Выбрать главу

Je lui caresse le poignet.

— Petite fille ! Les assassins ne ressemblent presque jamais à des assassins. Moi aussi, j’ai biglé les dîneurs… Et je n’ai pas pu me faire une idée.

— Alors ?

— Alors, attendons.

— Je suis frémissante.

Je souris et commande deux autres grogs.

— Je vais être tournée, me dit Gisèle.

— Ne vous bilotez pas. Ce sont vos premières armes dans les services secrets. Il s’agit de ne pas flancher. Le meilleur moyen de se doper est encore de pinter un bon coup.

« C’est le secret de mes succès.

Au bout du quatrième grog, elle est bien à point. Je la finis par un verre de calvados. Le froid fait le reste. Lorsque nous pénétrons dans son appartement, elle est aussi guillerette qu’une tranche de veau. Je la couche et elle se met à pioncer. Ouf ! J’ai le champ libre. De cette façon, je vais pouvoir manœuvrer à ma guise. La môme Gisèle est la crème des filles, d’accord ; mais ça n’est pas une raison pour l’avoir sur les fumerons d’un bout à l’autre de l’affaire. Pendant qu’elle cuvera sa malouze, je m’occuperai du mec, si, comme je le souhaite, il se pointe à mon rancard…

Je regarde ma montre. Ça colle, j’ai encore le temps. Le temps de quoi faire allez-vous penser ? Pardine ! le temps de mettre la paluche sur la bouteille de raide de Gisèle. Elle n’est pas duraille à trouver. Je la débouche et je m’en téléphone un vieux coup dans l’estomac. C’est plus rigolo de se mettre un goulot entre les lèvres que de se faire enlever les cors aux pieds… Comme le trou que je porte sous le nez n’a pas été créé pour établir un courant d’air, je réitère mon geste auguste. Illico, je me sens enclin à l’optimisme. Je sors mon Luger et je le glisse sous un journal jeté sur le divan.

Plus que cinq minutes. Viendra ? Viendra pas ?

Mon palpitant se met à cogner. Je me sens intimidé comme lors de ma première enquête. C’est nerveux, faut attendre que je sois rodé. Voilà ce que c’est de se laisser aller. On devient ramolli de l’intérieur et de l’extérieur…

Le niveau baisse dans le litron. L’heure tourne. Mon cœur bat… Voilà les caractéristiques du moment. Et toujours, dans mon boîtier les mêmes pensées vont et viennent, au point de me donner le mal de mer : Viendra ? Viendra pas ?

Un pas dans l’escalier. Est-ce pour moi ?

Oui, le pas s’arrête devant la lourde. On sonne.

Alors mon palpitant se calme comme par enchantement. Je retrouve tout mon calme, comme l’acrobate qui va accomplir le saut de la mort… San-Antonio est un mec entier. Je sais me récupérer le moment venu. Or, pour être venu, il l’est, le moment. Je liquide la bouteille de cognac pour dire de ne pas avoir de remords s’il m’arrive quelque chose. Je vais ouvrir la lourde.

Je ne sais pas si vous avez jamais vu de film d’épouvante. De ces films qui vous flanquent les flubes pendant une semaine… Si vous en avez vus, vous avez dû remarquer que l’impression d’effroi provient souvent d’un contraste entre l’intensité de la peur redoutée et l’aspect innocent de celui qui la provoque. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre… Vous êtes tous tellement pochetés que pour vous faire entrer quelque chose dans la matière grise, il faudrait un marteau-pilon. Ce que je veux dire, c’est que ce qui transforme la peur en épouvante, c’est qu’elle est provoquée par quelque chose d’insolite. Ainsi, il est normal d’avoir peur d’un gros caïd en colère, mais quand au lieu d’un gros caïd, c’est un petit vieux bien propre qui vous fout les jetons, ce qu’on éprouve n’est plus de la peur, mais de l’épouvante. Cette fois, est-ce que vous mordez ?

J’ouvre la lourde.

Je ne peux réprimer un sursaut. Dans l’encadrement de la porte il y a… un petit garçon. Ce petit garçon, je l’ai aperçu tout à l’heure au restaurant de la rue de l’Arcade. Vous vous en doutez, je ne lui ai pas accordé la moindre attention. Je suis tellement ahuri que je reste là, la bouche ouverte, les bras ballants.

