Выбрать главу

Nous sommes réunis dans la salle à manger de mon auberge, devant des cafés fumants et des toasts un peu brûlés, mais avec une couche de beurre et une autre de marmelade, il n’y paraîtra plus.

L’intervention de l’Elysée a extrait ces deux messieurs de leur plumard bien avant l’heure prévue par leur réveille-matin et ils ont négligé de se raser.

Attentifs, ils m’écoutent en me scrutant jusqu’au fond du slip. Et moi, en homme connaissant admirablement l’art de la concision (à défaut de celui plus délicat encore de la circoncision), je leur narre par le menu (en irlandais : the menu) mes mésaventures avec Larry et sa bonne dame, sans rien omettre, sinon, et cela va de soi, l’objet de mon séjour à Malahide. Je leur décris la partouzette, le double meurtre, mon transfert des cadavres d’une chambre à l’autre, la réaction de Golhade, le funeste rendez-vous aux bains-douches désaffectés, la tentative d’écrabouillage par le camion, le couple à l’Audi jaune, ma voiture piégée, les délicatesses de la dame chez le brocanteur de Dublin, la pose du mini bip-bip sous mon testicule préféré, la mort du garagiste et, pour achever, ma stupeur en découvrant le couple mystérieux à la table du Président, hier soir.

Quand j’ai achevé mon récit, mes deux terlocuteurs restent muets.

Bon, alors j’en profite pour écluser mon caoua. Là-haut, Gwendolen en écrase aussi fort que son vieux dans le coffre. Faudra que je lui rende la liberté, à cézigue. Je l’installerai dans « notre » chambre et il attaquera sa vie de jeune époux d’un pied nouveau, le plus important ayant été réalisé, à savoir que, pour sa nuit de noces, sa bobonne est grimpée cinq fois au fade ; ce qui constitue une performance non pas royale, mais honnête.

— Vous êtes très porté sur « la chose », note O’Casion d’une voix peu amère.

Il paraît jalmince de mes prouesses, le Ricain. Il continue :

— On tue les filles avec lesquelles vous partouzez et c’est au cours d’une fellation qu’on vous pose un détecteur ; si le président de la République française en personne ne se portait garant de vous, je me poserais des questions.

— Vous vous en posez tout de même, fais-je. Mais que voulez-vous, j’appartiens à une race qui ne se départ jamais de son sexe, même dans les cas critiques.

O’Conar, l’Irlandais d’Irlande, se marre du ventre. A mon tour de jacter.

— Ce couple à l’Audi jaune, vous avez une idée de qui il s’agit, mister O’Casion ?

— Ouais, répond-il en anglais.

La plus élémentaire courtoisie voudrait qu’il m’informe, mais ce rouquin de mes fesses ne moufte pas.

— J’aimerais vous poser une question, ajoute-t-il pourtant.

— Allez-y ?

— Qu’est-ce qui vous donne à penser que la vie du Président est menacée ? Votre rocambolesque aventure n’indique rien qui concerne le Président.

— Les gens à l’Audi jaune trempent dans ce fourbi, mister O’Casion, et ils approchent le Président ; je crois qu’il en faut moins, lorsqu’on occupe vos fonctions, pour se trouver sur le pied de guerre, non ?

Il masse sa forte nuque craquelée comme une vieille assiette.

Sa barbe, d’un blond roussâtre, paraît avoir poussé depuis son arrivée. Il porte à son revers un badge d’un genre particulier. Sur fond de bannière étoilée (et non étiolée), deux lettres et deux chiffres sont imprimés et accompagnés d’une signature. Le tout est recouvert de plexiglas. Le badge est vissé au vêtement par le trou de la boutonnière.

Je pige que c’est là le laissez-passer permanent des gens qui, de jour et de nuit, ont leurs entrées dans les appartements présidentiels.

O’Casion a des lèvres minces. Elles paraissent se rétrécir encore sous l’effet du mécontentement.

— J’assume la sécurité du boss, murmure-t-il, et je sais ce que j’ai à faire, vous voyez ce que je veux dire ?

