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C’est proposé de si bon cœur que je me sens incapable de refuser. D’autant plus que, derrière le dos de son paternel, Florence me supplie du regard.

— Vous êtes de bien braves gens…

— Allons donc !

— Je vais donner un coup de fer à vos vêtements qui doivent être secs, fait la jeune fille.

Renard s’approche de mon lit.

— Courage ! La lutte décisive va bientôt commencer…

Tu parles si j’en ai du courage ! je pourrais même en vendre un plein tombereau si c’était une denrée négociable…

Nous restons un long moment à discuter de la situation. Mon hôte est du genre patriotard. Je parie que c’est le type qui, avant-guerre, faisait ce que beaucoup de types de son âge font en ce moment : c’est-à-dire qu’il se coiffait de son béret basque et portait un fanion quelconque dans les cortèges d’anciens combattants, en marchant au pas.

En tout cas, il n’a pas froid aux châsses.

Sur le coup de midi, habillé comme un roi, je fais mon entrée dans la salle à manger rustique où règne une chaleur qui achève de me rebecqueter. Les fils qui étaient sortis toute la matinée sont de retour. On me dit leur nom : le plus vieux s’appelle Roland et l’autre Maurice. Ils sont sympas. Je les sens émoustillés par ma présence. Ils m’attaquent illico pour que je leur raconte ma vie aventureuse. J’ai l’habitude d’être sollicité pour ce numéro de confidences palpitantes. Je ne me fais jamais tirer l’oreille. Pas que je sois particulièrement vantard, mais j’aime assez montrer au profane qu’un matuche n’est pas toujours un gros friquet, chaussé de godasses à clous et muni d’un parapluie d’escouade. D’autant plus que lorsqu’une pépée dans le gabarit de Florence fait partie de l’auditoire, c’est pas désagréable de poser les caïds.

Je relate succinctement certaines de mes enquêtes dont la presse a parlé en temps utile, mais en révélant des à-côtés ignorés des journalistes.

Les jeunes gens se croient revenus à l’âge de douze ans et assistent à ma causerie comme à un film à épisodes.

Le père Renard aussi est conquis. Quant à Florence, sa poitrine est gonflée par l’émotion…

Je fais mon petit mariole. Je dis tout et j’en rajoute. Je leur fais le bon poids… À mesure que je m’écoute parler, je me sens transformé en preux chevalier. Je suis le type du siècle ; le manche qui remplace l’huile d’olive, le héros fier et doux… Lorsque, épuisé, je me tais, il ne me reste plus assez de salive pour remercier le fils aîné qui me remplit mon glass.

Le papa Renard liquide sa cave. Il a quelques vieilles bouteilles qui n’attendaient que moi pour être vidées.

Nous passons un Noël épatant. Nous sommes encore à table à l’heure du dîner. Les deux fils s’excusent parce qu’ils sont invités chez des copains. Je les vois partir sans tristesse… Moins il y aura de pégreleux autour de Florence, plus j’aurai de facilités pour lui faire comprendre que je m’intéresse davantage à elle qu’à la ligue des pères de famille vertueux.

Quand les garçons se sont taillés, Renard se lève et me dit qu’il est l’heure d’aller faire sa petite cuisine au grenier. Vous parlez si je l’excuse ! Il peut y passer la nuit dans son grenier, à jouer au fantôme-à-la-jambe-de-bois ; tout ce que je vois dans l’histoire, c’est que me v’là en tête à tête avec ma petite Florence. J’ai idée de m’offrir mon cadeau de Noël… Dès que nous sommes seuls, je toussote. Un sourire naît sur les lèvres de la belle enfant.

— Alors, mon amour ? je lui fais…

Son visage s’éclaire comme l’enseigne d’un bar au crépuscule. Je m’approche d’elle, la main en gant de boxe. Elle se laisse empoigner la taille sans appeler Police-Secours.

— Je me souviens plus si votre rouge est à la groseille ou à la violette…

Elle me fait goûter… Il est à la pervendée. J’aime ce parfum et j’en reprends.

