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Il ne dit rien. Ses mâchoires sont serrées, ses yeux sont durs et luisants.

— Je te dis que je dirige tout le cirque !

— Et moi je te dis que non, et moi je te dis que tu es un fieffé menteur ! Et moi je te le prouve, tête de pioche ! Si tu étais le grand patron, aurais-tu besoin de passer tes consignes par le truchement des musicos, étant donné que tu vis avec ta bande ?

Mon argument l’étend raide comme un direct du droit.

— Ta bande n’est pas celle des kangourous because les kangourous ont été anéantis, mais elle est au service d’un des rescapés de la fameuse équipe. C’est ce gars qui tient les guides de loin. Il ne veut pas se mouiller, c’est pourquoi il préfère être ignoré même de ses hommes. Il choisit les coups et donne les instructions et les consignes par des moyens savamment combinés. Je suis certain que toi-même ne le connais pas. Tu n’es que le juteux de service. Enfin, puisqu’il n’y a pas d’autres possibilités de correspondre avec le boss, je vais faire comme si c’était toi le tout-puissant.

« Vois-tu, c’est le hasard qui a fait que nos routes se sont croisées. Farous m’a tiré dessus par erreur, ce qui m’a donné envie de le retrouver. J’ai surpris, en briffant, un message en morse ; de fil en aiguille je n’ai pas tardé à comprendre que tout se tenait et comme mon cerveau n’est pas toujours déficient, j’ai eu l’idée d’envoyer un message à mon tour, puisque c’est la mode en ce moment…

« Bref, une chose en amenant une autre, j’ai hérité l’ampoule.

Le gars Aladin avec sa lampe merveilleuse et ses paroles magiques n’obtenait pas de meilleurs résultats. Voilà mon grand Fred qui se lève comme si on jouait l’hymne national. Il est blême et il tremble.

— Qu’est-ce… qu’est-ce que tu dis ?

— Oui, j’ai l’ampoule. Ça t’épate ? Avec San-Antonio tu sais, on peut s’attendre à tout.

J’ouvre une parenthèse : tout à fait entre nous, à partir de maintenant, je marche dans un brouillard vachement épais. Ceci, pour la raison très simple que j’ignore ce que contient la fameuse ampoule. J’ai beau remuer la question, je ne parviens pas à me faire une idée. Seulement je ne puis révéler mon ignorance à Fred car alors il aurait beau temps pour me mener en bateau. Il pourrait, si le cœur lui en disait, me jurer que l’ampoule contient la photo de Tino Rossi, et je n’aurais pas d’autres ressources que d’essayer de lui rentrer ses croquantes plus à l’intérieur de la bouche. Donc, la seule façon de conduire ma trottinette, c’est de faire comme si je savais tout. Vous mordez ? Gi go ! je referme ma parenthèse pour éviter les courants d’air.

Il répète :

— T’as l’ampoule…

Du même ton qu’il dirait « t’as la chtouille ». Il commence à me courir. Jamais je ne pourrai me rancarder sur ce bing s’il débloque.

— N’en fais pas un chabanais. J’ai ce machin d’accord. C’est ce qui me permet de débarquer les mains dans les profondes au milieu d’une bande de foies blancs. Cette ampoule est en lieu sûr. Si par hasard il m’arrivait un pépin, simplement que je glisse sur une peau de banane, elle irait tout droit chez les matuches. Et pour te la procurer il faudrait que tu mobilises un corps d’armée. Autre chose, faut pas compter non plus me faire dire où elle est par des moyens violents. Même si j’avais un moment de faiblesse le tuyau ne vous servirait à rien. J’ai porté le petit paquet chez les bourres. Je ne leur ai pas indiqué la nature de son contenu, mais je leur ai seulement dit que moi seul avait le droit de venir le reprendre et que, même si un messager se présentait avec un mot authentique de moi, la meilleure chose qu’ils auraient à faire serait d’encabaner le zig et de lui filer une bonne danse histoire de lui faire dire l’endroit où je me trouve.

Fred me contemple d’un air pensif.

— En somme, demande-t-il, tu exiges quoi ?

— Parle pas comme ça, tu rends la conversation difficile.

— Combien ?

Je hausse les épaules.