Tu parles ! Il veut dire qu’il n’attend ni objections ni conseils d’un pauvre trouduc de flic français plus soucieux de cul que de politique internationale.

Je lui adresse un geste éloquent qui rend grâce à sa souveraine autorité.

— Naturellement, complété-je. Chacun accomplit son devoir de son mieux. J’estime avoir fait le mien en vous prévenant.

Ben voilà, on n’a plus rien à se dire. Le père Lenturlu, l’homme au pif clignotant, s’amène avec un plateau chargé d’œufs frits au bacon. Ça grésille et odore à la ronde.

Il sucre vilain, le dabe, n’ayant pas trouvé encore sa stabilité diurne. D’ici quatre ou cinq whiskies, elle va se rétablir. Je me dresse pour l’aider à déposer le plateau.

Je m’y prends comme un branque et tout le chargement bascule sur l’épaule du chef de la sécurité. L’huile bouillante dégouline sur sa manche.

Tu l’entendrais jurer, tu réclamerais son excommunication en cour de Rome aussi séance tenante !

Je me précipite.

— Excusez, chef ! Je crains que votre veston ne soit gâté. Posez-le vite avant que ça ne traverse.

— C’est déjà fait !

Il quitte sa veste, la manche de la limouille est graisseuse. Il retrousse sa manche et une longue plaque rose, qui ressemble à de l’eczéma, se révèle à nos regards consternés. Elle s’étend sur tout son arrière-bras, de l’épaule au coude.

— Mettez immédiatement quelque chose dessus ! conseillé-je.

Et au vieux nougateux, hébété, j’écrie :

— Vite, du mercurochrome ! Grouillez-vous !

Ce conseil de guerre, dont je m’attendais à ce qu’il dégénère en branle-bas de combat, tourne à la farce. On passe du style John Le Carré au style Coluche.

Et le gars Sana finit par se transformer en infirmier.

Je badigeonne moi-même le bras du Ricain avec une pommade pour les hémorroïdes que le gâteux a dénichée dans le tiroir de sa table de nuit, lui pose un pansement de fortune. Après quoi, je réclame un sac en plastique au bonhomme Lalune afin d’y fourrer le veston d’O’Casion ruisselant de matière grasse.

Et c’est la fin de cette réunion tripartite.

Ils n’ont pas pleuré la garde montante, les Irlandoches ! Un vrai cordon de police autour de la maison victorienne qui abrite le Président.

Et, après les Irlandais et leurs mitraillettes, faut affronter les gorilles ricains, qui eux ne me saluent pas bien, mais me laissent néanmoins vaquer.

Dans la maison, y a encore des flics, mais plus urbains. Et des domestiques stylés.

Je continue d’aller. On s’apprête à m’intercepter, mais au dernier moment, mon sourire et le reste désarment les velléités.

Au premier étage, je retapisse illico la chambre présidentielle au fait que deux gars superbement baraqués sont assis de part et d’autre de la porte.

Cette fois, ils réagissent à mon approche. Tous deux se lèvent.

— Où allez-vous ? me demande celui qui ressemble le moins à l’autre.

— J’ai un message verbal pour le Président, priorité absolue.

Ils entreprennent de me palper minutieusement.

Comme j’ai évacué de mes profondes tous les objets douteux qui les encombraient, je ressors blanc-bleu de l’expertise.

— Le Président est dans sa salle de bains, me prévient celui qui ressemble le plus à l’autre.

— Peu importe, c’est urgent au top zéro ! Je viens de la part d’O’Casion.

— Le mot de passe, je vous prie ?

Là, t’as pas le droit d’hésiter, fiston. Tu surchauffes ton bulbe et tu enclenches à fond la manette des gaz. Je me demanderai toujours, et même encore après, ce qui me pousse à rétorquer, calmement :

— Connemara.

L’instinct, bien sûr. Ma superbe intelligence, c’est évident. Et puis pardessus tout ça, une pénétration inouïse du cerveau humain.