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« Laissez-moi la bride sur le cou. Huit jours et je vous passerai la main si je n’ai rien de nouveau.

Ma proposition a l’air de lui être particulièrement agréable… Mon petit doigt — qui décidément est un informateur de première — me dit que ce sacré Guillaume n’avait pas d’autre désir que de me charger officieusement de l’enquête en venant chez moi.

Comme il l’a dit, lui et les copains veulent tenir leur nez propre… Ces fumelards préfèrent que ce soit le petit San-Antonio qui trinque…

— Parfait, parfait, murmure Guillaume.

À mon regard il comprend que je ne suis pas dupe et il toussote.

— Dites-moi Guillaume, avez-vous sorti le macchab de la rue Joubert de son domicile ?

— Oui.

— Vous avez laissé un planton devant la porte ?

— Oui, j’allais supprimer la surveillance, vous tenez à ce que je la maintienne ?

— Du tout, bien au contraire…

Je consulte ma montre.

— Il est deux heures, eh bien à trois heures donnez des instructions pour que les matuches s’en aillent.

— Entendu.

Guillaume prend son chapeau et me tend la main.

— Au revoir, monsieur le commissaire. Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas…

Alors qu’est-ce que vous dites de ça ? Hein, mes petites têtes de veau au formol ? Ma gosse Gisèle enlevée, c’est-y pas le fin des fins, le comble des combles ! Ces pourris me tirent dans la babasse ; ils envoient un nain me faire une démonstration de lutte libre et voilà qu’ils kidnappent ma poulette. Cette fois j’en ai ras le bol. Va falloir que ça claque ou que ça dise pourquoi.

Une demi-heure plus tard je suis rue Joubert. J’aperçois les deux bignolons devant l’immeuble de mon sosie. Je rentre dans la maison et grimpe à l’appartement. Je constate que les scellés sont posés, mais un cachet de cire n’est pas un obstacle pour moi. Je descends à la loge du concierge. Je montre ma carte et demande la permission de téléphoner.

J’ai Guillaume au bout du fil. Il vient de rentrer à l’instant.

— Un premier service, ma vieille, lui dis-je après m’être fait connaître. Envoyez quelqu’un pour poser les scellés sur la lourde de l’appartement.

— Mais ils y sont !

— Ils n’y sont pas pour longtemps, car la première chose que je vais faire après avoir raccroché, c’est de les enlever.

— Bon !

— Autre chose, je tiens à ce que le type qui viendra ne pénètre pas dans l’appartement.

— Très bien, monsieur le commissaire.

Je raccroche. Dans la pièce voisine, la concierge me regarde d’un air épouvanté. Je me souviens alors que son locataire assassiné me ressemblait comme un frère.

— N’ayez pas peur, lui dis-je en riant, je ne suis pas un fantôme. C’est par simple coïncidence que le policier et la victime se ressemblent.

Elle est un peu soulagée. Je lui demande :

— Parlez-moi un peu de mon sosie…

Elle n’a pas grand-chose à en dire. Elle ne m’apprend rien que je ne sache déjà. Le mort ne faisait que de brèves apparitions dans l’immeuble. Il payait régulièrement son terme et ne lésinait pas sur la question des pourliches.

— Recevait-il du courrier ?

— Jamais il n’a reçu la moindre lettre !

Je dis : « Merci, vous êtes bien aimable », et je fais mine de sortir de la maison ; mais il ne s’agit que d’une feinte. Je ne sors pas de l’allée. Au contraire, je me jette à genoux et repasse devant la loge de la pipelette. Je préfère qu’elle ne me sache pas dans l’immeuble…

Jusqu’ici, je suis assez content. Mon grand pif, je le crois fermement, a reniflé une piste. Voyez-vous, bande de pégreleux, le raisonnement est une belle chose pour un flic. J’ai pensé que l’appartement du dessoudé de la rue Joubert pouvait être un élément d’enquête intéressant. Ce type ne l’utilisait presque pas même pour recevoir du courrier, alors dans quelles intentions l’avait-il loué ? Pour se cacher ? Drôle de quartier : le centre de Paname ! Je suis persuadé qu’une étude approfondie des lieux me révélerait leur destination. Et puis, je suis également persuadé d’autre chose, mais il est trop tôt pour vous en parler…