Le petit garçon peut avoir une dizaine d’années. Il est trapu et a une tête d’hydrocéphale. Son regard est candide…

— Bonjour, m’sieur, fait-il.

Je bouge la tête.

— Bonjour…

Il n’est pas pressé de rentrer. On dirait qu’il est timide.

— Qui êtes-vous ?

Avant de me répondre, il s’assure qu’il n’y a personne dans le couloir.

— La pluie du matin n’arrête pas le pèlerin, murmure-t-il.

Aïe ! ma douleur ! C’est un mot de passe. S’il faut répondre quelque chose je suis marron.

Pour gagner du temps, je prends un air extrêmement rassuré.

— Parfait, parfait, murmuré-je.

Je m’efface et il entre.

Entre nous je suis sérieusement empoisonné. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir raconter à ce loupiot ? Tant que je croyais avoir à faire à un homme, tout était réalisable. Mais quelle ressource puis-je avoir avec un morbach ?

Je referme la porte et j’indique le studio au bibace. Il y pénètre sans se faire prier. Alors je pige tout : ce petitout n’est pas un gamin mais un nain. Malgré qu’il porte un costume marin et un pardessus de premier communiant il a une démarche d’homme. Une démarche de nain, massive, trébuchante ; la démarche d’un nain aux jambes arquées…

Quand nous sommes dans le studio, je m’assieds nonchalamment.

— Une cigarette ? proposé-je.

Il secoue sa grosse tête d’anormal.

— Alors, un sucre d’orge, peut-être ?

Je le vois blêmir. Un nuage sanglant passe dans ses yeux de chat.

— L’habit ne fait pas le moine, dit-il d’un air méfiant.

Ces simagrées commencent à me fatiguer. Je vois bien qu’il me pousse une colle, mais la moutarde me monte au nez.

Je lui dis :

— Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse. Un tien vaut mieux que deux tu l’auras. En mars et en avril ne te défais pas d’un fil…

Il est suffoqué.

— Enfin quoi ! éclaté-je. Tu ne vas pas passer en revue tous les proverbes… Si c’est une anthologie que tu fais, je vais te donner un coup de main.

Soudain, je ferme ma grande gueule : cette demi-portion tient un feu dans la main. Un bath rigolo à crosse de nacre.

— C’est un piège, grince-t-il.

— Ne t’excite pas, géant, et rengaine ton soufflant, tu pourrais te blesser.

Il a un rictus abominable. Je n’ai jamais rien vu de plus immonde que ce nabot. Je voudrais pouvoir l’écraser à coups de talon. En tout cas, l’instant critique est arrivé plus tôt que je ne le pensais. M’est avis qu’il va falloir jouer serrer.

— Comment avez-vous eu notre code ? demande le nain.

— Par un vieux système d’information.

— Lequel ?

— Mon petit doigt, figure-toi. Je le branche de temps à autre, et il me raconte un tas de choses qui ne sont pas dans les journaux.

Je vois son doigt se crisper sur la gâchette.

— Ne fais pas le pierrot, je te dis !

Il paraît ne pas entendre. Le pistolet tremble dans sa menotte.

Ce qu’il doit être nerveux ce chérubin !

— Parle ! fait-il. Et sa voix émet un bruit de girouette rouillée.

Je hausse les épaules.

— Tiens, veux-tu que je te dise ? Tu me fais marrer… Je te convoque ici pour avoir une discussion avec toi et voilà que tu me flanques ton artillerie sous le nez en me disant de parler. Tu ne trouves pas ça crevant, toi ?

Son visage reste impassible.

Je me dis qu’il vaut mieux ne pas contrarier ce loustic. S’il remuait un tant soit peu l’index droit, placé comme je suis, je dégusterais du plomb brûlant dans la poitrine.

— Après tout, si tu y tiens, je peux bien t’affranchir.

Je lui raconte toute l’affaire, vue sous mon angle depuis l’attentat dont j’ai été victime en octobre jusqu’à la cérémonie de ce soir en passant par ma découverte du morse musical.