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Sana si tu viendras, j’sus t’a l’hautel d’à côté. Béru.

L’hilarité me chope. Cet animal ne s’embarrasse pas de ces préjugés qui reviennent cher. Il confie ses messages au matériel publicitaire.

Je gagne l’escalier mécanique. Là encore, je trouve un second avertissement tracé à même le sol.

Sana. J’sus t’a l’Hautel d’à côté. Béru.

Et maintenant que me voilà alerté, je trouve un peu partout le précieux avis : sur les murs, les portes, les affiches à fond blanc.

Des jours durant, les voyageurs empruntant l’aéroport de Dublin sauront, pour peu qu’ils comprennent le français, qu’un certain Béru aura fréquenté l’hôtel voisin.

Bien fréquenté, à vrai dire.

Il me reçoit presque nu (il a conservé son maillot de corps et son pansement anticor au pied droit), un bol de vin blanc à la main.

— On prenait l’p’tit déjeuner, m’avertit cet ex-haut fonctionnaire de la République française en s’effaçant pour me laisser pénétrer dans la chambre.

Le « on », pronom indéfini, le plus souvent masculin singulier, mais susceptible pourtant de représenter le féminin et le pluriel dans les cas urgents, me fait tiquer.

Deux pas dans la pièce me révèlent qu’il est justifié en l’occurrence, puisque je découvre une dame en train de prendre son thé sur une table pliante.

Au premier regard, deux éléments notoires la caractérisent : elle est noire et pèse deux cent cinquante livres (françaises, non irlandaises) lesquelles, converties en grammes, donnent cent vingt-cinq kilos.

— J’te représente Maggy, annonce le Triomphal. Un p’tit lot qu’j’ai fait connaissance à l’aréoport, ce matin. Ell’ cause pas not’ langue, mais j’sais suffisamment assez d’irlandais pour piger qu’c’te grosse connasse avait raté son zinc pour Nouille York. Va falloir faudre qu’elle prend çui d’demain. Comm’ tu v’nais pas, j’l’ai drivée ici, qu’on s’ remue un peu la viande. J’voye qu’ t’as trouvé mes p’tits mots ?

Je salue la baleine noire, une femme charmante, au sourire rose et blanc.

— C’t’ une nature, m’avertit le Mastar, é s’marre tout l’temps, même quand t’est-ce t’y flanques Monseigneur Big-Chibre dans l’baigneur ; comme si ça la chatouillerait. J’voye pas c’qu’a de poilant dans un coup d’rapière ; ça a failli m’faire déjanter.

Il chope un croissant et le trempe dans son bol de vin.

— Faut voiliager pour rencontrer des gonzesses pareilles, assure-t-il.

— Tu as la valoche de faux talbins ?

— Sous le plumard ; j’y ai filé un coup d’périscope, mais t’sais, les gars qu’a fait ces dollars d’la sainte farce s’sont pas foulagas, ces faux biftons ressemb’ à des vrais à peu près comme moi à un goret !

— Je n’en demandais pas tant, lui dis-je.

L’heure est grave.

Voilà ce que je décide en passant la porte de fer forgé massif dont s’enorgueillit la banque de cette pauvre Gleenon.

Ma valoche de dollars pourris à la main, je fais jeune cadre supérieur préoccupé. Les talbins sont en biftons de cent ; pour cacher la merde au chat, je me suis fendu d’un vrai billet sur les liasses du dessus, ce qui représente tout de même une mise de fond de mille dollars dont il me faudra grever ma note de frais si l’artiche m’échappe.

Donc, je pénètre dans ce temple du blé. Un léger panoramique me permet de découvrir Ted Hacklack, assis sur une banquette placée entre deux gigantesques plantes vertes mieux imitées que ma fraîche amerloque.