Je fais sauter les cachets de cire et j’entre dans la place. Je me repère vite et entre dans la salle à manger où l’on avait entreposé le corps. Une odeur fade flotte dans la pièce. J’ôte mon pardessus et mon chapeau. Un observateur invisible pourrait supposer que je suis chez moi. Y a de ça… Ma décision est prise : je ne bougerais pas de cette carrée avant d’avoir pu attraper l’extrémité du fil qui me conduira aux ravisseurs de la môme Gisèle.

Je commence mes investigations. Guillaume et ses archers ont fouillé en détail ; mais il existe parfois des cachettes hermétiques… Je soulève les tapis, décroche les tableaux, déplace les meubles… Centimètre par centimètre, je poursuis mes recherches. J’entends un bruit de voix devant la porte, aussitôt je m’interromps. Il faut absolument que ma présence dans l’appartement soit ignorée de tous. Les tordus avec lesquels je suis en guerre m’ont l’air rudement fortiches ; maintenant nous n’avons pas de gâteries à nous faire, c’est plus la guerre des nerfs. Le premier enflé qui porte la main à ses fouilles je l’assaisonne. En tout cas, pour ce qui est du nabot, si je le retrouve, ce qui doit être relativement facile, étant donné sa taille, je vais lui cogner dessus jusqu’à ce qu’il prenne les apparences d’une tortue de mer. Dorénavant tout individu qui sera à la hauteur de mon nombril me semblera suspect.

Les bruits de voix disparaissent. Maintenant les scellés sont posés à nouveau.

Ayant exploré la salle à manger, je passe dans la chambre à coucher. Celle-ci ressemble à une piaule d’hôtel. Les meubles sont tocards et sans style. Le pieu n’est pas défait. Il ne comprend pas de draps ce qui indique une fois encore que mon sosie ne pensait pas se planquer ici. Je fouille désespérément. Je ne trouve rien. Cet appartement est aussi mort que son locataire. Pas moyen de lui arracher le moindre indice. En désespoir de cause je pénètre dans la minuscule cuisine. Elle est en ordre ; le compteur à gaz est plombé… Si j’étais dans la vitrine d’un grand magasin je trouverais peut-être davantage de traces. Nom d’un bidet à musique ! pourquoi le Manuel a-t-il loué cet appartement si ce n’est même pas pour y planquer quelque chose ?

Je reviens à la salle à manger et me laisse choir dans un fauteuil. Gisèle ? Cela fait six heures qu’elle est dans les pattes de ses ravisseurs. Peut-être qu’ils l’ont ravée des listes d’état civil… J’ai beau réfléchir, je ne pige pas pourquoi ils se sont emparés d’elle. Si c’était pour se venger du coup de bouteille qu’elle a flanqué sur le dôme du nain, hier, ils n’avaient qu’à la descendre dans la rue sans se faire de mouron, suivant leurs bonnes habitudes.

Je ne comprends pas ! Je ne comprends pas. Je dois avoir une betterave à la place du cerveau.

Bonté divine, je n’ai plus qu’à m’engager à l’Armée du Salut pour laver les nougats des clochards.

Quelle tuile !

Je suis canonnier

Une glace à trumeau située en face de mon fauteuil me renvoie ma gueule catastrophique. J’ai tout du minable. Je suis comme le jongleur aérien qui viendrait de renverser sa tasse de café sur la robe de la souris qu’il cherche à se farcir. Je prépare une collection de noms susceptibles de me résumer, j’en retrouve quelques-uns et j’en invente d’autres, ça me soulage mais c’est pas ce qui rend la liberté à Gisèle.

Il est huit heures du soir et il ne s’est rien produit. Je me tâte : faut-il passer la nuit ici, ou bien dois-je aller me geler les cloches dans les rues avec l’espoir d’y rencontrer un des loustics que je connais ?