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— Mademoiselle, figurez-vous que ma maman vient toujours m’embrasser au lit le matin de Noël… Ça vous choquerait de la remplacer au pied levé ?

Encore un truc de choix pour amadouer les colombes : le coup du sentimental qui larmoie en parlant de sa vioque !

Elle hésite puis s’approche de mon page. Elle se penche et j’en profite pour glisser un regard de sympathie à ses roberts. Un regard amical qui signifie : à bientôt ! Je sens ses lèvres se poser sur ma joue. Ça me fait plus d’effet qu’un cataplasme de farine de lin. Je la saisis par le cou et je lui paie ma tournée. Après un bécot comme ça, elle peut aller sur la terrasse faire des mouvements respiratoires.

— Vous allez vite !

Elles n’ont pas pour dix ronds d’imagination car elles disent toutes ça. Vache à lait ! elles sont assez contentes qu’on aille vite.

Je me souviens qu’en 37 j’ai connu une poupée à Amsterdam qui me faisait le truc du je-ne-serai-à-personne. Quand je lui filais une claque sur le train, elle parlait d’aller chercher son vieux père… Pour vous dépeindre le genre de ce lotissement.

Elle a fini par tellement me courir sur les moyeux que je m’en suis désintéressé. Eh bien c’est elle qui est venue un matin à mon hôtel sous le prétexte de me demander si la tour Eiffel se trouvait bien en face du palais de Chaillot.

— Maintenant, dis-je à la petite, ce serait tout à fait bien si je savais quel prénom sert à désigner un châssis comme le vôtre…

— Je m’appelle Florence.

— Je referais bien un petit voyage dans votre banlieue.

Elle ne s’approche plus du lit et le baiser que j’escomptais est remis à plus tard. Comme elle regarde fréquemment du côté de la porte, je comprends qu’elle redoute l’entrée d’un des hommes.

— Dites-donc, m’selle Florence, j’aimerais connaître certains détails sur vous et les vôtres. Tout ce que je sais c’est qu’ils m’ont repêché et qu’ils s’occupent de machins dangereux…

Elle ne répond pas tout de suite car elle est en train de faire dissoudre quelques cachets dans un verre d’eau chaude.

— Tenez, avalez ça, vous devez faire un peu de température…

Quand j’ai englouti sa pharmacie, elle s’assied à mon chevet.

— Maman est morte. J’habite avec mon père et mes deux frères. Notre nom est Renard. Papa est un ancien architecte retiré des affaires. Mes deux frères préparent — disent-ils — une licence de quelque chose. Moi je prépare les repas… Ça vous suffit ?

— O.K., votre fiche est mise à jour dans mon cœur !

Le papa Renard fait une entrée discrète. Souvenez-vous qu’il n’a pas les châsses dans un parapluie. Tout de suite il renifle du flirt dans l’air et il dissimule un petit sourire amusé.

— Vous avez bien dormi ?

— Comme le petit Jésus dans sa crèche…

— À la bonne heure. Florence, veux-tu nous laisser un instant ?

Ce dab a une fameuse autorité dans sa tribu. Ma seconde infirmière sort immédiatement comme si on l’appelait au téléphone.

— Monsieur, commence Renard, j’ai appris par les communications téléphoniques que vous avez passées cette nuit, que vous étiez le commissaire San-Antonio. Comme beaucoup j’ai entendu parler de vous. D’après la scène à laquelle j’ai assisté, je suppose que vous travaillez en étroit contact avec Londres ?

— Pas encore…

Il hausse un sourcil.

— Je vous demandais ça, parce que c’était la déduction que j’avais tirée de vos démêlés avec les Fritz. Je voulais vous dire qu’au cas où vous auriez voulu passer un message de l’autre côté, je suis à votre disposition…

— Merci. Vous m’intéressez prodigieusement. Jusqu’ici je m’étais tenu en marge des événements, mais le moment est venu où il faut agir. En voulant régler un compte, je suis entré en possession de quelque chose susceptible de remplir de joie les Alliés. Ma décision est prise. Il faut que j’aille à Londres, vous avez un poste émetteur ?

