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Tout le monde s’exclame que : « Oh ! monsieur le président, quelle magnanimité ! Quel honneur plein partout ! Comment t’est-ce vous remercier suffisamment beaucoup ? C’est trop inouïsement trop ! »

M’man se chiale dessus. Marie-Marie est rouge de fierté. Moi-même, hein, ça fait quelque chose. Je me demande si je dois m’agenouiller et baiser la main du seigneur, comme au temps de la chevalerie. Ou bien me lever et entonner la Marseillaise. Béru, quant à lui, lutte contre la jalousie.

— M’sieur le président, fait-il, je voudrais pas me vanter, ni chiquer les cafards, mais j’vous signale qu’un d’ vos gorilles est en train de licebroquer su’ les rosiers grimpants à maâme Félicie ; je puis-je-t-il aller dire à ce gros dégueulasse qu’ici c’t’une maison corrèque et pleine de chiottes ?

Il se lève pour aller apostropher le compisseur de service, lequel, affolé, rengaine Coquette avant d’avoir achevé sa miction !

Notre hôte dépasse l’incident de sa voix brève, un peu saccadée, qui pourrait laisser croire à de l’asthme mais qui est en fait une manière de transformer son verbe en projectiles à haute pénétration.

— Je ne vous rendrai jamais assez de grâce pour le triomphe de votre mission, monsieur le préfet. Non seulement vous me faites ramener le document secret, mais de plus vous trouvez le moyen, au passage, de désamorcer un attentat minutieusement préparé contre ce pauvre vieux Reagan. Je sais bien qu’on lui met des roulettes sous les pieds et qu’on le fait émailler chaque fois qu’on procède au service vidange-graissage de sa voiture blindée, mais c’est un homme, s’il est réélu, pourra faire encore quelque usage.

Il croque un morceau de gâteau, boit une lichouille d’Yquem, sourit à maman et donne une caresse amicale à la fossette de Marie-Marie.

— En ce qui concerne notre affaire à nous, vous ignorez la teneur de cette lettre de De Gaulle, prétendez-vous ?

— Absolument, monsieur le président, car je l’ai remise immédiatement à Bérurier.

— Et lui ? L’a-t-il lue ?

— Ce serait sans conséquence, la conformation de son cerveau ne lui permettant guère d’associer deux paragraphes dans leur continuité.

— Curieuse affaire, non ?

— Très curieuse.

— Qu’en savez-vous ?

— Ce que la complice du dénommé Ted Hacklack en a dit à mes homologues irlandais, sur son lit d’hôpital.

— A savoir ?

— A savoir que Valentine Gleenon, l’ancienne cantatrice, était la maîtresse d’un fameux résistant français sous l’Occupation. Elle a accompagné ce dernier à Lisbonne où il se rendait en mission secrète. Le résistant en question était porteur d’une lettre manuscrite du Général, lettre destinée au service de renseignements d’Afrique du Nord. Mais le résistant a été victime d’une crise cardiaque à leur arrivée au Portugal. La Gleenon a conservé les bagages de son amant dans lesquels se trouvait le message manuscrit de De Gaulle. Elle a ramené les valises en Irlande et les a utilisées pendant un certain nombre d’années. Et puis elle a connu l’insuccès et s’est retirée dans un médiocre pavillon de la banlieue de Dublin. Un jour, elle a voulu débarrasser son grenier. Les bagages du résistant mort s’y trouvaient. Elle en a fait une ultime inspection et a déniché dans une pochette secrète la lettre du Grand. Elle ne lit pas le français, mais la signature l’a impressionnée, aussi n’a-t-elle pas jeté la lettre. Des années ont passé encore.