— Minute blondinet ! Avant de parler affaires il me faut certains renseignements. Tout d’abord je veux savoir à qui vous avez fauché ce truc.

Il paraît on ne peut plus surpris par ma question.

Puis son visage s’éclaire ; il s’imagine que c’est pour le charrier que je lui ai demandé ça.

— Fais pas l’âne pour avoir du son, San-Antonio. Tu sais parfaitement que nous avons attrapé ça dans l’usine d’Alsace où les Frisés mettent l’invention au point.

Je fais l’astucieux :

— D’ac, j’étais rancardé à peu près, mais ce que j’ignore, mon vieux patachon, c’est la destination que vous comptez lui donner. Je suppose que si vous avez crevé ça aux vert-de-gris c’est pas pour l’exploiter vous-même. Je doute aussi qu’un particulier s’intéresse à la question…

Fred se gratte le blaire.

— P’t-être que le patron a l’idée de fourguer l’ampoule aux Ricains…

— Bon, je m’en doutais. Dans ces conditions tout peut s’arranger. Voici mon point de vue : vous me rendez la liberté ainsi qu’à Gigi et c’est moi qui remets l’ampoule aux intéressés. Je ne demande rien pour mon dérangement, seulement je veux m’assurer que l’intervention va du côté qui me plaît…

Je suis sincère en lui bonissant tout ça. Il le comprend, mais il veut fouiller mon argumentation.

— Qui nous prouve qu’une fois dehors tu n’iras pas rendre le truc aux Boches en leur réclamant un pourliche ? Tu pourrais te faire pas mal de blé dans une chaise longue et ils te flanqueraient la Croix de fer par-dessus le marché…

— Si j’avais voulu agir ainsi, pourquoi serais-je venu ici, hé, corniaud ? Pour risquer de bloquer encore des pralines dans la boîte à bouffe ?

— Non, mais pour délivrer ta poule…

— Soyez poli ! recommande Gisèle.

Ce qui vous prouve bien que dans les circonstances les plus périlleuses, les grognasses tiennent à leur standing.

Je m’approche de Fred et je lui pose la patte sur l’épaule.

— Me fais pas rire, j’ai les lèvres gercées, lui dis-je. Si je m’étais mis copain avec les sulfatés en leur rendant l’ampoule, tu sais ce que j’aurais fait, grand lavement ? J’aurais fait cerner ta crèche par des renforts de police, après quoi j’aurais amené ma forte gueule derrière un haut-parleur et j’aurais dit…

« Alors les petits endoffés, ce qui se passe est plus curieux que les histoires de sortilèges, plus fortiche que le gars Samson qui filait la peignée à ses ennemis avec une mâchoire d’âne, plus fort que de jouer à la main chaude dans un frigo situé au pôle Nord… »

Avant que j’aie le temps de finir ma phrase, voilà qu’une voix s’élève de dehors, une voix énorme et caverneuse : la voix d’un mec qui déconne dans l’embouchoir d’un pavillon et elle hurle, cette voix, avec un accent à découper au sécateur en suivant les pointillés :

Attention, attention ! Nous vous prévenons que la propriété est cernée. Vous avez trois minutes pour vous rendre. Passé ce délai nous incendierons la maison.

J’aime mieux vous dire tout de suite que si le fantôme de Napoléon venait s’asseoir sur mes genoux en jouant de l’harmonica je serais moins surpris que par cette intervention.

La porte s’ouvre. Toute la clique de Fred, nabot en tête, entre en vociférant. Comment ils sont mauvais, les copains…

— Les Allemands ont cerné la maison ! beuglent-ils. Il y en a plus de cent. Nous sommes ficelés !

C’est bien mon avis aussi. Car voilà le bouquet : les doryphores ! Tant qu’il s’agissait de lutte sourde contre un gang, je pouvais foncer de bon cœur ; les armes s’avérant à peu près égales, de par mes attaches solides à la police. Mais maintenant tout est changé. Sans blague, si j’avais su que les choses tournent ainsi je me serais tenu peinard. Parce que, avec les Frisés, il n’y a pas d’espoir à avoir. Découverts au milieu d’une bande de loustics accusés de vol de documents secrets, Gigi et ma pomme sommes à point pour le pardessus de sapin.