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Il a un rire mauvais.

— Compliments ! siffle-t-il. Tu n’as pas la tête dans ta poche.

— Tu saisis, dis-je, conciliant. J’en ai ma claque de dérouiller. Je viens de me tasser deux mois d’hosto et je voudrais au moins trouver le zig aux crins en brosse pour lui dire ce que je pense de lui…

Le nain réfléchit.

— T’es trop marle… Alors tu te figures que j’allais allonger mon pote ? Poulet, va !

— Poulet ?

Je m’applique à faire l’étonné.

— Dame ! Tu viens de me dire que c’est sur toi qu’on a tiré la première fois à cause que tu ressemblais à Manuel. Or les journaux ont assez répété qu’on avait tiré dans le métro sur San-Antonio, l’as des as… On s’est même assez marré d’avoir failli dessouder un flic par erreur.

Je feins de prendre la chose du bon côté.

— D’accord, c’était un hasard curieux…

— Je regrette qu’une chose, affirme le nain.

Je lève un sourcil pour marquer ma curiosité.

— C’est que tu ne sois pas claqué…

Je m’incline.

— Trop aimable…

Ce nénuphar d’urinoir tord ses lèvres.

— Heureusement qu’il est temps de réparer cette malfaçon…

Qu’est-ce à dire ? Je regarde mon petit bonhomme et je me rends compte qu’il est vachement déterminé. Si je n’agis pas prestement je risque fort de me réveiller dans un coin plein d’anges et de roses odorantes. Maintenant si vous désirez que je vous révèle à quel signe on reconnaît le gars déterminé à vous envoyer dehors, ouvrez grand vos plats à barbe. Le type qui va tuer, je vous l’ai dit plus haut, a un quelque chose dans les yeux d’assez particulier. Mais y a pas que ses châsses pour annoncer le casse-pipe ; y a toute sa poire. Ses lèvres sont tirées comme les babines d’un chien enragé, son nez est pincé et sa pomme d’Adam monte et descend comme l’ascenseur d’un hôtel le jour où il y a la foire dans le patelin.

Ce magot m’a l’air rusé. Si je peux attraper mon feu qui se trouve sur le divan, cela ne me servira à rien car il tirera avant que j’aie eu le temps de repousser le cran de sûreté.

Que faire ? Mon Dieu…

J’ai la bouche sèche. Et soudain, j’ai une idée. Ça me vient sans que je le veuille, c’est comme la sonnerie d’un réveille-matin, elle se déclenche dans ma montgolfière à toute berzingue. Pour ce que je veux tenter il me faut de l’alcool. Hélas ! j’ai sifflé le restant de la bouteille, mais il y a sur l’entourage du cosy un flacon d’eau de Cologne. L’étiquette est tournée du côté du mur, par conséquent, mon nain ne peut connaître la nature du liquide.

Je prends la moue désabusée du polyte qui s’apprête à trinquer.

— Tu ne vas pas me bousiller, dis donc ?

— Je vais me gêner…

— C’est pas possible…

Je réprime des sanglots. Il s’agit d’offrir des sensations rares à ce faux petit garçon afin qu’il prolonge notre tête-à-tête. Pour moi, le jeu consiste à attraper le flacon de parfum sans que le nabot prenne ombrage de mon geste.

— Ne fais pas ça ! supplié-je en haletant. Enfin, tonnerre ! je n’ai rien fait. Vous m’avez mis en l’air une fois…

Je roule des bigarreaux hallucinés. Lentement je porte la main vers la bouteille vide, comme si j’avais besoin de m’en aligner une giclée. Puis je feins de m’apercevoir qu’elle est vide. Il faut absolument que l’autre ne se doute de rien. Toujours tremblotant je me détourne légèrement afin d’empoigner l’eau de Cologne. Ce que j’appréhende… Je peux pas vous l’expliquer. Il me semble que le feu va cracher épais. Du plomb dans les tripes, y a rien de plus gênant. Vous ne pensez plus à grand-chose lorsque c’est dans le prosper que ça vous arrive. Rien que le choc vous coupe net le sifflet… Il ne se passe rien.