— Oui.

— En ce cas, soyez assez bon pour me donner de quoi écrire, je vais vous préparer un message.

Il me tend un bloc et un crayon.

Je suce un instant la mine, puis je me décide. Voici le texte qui va être transmis à Londres :

À sir Montlew, I.S., London.

Commissaire San-Antonio, désire deux passages.

Urgent. Pour remettre documents d’une extrême importance.

— Tenez, monsieur Renard, transmettez ça au plus tôt et demandez une réponse rapide.

Il prend la feuille de papier et se dirige vers la porte.

— Monsieur Renard…

Il tourne vers moi son visage ouvert de brave homme.

— … merci.

— C’est moi qui vous remercie… au nom de la bonne cause !

Ces paroles historiques dûment échangées, nous reprenons nos occupations respectives. Les miennes consistent à me caler contre mon oreiller et à attendre le retour de la ravissante Florence. Il ne tarde pas… Comme dans un ballet bien réglé, dès que son daron les met, elle entre côté jardin.

— Ce qu’il y a de contrariant avec vous autres, les hommes, fait-elle, c’est que vous avez toujours un tas de mystères à cacher. Vous êtes de vrais gosses. Vous jouez toute votre vie à Nick Pinkerton.

— Et vous, ma douceur, à quoi aimez-vous jouer ?

Elle laisse tomber la question comme un objet trop lourd.

Cette gosse est une des merveilles de la nature, souvenez-vous, bandes d’eunuques ! que j’en ferais bien ma bergeronnette. Vous devez penser que je suis un bougre bien instable et que j’oublie facilement la môme Gisèle… Là, vous vous gourez ! Vous vous souvenez de cette vieille chanson française qui raconte le blaud d’un pauvre moujingue qui faisait tout un chabanais parce que son daron s’était remarié ? Il disait qu’il n’avait pas le palpitant assez mahousse pour pouvoir aimer deux mômans. P’t-être qu’il avait pas tort le gosse ; mais en ce qui me concerne, mon cœur à moi est grand comme une caserne et je peux y faire tenir autant de persilleuses que je veux. C’est bien commode ! Florence s’aperçoit que je la mouchaille et elle rosit. La pudeur lui va à ravir. J’adore les femmes pudiques, même si c’est du bidon. Je me mets à monter tout un chopin à celle-ci, lui racontant que ce Noël est le plus merveilleux de mon existence et que pas un petit gars de France n’a trouvé ce matin un pareil biscuit dans ses pompes. Elle boit mes paroles comme du muscadet. Je vous parie la photographie de Roosevelt contre un abonnement au Chasseur français, qu’elle n’a jamais rencontré de péquenot capable de lui chanter cet air-là… Dommage que son dab soit dans la carrée parce que je lui ferais le grand jeu…

Mais il y est, le dab… Le voilà qui revient, la mine satisfaite comme si on venait de le nommer commandeur de la Légion d’honneur.

— Tout va bien, me dit-il. J’ai envoyé votre message. Il ne nous reste qu’à attendre la réponse.

— Pensez-vous qu’elle tarde ?

— Je crois que nous l’aurons dans l’après-midi, tout dépend de la rapidité avec laquelle il parviendra à la personne que vous désirez contacter…

Je me sens en pleine forme. Les cachets de Florence ont fait dégringoler ma fièvre et il ne reste en moi qu’une sorte de voluptueuse excitation.

— J’aimerais bien me lever, dis-je. Je ne voudrais pas troubler vos fêtes.

Le père Renard secoue sa belle tête grise.

— Il n’y aura pas de fête pour nous avant la victoire finale. Vous ne troublez rien, bien au contraire. Vous allez passer la journée avec nous. Il sera bien temps pour vous de regagner Paris demain matin, n’est-ce pas ?