterrir à Dublin. Coup fourré. Que va-t-il maquiller, le père-Gradu en ne me voyant pas ? M’attendre ? Mais pendant combien de temps ? Et après ?
Voilà qui s’appelle chasser plusieurs lièvres à la fois.
Je préfère chasser le naturel, lui au moins il revient au galop.
Ma chère Gwendolen a sa tête sur mon épaule et continue de me flatter le bitougneur d’extase, comme s’il s’agissait d’un manteau de zobeline qu’on viendrait de lui offrir.
Elle parvient pas à s’en rassasier. Sa mano doucettement va et vient, monte et descend ; enchanteresse.
Nostalgique aussi, car elle sait que bientôt elle va devoir dire bye-bye à cet instrument incomparable.
— Et maintenant ? elle demande.
Pile la question que je me plaquais sur les méninges.
Dans ces cas d’embarras profond, je branche le pilote automatique, tu le sais. M’en remets pleinement à mon instinct. A lui de prendre le relais, de décider et d’agir.
Pour commencer, j’arrête ma tire sur le parking d’un hôtel qui se nomme the Blackside Hole Inn. Belle enseigne de fer balancée par la houle. Du colombage.
Des fenêtres à petits carreaux… Second point, je fais l’inventaire de mes poches, trouve ce que j’y cherche, à savoir une minuscule seringue extra-plate, et vais ouvrir le coffre. Le jeune marié chiffonné, congestionné, écumant se dresse. Vraie tête à claques. Alors, j’en prends une destinée à calmer ses belliqueuseries, v’lan !
Avant qu’il ait réagi je plante l’aiguille de ma petite seringuette dans le gras de son épaule. Poum ! Ça va lui faire douze heures de dorme. La paix des ménages ! Tu ne peux pas te figurer le nombre de gerces qui filent un somnifère dans le tilleul-menthe du soir de leur bonhomme pour pouvoir s’offrir des moments de détente.
Après quoi, j’extrais les valdingues et referme le couvercle de la malle.
Ainsi lesté, je m’en vas carillonner à la porte de l’auberge, jusqu’à temps qu’un vieux michon pointe sa frime ahurie par l’entrebâillage. Il marche au whisky, le dabe, car son pif ressemble à une lampe de chevet.
— Hello ! qu’il gargouille.
— Hello ! j’y rétroque.
Après quoi il consent à louer une piaule à deux jeunes mariés fourbus. Il précise qu’on a un bobol grand comme un bénitier parce qu’avec la visite du Président il ne reste plus lulure de turnes disponibles à Galway.
Il pousse l’amabilité jusqu’à coltiner les valoches. Moi je porte ma jeune épouse dans mes bras pour lui faire passer le seuil, ainsi que le veut la tradition. Touchant !
On se croirait dans un film en noir et blanc américain, style Les verts paturons.
La chambre est vaste, incommode et laide à faire chialer des émigrés portugais. Elle comprend quatre lits, dont un pour deux personnes, plus un énorme lavabo et deux armoires dans lesquelles pourraient se planquer tous les amants d’une dame que je connais.
Le vieux a sa limace pardessus son bénoche en tire-bouchon (un poivrot pareil ne peut avoir un futal qui ne le soit !). Ses pieds sont bleus avec d’énormes veines violettes. Il traîne d’énormes pantoufles grandes comme des remorqueurs et sa poitrine siffle quand il jacte.
Notre arrivée l’attendrit.
— Besoin de quelque chose, les amoureux ?
— Deux cafés et le téléphone. Je dois appeler Paris d’urgence pour prévenir mon oncle François que nous sommes arrivés à bon port.
— Va falloir que vous redescendiez, y a pas d’appareils dans les chambres.
— O.K.
Je roule une pelle à Gwendolen.
— Mets-toi à ton aise, mon amour, je reviens t’aimer dans un instant.
Elle ne sait plus où elle en est, mais elle y est bien. La plus belle nuit de noces de sa vie, je te répète.
Dommage qu’elle ne puisse pas la raconter.
— Laissez pousser les asperges ! dis-je.
— Vous appelez à des heures impossibles, proteste le secrétaire de permanence.
— Parce que les circonstances m’y contraignent. C’est plus qu’urgent.
Plusieurs minutes s’écoulent avant que je sois en liaison avec l’Illustre. Il cache son sommeil derrière un ton rogue. C’est froid, cassant.
— J’écoute.
— Quelque chose d’énorme, monsieur le président, sans rapport avec ma mission…
— Alors, ça ne m’intéresse pas !
Textuel ! Eh ! dis, il va pas me raccrocher à bout portant, le Grandissime !
— Il s’agit, je pense, d’un complot contre le Président Reagan. Imminent.
Là, ça paie.
— Ah ! non, pas de ça ! Dans quelques jours j’ai besoin de lui pour fêter les quarante ans du débarquement ! Il y aura Moi, la reine, Moi, le roi des Belges, Moi, le grand-duc, Moi, d’autres et Moi ! Reagan, vous devinez ce que j’en pense, hein ? Pas besoin de vous faire un dessin, mon petit vieux. Mais s’il se fait descendre avant cette haute manifestation organisée par Moi et à laquelle je participe, il me la carbonise, ce vieux con émaillé ! Il me le faut absolument. D’autant que les Américains, qu’on le veuille ou pas, ont dans une certaine mesure participé à ce débarquement à nos côtés, n’est-ce pas ? D’accord, il y aura le grand-duc de Luxembourg, mais l’absence des States créerait un malaise et l’opposition m’emmerderait encore. Empêchez qu’on le tue, San-Antonio.
— Je ne puis rien sans vous, monsieur le président. C’est vous qui allez intervenir. Les Etats-Unis vous en sauront gré.
Il s’anime brusquement :
— Bravo ! Et je leur demanderai quelques millions de dollars à titre de prêt.
Dès lors, il m’écoute, le Monarque. Prend des notes malgré sa mémoire infaillible qui lui permet d’oublier tant de choses avec discernement.
Mon Sana automatique, à savoir mon subconscient, dresse un plan précis. Je m’écoute avec intérêt, l’Illustre aussi.
— Vous êtes tout de même un drôle de type, me félicite-t-il. Un soir où il n’y aura personne, vous viendrez dîner à l’Elysée.
Satisfait, je monte retrouver « ma petite femme ».
PARTI PRIS SANS LAISSER D’ADRESSE
Le chef de la sécurité du Président et le chef de la police de Galway sont tous deux irlandais. Ils se ressemblent comme deux cousins issus de germains (quand y sue pas des pieds, ajouterait Béru). Le premier s’appelle O’Casion et le second O’Conar. Ils arborent l’un et l’autre ce roux léger incomparable et cette couperose congénitale qui font le charme de ces insulaires, même lorsqu’ils se sont expatriés depuis plusieurs générations.
Le chef des services de sécu, par contre, est moins aimable que le chef de la police galwayenne. Les Etats-Unis ont gommé la jovialité ancestrale pour en faire un homme froid, obstiné, suspicieux, qui tourne sept fois sa langue dans sa bouche avant de faire minette. Son compère, par contre, est souriant, un peu gauche, avec une volonté affirmée de faire plaisir à tout le monde, y compris à son épouse pour peu qu’elle ne soit pas exigeante.