« Valentine Gleenon sombrait dans l’alcool et ses fréquentations allèrent de pair avec sa déchéance, ainsi se lia-t-elle avec ce forban de Ted Hacklack, un ancien soldat anglais qui était devenu trafiquant de je ne sais quoi en Birmanie, avait fait de la taule, était rentré en Angleterre pour s’intégrer au Milieu londonien. Mais l’homme avait l’esprit un peu dérangé. C’était un violent, un sanguinaire. L’alcool, la drogue, les femmes, avaient fait de lui une épave d’épave. Réfugié à Dublin, il y avait connu la grosse Gleenon. Quelles basses arnaques ont-ils pu mijoter, tous les deux, nous ne le saurons jamais…

Le président a ce bon sourire en coin, qui ne dévoile que quatre de ses dents, et qui fait irrésistiblement songer au docteur Mabuse (si je ne m’abuse).

— Vous racontez bien, complimente-t-il, c’est agréable, succinct. Je déteste les prolixes et, malheureusement, je ne suis entouré que de ça ! Continuez, monsieur le préfet.

— Il y a quelque temps, Valentine Gleenon a montré la lettre du Général à Hacklack, comme on montre un bibelot ou un livre rare. Le bougre, lui, lisait le français. Quand il a eu pris connaissance du document, il a tout de suite compris le parti qu’il y avait à en tirer pour des canailles…

— Pourquoi ? demande le président, qui sait, mais pêche le fauve pour avoir l’ivraie.

— Parce que dans cette lettre, De Gaulle dressait une liste de traîtres infiltrés dans la Résistance. Des traîtres à neutraliser. Or, sa lettre ayant séjourné quarante ans dans un grenier de Malahide, les gens impliqués n’ont pas été châtiés au moment où il le fallait. Depuis la disparition du Général, ils ont refait surface et occupent à présent beaucoup de postes de commande.

La voix incisive demande, âpre :

— Des noms, je vous prie !

— Je regrette, monsieur le président : je vous rappelle que je n’ai pas lu le document et que les noms en question sont sans signification pour la complice de Ted Hacklack.

— Et vous ? brûle-pourpointe l’Illustre à l’adresse du Gros qui nous rejoint.

— Moi quoi-ce, m’sieur l’président.

— Vous avez lu la lettre de De Gaulle ?

— Juste une fois, m’sieur l’président, j’sus un homme discret. Comme c’tait écrit pointu et qu’ j’iis mal l’pointu, c’est Agénor, l’patron du Bob Bar, qui m’l’a lue.

— En public ! s’étrangle le président.

— Causez-moi pas d’public, m’sieur l’président. Y avait juste le Grand Mathieu le plombier qu’est toujours soûl comme un bourrique ; Finfin, l’marchard d’couleurs, Adrien Tussusse qui vend des primeurs su’le marché, la grosse Angélique qui va aux asperges rue Saint-Martin, m’sieur Kamalou Safébobo qu’est martiniquais et mécanicien dentiss, avec Kamalotrou, son cousin, cantonnier rue d’Charogne ; alors v’voilrez, on peut pas appeler ça du public.

Le président se retient d’exploser car un nouvel arrivant apporte une diversion opportune. Il s’agit de Pinuche. Baderne-Baderne est radieux comme un matin de Pâques. Tout frais, rasé enfin, avec du talc aux oreilles. L’œil pas chassieux du tout. Il fume un cigarillo flambant neuf, si j’ose dire.

Il serre les mains. Le président a droit à sa pincée de cartilages aussi.

— On s’est déjà vus, me semble-t-il ? lui déclare Pinuche.

Il continue sa distribution de salsifis, puis louche sur le seau à glace où la bouteille prestigieuse prend son bain de siège.

Marie-Marie trotte lui chercher un verre.

— Comment marche ton enquête, vieille ganache ? l’interrogé-je.

Il sourit bleu. Un velours. Son œil devient horizontal, il y a du flou artistique dans sa moustache roussie par les embruns de ses mégots.

— Elle ne marche plus : elle est arrivée à bon port.

Il dépose alors sur mes genoux un paquet mal ficelé qu’il tenait sous le bras.

— Cadeau ! plaisante l’Affable.

Béru lui sert un godet de nectar, remplit son propre verre et, au président :

— Vaudrait p’t’être mieux qu’v’en reprissiez pas, manière d’ garder la tronche froide. Dans vot’ job on peut pas s’permett’ d’déconner plus qu’il faut, hein ?