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— Alors ? demande-t-il. Quelle est votre réponse ?

— Mon Dieu, il me semble que je n’ai pas le choix… Seulement je mets à mon acceptation deux… je n’ose pas dire conditions ; mettons que je formule deux vœux.

— Je vous écoute.

— Eh bien, je voudrais que vous ne me jetiez pas dans les jambes une compagnie de panzers sous prétexte que je ne suis libéré que sous condition. La partie que je vais avoir à jouer sera délicate, je ne tiens pas à ce que ma liberté d’action soit entravée par quelques anges gardiens. Vous me comprenez ? Je vous parle franchement ; sans la moindre arrière-pensée…

— Et le second vœu ?

— Il est modeste : en ce moment, le rêve de ma vie serait de me taper un sandwich… Depuis deux jours je n’ai absorbé qu’une carotte et un bol d’eau chaude…

Karl sonne un larbin et lui ordonne de me servir un repas froid.

— À la bonne heure ! dis-je, je préfère discuter dans une ambiance cordiale.

Je me mets à croquer en évitant de me laisser aller à la gloutonnerie. Je ne veux pas que ces pignofles aillent raconter que San-Antonio s’est conduit comme un chien affamé. Je lève le petit doigt en mangeant et je tâche de mettre à profit toutes les recettes de ce guide des bonnes manières que j’avais trouvé dans le tiroir de la table de nuit d’un faux baron.

Tandis que je me restaure, ces messieurs dames reprennent leur conversation en chleu.

Je me tourne vers Greta.

— Dites, ma princesse lointaine, vous ne savez peut-être pas que malgré nos petits différends et même malgré qu’il vous arrive de prendre ma joue pour un cendrier, j’en pince terriblement pour votre carrosserie. Je crois vous avoir prouvé antérieurement que votre ligne ne me laisserait pas insensible… Si vous vouliez, on signerait un petit armistice tous les deux, hein ?

Elle me regarde derrière la fumée de sa cigarette. Ses yeux sont presque verts… Entre ses lèvres sensuelles j’aperçois ses dents éclatantes.

— Si je vous filais un petit ranque pour demain, vous viendriez ?

— Ce serait à voir.

— Notez, poursuis-je, afin de dissiper ses hésitations, que si la chose se savait par ici, ça n’aurait aucune importance. Vous pourriez dire que vous me faites du charme afin de mieux me surveiller. Le plus marrant c’est que ça doit être vrai. Mais tant pis ; j’ai trop envie de vous serrer dans mes bras pour analyser les raisons qui vous poussent à m’accorder certaines faveurs.

— D’accord, chuchote-t-elle.

— Rendez-vous au Pam-Pam de l’Opéra ?

— Si vous voulez…

— On dit quatre heures de l’après-midi ?

— On le dit.

Satisfait par ce résultat, je morfille un steak-cresson. Bon, les choses se mettent au beau fixe.

Dans le milieu de l’après-midi, rasé de frais, je quitte les sulfatés. Karl m’a fait rendre une partie de mon pognon. Avant que je sorte il me montre la cage à oiseau où le pauvre rat tourne en rond inlassablement.

— N’oubliez pas cette petite bête, surtout…

— N’ayez pas peur.

— Voici notre numéro téléphonique. Au cas ou vous auriez besoin de renfort, n’hésitez pas.

— Entendu.

— Une dernière mise au point, déclare le faux Renard, je vous donne huit jours pour réussir. Ce délai passé, le rat aura de quoi se satisfaire…

Je ne réponds que par un geste vague. Et je sors.

À un de ces quatre !

Des entêtés

Ça fait du bien de retrouver l’air de la capitale. Je m’en mets plein les trous de nez.

Je parie que vous avez des idées bien arrêtées sur la conduite que je vais tenir ? Vous pensez que je vais emboucher le cor de chasse pour sonner l’hallali… Vous me voyez déjà bousculer les pots de fleurs pour retrouver le solde de la bande des kangourous… Eh bien, si vous pensez tout ça vous vous faites des idées de midinettes. De retour à Paris, je rentre dans un bar pour boire quelques grogs très costauds, après quoi je vais au cinéma. Parfaitement, au ciné ! et si quelqu’un trouve à y redire, il a qu’à amener son menton, je m’en vais lui le rectifier d’urgence.