Surtout, croyez pas que cette mousmé soit une petite grue ! C’est au contraire la marquise qui doit défendre sa vertu par tous les moyens ; mais elle en pince tellement pour ma trompette que, si je voulais, je réussirais à la faire marcher au plafond…

Y a rien de plus docile que les filles farouches lorsqu’elles ont trouvé le jules de leur rêve.

Je vous jure qu’on ne s’embête pas tous les deux…

Quand le père Renard descend de son pigeonnier, nous sommes sagement en train de faire une belote. C’est un tableau familial charmant. De quoi fendre le cœur d’un crocodile !

— Hourra ! triomphe mon hôte. J’ai la réponse à votre message. Vous devez être rudement bien connu à l’I.S. car votre voyage est pour demain soir…

Il m’explique que la personne qui m’accompagnera et moi devons venir chez lui demain avant la nuit. Il nous conduira en automobile dans le Vexin où se trouve un terrain d’atterrissage clandestin.

Je suis tellement satisfait de la tournure que prennent les événements, que je lui donne l’accolade. Ses yeux s’embuent de larmes.

L’instant est à ce point émouvant que si des gendarmes nous voyaient, ils nous feraient le salut militaire.

Je retrouve la môme Gigi

Il s’agit de faire vite et surtout de ne pas se laisser mettre la patte sur le râble au moment où tout déguille bien.

Pour camoufler un peu ma remarquable physionomie, je me fais tailler les crins en brosse par un merlan de Poissy, le lendemain matin, et je m’affuble d’une paire de lunettes que m’a donnée Renard. Ainsi déguisé, je ressemble à un instituteur hollandais. Les verres des bésicles me gênent considérablement car ce ne sont pas des verres à la gomme. Ils grossissent terriblement mon entourage. Ainsi j’ai tendance à prendre le chat de la maison pour un tigre du Bengale et la maison elle-même pour le palais du Louvre ; va falloir que je fasse gaffe de ne pas passer par les trous de rats dans un moment d’inattention.

Je dis au revoir à mes hôtes et je saute dans le premier train en partance pour Paris.

Deux heures plus tard, je suis dans le bureau de Guillaume. Je lui explique une partie de mes aventures. Je ne fais allusion ni à l’ampoule ni à mon imminent départ pour l’Angleterre. Je tiens à mettre le maximum de chances de mon côté ; par conséquent, il convient avant tout d’éviter la moindre indiscrétion.

— J’ai eu un coup de téléphone de votre petite, me dit mon collègue. Tout s’est bien passé. Ainsi que je vous l’avais dit, j’ai posté mon gros Bibendum devant sa porte et il lui a passé la consigne. Elle m’a tubé une heure plus tard en me priant de vous dire qu’elle se trouve au Royal-Bretagne, rue de la Gaîté. Sans en entendre davantage, je me trisse. Je me fais débloquer un taxi et je fonce au commissariat de l’Étoile. J’ai la chance de trouver mon brigadier, lequel me restitue l’ampoule.

Ouf, ça va mieux. Je me sens plus tranquille car je redoutais de ne pas trouver mon précieux dépôt. En cette fichue période d’occupation, on n’est sûr de personne. Y a même des moments où je doute de moi. Et pourtant je me connais depuis longtemps et je peux me fournir des références…

Je dis au chauffeur de mettre le cap sur Montparnasse.

Quelle joie de retrouver ma petite infirmière ! Faut pas croire que parce que j’ai fait du rentre-dedans à Florence je me désintéresse de Gigi. Au contraire, de l’avoir un peu doublée m’a permis de l’apprécier… Et puis ça n’est pas la peine que je me cherche des excuses : je suis comme ça et pas autrement. Moi j’adopte la devise du tordu qui a dit : Vivons l’instant ! je crois vous l’avoir dit. En voilà un qui en connaissait un brin sur la question. Il savait que ceux qui se cassent la prostate avec des histoires de fidélité, de remords, d’à-toi-toujours sont des locdus, des endoffés et des peigne-zizis.