Il est encore saboulé en yachtman, mais cette fois son blazer est vert bouteille. A un guichet, j’aperçois deux amoureux tendrement enlacés. Lui est rose-foncé-presque-rouge, elle, noire. A eux deux, ils pèsent un quart de tonne. Bref, inutile de t’en moudre davantage, tu auras déjà reconnu Béru et sa black conquête. Ce trio excepté, les autres usagers du moment sont constitués par une dame élégante, au guichet du cambio ; un vieux rentier planté devant celui des titres et un pégreleux en bras de chemise qui vitupère le préposé comme quoi on a refusé d’honorer un de ses chèques à cause d’un défaut d’approvisionnement ridicule.

Hacklack se lève en m’apercevant et vient à ma rencontre. Il a toujours son avant-bras dans le plâtre, soutenu à hauteur d’estomac par une sangle noire.

— Tout est O.K. ? demande-t-il.

— Parfaitement.

— Alors, go !

Il emprunte l’escalier de marbre rose conduisant à la salle des coffres. Je le suis. Au bas des marches, il y a une sorte de sas tendu de moquette beige, sol et murs.

Un bureau équipé d’un cadran vidéo en occupe le centre. A ce bureau : un employé grand et mince, pâlichon à force de vivre en sous-sol sans fenêtre.

Ted Hacklack lui tend sa procuration et lui montre une clé plate qu’il a dû aller piquer chez la Gravosse, ou qu’il détenait déjà avant de la seringuer, ce qui me paraît plus probable, la cantatrice se méfiant du tractateur qui allait la contacter.

L’homme qui règle sur les c.f. étudie le document, confronte la signature avec celle qu’il a en dépôt ; puis acquiesce et se met à tapoter les touches d’un cadran.

Une seconde clé plate est aussitôt crachée par un appareil métallique semblable à un rendeur de mornifle pour « grandes surfaces ». L’employé tapote une seconde fois le clavier et la grille aux énormes barreaux séparant le sas de la chambre forte coulisse silencieusement.

Il se lève et nous entraîne dans sa caverne d’Ali Baba.

On le suit dans une travée bordée de coffres aux faibles dimensions. Le préposé stoppe devant le numéro 218. Il écarte la plaquette masquant l’entrée des deux serrures.

Il commence par utiliser la clé détenue par la banque.

Après quoi, il tend la main et Hacklack lui remet la sienne. La lourde du petit coffiot s’ouvre. A l’intérieur il y a un coffret de métal. L’employé nous désigne un bouton lumineux placé à l’entrée de la travée et nous dit que nous devrons sonner quand nous aurons terminé : il reviendra fermer.

Ted Hacklack opine silencieusement. Le grand gus pâlot s’esbigne. Il ne va pas loin. La dame élégante, aperçue naguère au guichet du change, est là, qui le braque avec un Colt au mufle angoissant. Elle murmure, d’une voix languissante :

— Mettez vos deux mains dans votre dos et tenez-vous tranquille.

L’homme obéit, vachement maussade.

— Je crains que cette entreprise ne soit déraisonnable, objecte-t-il.

Hacklack me présente une paire de menottes.

— Allez lui passer ça aux poignets ; vous devez en avoir l’habitude.

— Navré, dis-je, je suis venu pour une transaction, pas pour une agression ; il y a maldonne.

— Faites ce que je vous dis ; c’est dans l’intérêt général.

Une chose est certaine : mon cerveau ne fait pas de la chaise longue ! Je passe tout aux rayons « X » de mon intelligence. En moins d’une seconde j’ai étudié le cas et adopté une ligne de tu sais quoi ? Conduite.

En soupirant, je prends les menottes et m’approche de l’employé. Clic ! J’emprisonne son poignet gauche.

Je m’apprête à agir de même avec le droit quand voilà ce grand con courageux qui me flanque un coup de boule féroce dans le portrait. En arrière, par surprise. Je te parie mon pot de pommade contre ta blennorragie, qu’il a suivi des cours de défense, l’apôtre ! J’en vois vingt-quatre chandelles. Et il ne s’arrête pas là ! Presque au même moment, je prends son talon dans les joyeuses.