Ce que je joue en ce moment, c’est ma peau et celle de Gisèle. Ça mérite qu’on prenne des précautions, non ? C’est pas en faisant du zèle qu’on obtient des résultats plus probants. Je veux agir à coup sûr. J’ai une idée qui me trotte dans le caberlot, et il faut que je la laisse éclore convenablement. C’est quand elle sera bien mûre que je la cueillerai.

Je vais grailler à Dupont Montmartre, puis je me mets en quête d’un hôtel où les puciers sont confortables. J’en dégauchis un du côté de la porte Saint-Martin. C’est plein de tapineuses dans ce coin, mais tant pis, je suis pas conformiste. Une vieille morue pensionnée de l’État me demande si une piaulette au troisième me va. Je lui dis que oui, je règle ma chambre et je grimpe les escadrins. La vieille me rappelle pour me demander à quelle heure on doit me réveiller demain. Je lui dis de ne pas perdre ses globules rouges à ce sujet et de me laisser roupiller trente-quatre ans si c’est nécessaire.

Je ne mets pas longtemps pour me désaper et piquer une tête dans les plumes. Le lit est la plus belle conquête de l’homme après le cheval et le chewing-gum.

Je ronfle bientôt comme une escadrille.

Et voilà que je me mets à rêver. Je me vois dans un train avec la môme Gigi. Je lui explique le principe des vases communicants. On ne s’ennuie pas ! Tout à coup, y a un tamponnement. Nous sommes engloutis sous une montagne de ferraille.

Je me débats… Je ne sais pas bien si je viens de me réveiller ou bien si mon rêve prend une autre tournure. Je n’hésite pas longtemps : pour être réveillé je le suis, mais savoir si je le resterai longtemps, that is the question, comme dirait mon pote Shakespeare. Figurez-vous qu’y a un gnaf dans ma piaule qui est en train de me taper sur la calebasse avec ce que le médecin légiste appellera demain un instrument contondant. Heureusement pour ma praline, je l’avais carrée sous l’oreiller. Dans l’obscurité, l’agresseur ne s’en est pas rendu compte. Tout étourdi je me remue. J’y vais avec les pieds, avec les mains… Je veux pas me laisser posséder de cette façon-là. Moi j’aime bien voir les types qui essaient de me refiler des billets de repos éternel. Enfin j’arrive à me dégager. Au moment où je peux sortir la tête de sous ce providentiel oreiller, j’en prends un dans le naze qui me fait voir la Croix du Sud. Ça se met à pisser sur ma bouche. Je saigne comme un goret à l’abattoir. Un autre coup arrive à bon port sur ma pommette droite. Cette fois, c’est un Constellation qui s’épanouit sous ma voûte. Un feu d’artifice. Oh, la belle bleue ! Vive Monsieur le Maire ! Le cannibale doit se servir d’un fer à repasser, je peux garantir en tout cas qu’il ne me cogne pas avec une fleur en papier gaufré. C’est inouï tout ce qui vous passe dans la tête en pareil cas. Et des choses ahurissantes, parole ! Je me dis que je dois être solide comme le granit pour tenir le coup sous un tel martelage. Oh ! ma douleur ! quelle distribution. Je vais finir par me fâcher. Je me protège des deux bras afin de me donner le temps de surmonter ce knock-down. Je respire un grand coup, je renifle mon raisiné et je me jette en avant.

Me voilà enfin hors du lit. Le gars ne s’arrête toujours pas de frapper. Je le reconnais à sa taille : c’est le nain !

Alors je me dis qu’il y a une pointe d’abus ! Je ne vais toute ma vie encaisser des danses de ce petit truc hargneux. S’il a échappé aux Fridolins, il n’aura pas eu la possibilité d’utiliser longtemps sa liberté. Bougre ! Je lui bondis sur le poil et le culbute. Il lâche l’objet qui lui servait de pilon. Je m’en empare à tâtons. Il s’agit d’une clef de fer dont se servent les balayeurs pour ouvrir et fermer les conduites de flotte. Il profite de cet effort que je fais pour me mettre un coup de pompe dans le creux de l’estomac. Une nausée effroyable me noue la gorge. J’ai le souffle coupé. Je tiens bien une des branches de la clef mais je suis incapable de la soulever. Ce serait une cuillère à café, je ne pourrais pas davantage.