Faut pas croire que ces faits et gestes se déroulent au ralenti. Seulement la pensée va si vite ! Entre la pensée et le mouvement il y a quelquefois la même différence de vitesse qu’entre la lumière et le son.

Enfin je tiens mon flacon.

— Je veux pas que tu me butes !

— T’avais qu’à tenir tes pieds au sec. Qu’est-ce que c’est que ce poulet qui vient jouer au petit soldat et qui se plaint quand on en a marre de sa gueule !

Mon tremblement s’accentue. Je débouche le flacon et me le colle sous le tarin.

— C’est ça, approuve le nain, à ta santé !

Peut-être que dans votre garce d’existence il vous est déjà arrivé de boire de l’eau de Cologne par erreur ? Alors vous devez savoir que ça ne vaut pas du chambertin. Pour ma part, je ne connais rien de plus tocasson. Je précise cependant que cette eau de Cologne je ne l’avale pas. Je m’en emplis la bouche seulement, comme si je voulais m’en gargariser… Je combine bien mon petit truc et vlan ! je la recrache dans les mirettes du gnome. Mince de binz. Le gars Mabotte hurle comme un goret auquel on vient d’enfoncer une barre rougie dans le rectum. Il se frotte les châsses et les écrase sous ses poings miniatures.

Si vous pensez que je me tire les cartes pendant ce temps, vous vous gourez comme quinze poux les uns sur les autres. Rapidos, je le désarme et récupère mon Luger. Avec un pulvérisateur dans chaque paluche on se sent quelqu’un, surtout lorsqu’on n’a en face de soi qu’un monsieur d’un mètre trente.

— T’es encore trop jeune pour vouloir dorcer San-Antonio, mon chéri. Tu devrais rester chez toi pour y jouer avec ton Euréka à fléchettes. Dis donc, tu croyais avoir à faire à quel branque ?

Il commence à ouvrir les yeux. Il pleure comme si on avait fait partir sur ses genoux une bombe lacrymogène.

— Sale poulet ! grince-t-il.

— T’excite pas ma beauté. La roue tourne tu le vois. Par moments elle tourne tellement vite qu’on ne peut plus apercevoir les rayons. Ainsi, il n’y a pas une minute tu jouais à Nick Carter avec ce flingue et maintenant c’est moi qui tiens les brèmes. Conclusion ? Tu vas jacqueter… C’est d’une telle simplicité qu’il n’y a pas besoin de te faire un dessin.

— Tu peux toujours courir.

— Si tu ne réponds pas à mes questions illico je te casse les ailes.

Il hausse ce qui lui sert d’épaules.

— Tu peux toujours y venir.

La rage me prend. Je pose les deux feux sur un rayon de bouquins hors de la portée du nabot et je m’avance sur lui. Ce macaque m’a assez couru sur l’haricot comme ça. Je vais sans plus attendre lui passer une danse de première. Je tends ma main vers lui mais il fait un saut de côté. Avant que j’aie eu le temps d’agir il fonce sur moi comme un bélier et me rentre dans l’œuf la tronche la première. J’en ai le souffle stoppé net. D’autant que mon ventre est encore très fragile. Lui ne perd pas de temps : profitant de ce que je suis courbé par la douleur, il me fait un truc japonais lequel consiste à m’enfoncer deux doigts en fourche dans les châsses. Je hurle à mon tour. Je suis aveuglé, débordé, pigeonné. Une grêle de coups s’abat sur ma tête. Ça carillonne sous mon dôme comme dans un clocher un jour de Pâques. Une nausée me noue la gorge.

« Sacré tonnerre de bon sang, par un nain ! Par un nain ! Par un bon Dieu de nabot… »

Voilà ce que je répète tandis que je rue désespérément.

Je défaille. Je me liquéfie. Le petitout va sortir mes tripes et les aligner sur le parquet pour voir si le compte y est.

Bing !

Un bruit de verre brisé. La grêle de coups s’arrête. Que se passe-t-il ? J’ouvre les yeux tant bien que mal. Juste assez pour apercevoir Gisèle, debout au milieu de la pièce avec, dans la main un tronçon de bouteille.