Le nain se couche sur moi et me saisit le cou. Je le laisse faire. Ses mains de gamin ont une puissance effrayante. Il va me pulvériser le larynx ! Alors si je comprends bien, c’est le moment d’essayer quelque chose. Je me laisse aller et m’applique à devenir tout flasque. Il relâche son étreinte. C’est ce que j’attendais avec une impatience facile à deviner. D’une suprême détente je le repousse, après quoi je lève la clef et l’abats de toutes mes forces sur le nabot. Je n’ai pas visé, mais je pense que sur quelque partie que ce soit qu’il reçoive cette beigne, elle lui donnera matière à réflexion.
Un choc sourd, puis plus rien !
Je me relève et j’allume. Le spectacle n’est pas des plus beaux. Le nain est bon à jeter à la poubelle. Son crâne a éclaté comme une coquille de noix. J’y suis allé de trop bon cœur. Néanmoins je n’ai pas de regrets. C’était ou lui ou moi. Je préfère que ce soit lui.
Je vais à la porte et examine la serrure : elle est intacte et la targette est tirée. Je me dirige du côté de la fenêtre et je constate qu’elle est ouverte. Elle donne sur le balcon qui longe la façade. Je suis ce balcon et m’arrête devant chaque fenêtre. Enfin je trouve ce que je cherche : une chambre vide. Justement sa fenêtre est ouverte ce qui n’est pas commun au mois de décembre. Je pénètre dans la pièce. Une paire de souliers m’indique qu’il s’agit bien de la chambre du nain. Je fais un paquet des effets du petit homme et j’emporte le tout dans ma chambre.
Pas besoin de se gaver de phosphates pour comprendre que le nain m’a suivi dans l’après-midi et s’est débrouillé pour obtenir une chambre au même étage que moi. Il faudra que j’éclaircisse cette question demain. Ou plutôt tout à l’heure, car il est près de deux heures du matin.
Je roule le nain et ses effets dans la carpette et je repousse le tout sous mon lit. Ensuite je ferme soigneusement la croisée et la bloque avec une chaise. Puis je mets du papier journal froissé devant la porte, afin de ne pas être surpris, au cas ou un autre mec essaierait de me dessouder.
Je me recouche et me rendors.
Pas tant de manières !
Je pionce sans escale jusqu’au matin. Ça vous la coupe parce que vous pensez au cadavre du nain sous mon paddock. Il vous semble qu’il est impossible d’en écraser avec un passager de cette nature sous son dodo ; mais détrompez-vous : je n’ai pas plus peur d’un macchabée que d’une petite fille coiffée à l’ange. L’avantage que les morts offrent sur les vivants, c’est qu’ils ne vous brisent pas la nénette. Y a rien de plus tranquille… Quant aux fantômes, si jamais y en avait un qui prenne la fantaisie de venir me faire tartir, je gueulerais si fort qu’il se sauverait en courant et qu’il irait se barricader dans un bon vieux château écossais en ruine.
Je fais ma toilette et je me réunis pour statuer sur la situation. Ce cadavre ne me trouble pas, mais il m’encombre.
Si jamais le garçon d’étage le découvre en passant l’aspirateur, il va attraper une jaunisse tellement carabinée que les clients le prendront pour le mikado. Bien sûr, j’aurais la ressource de prévenir Guillaume, mais je ne tiens pas à entrer en contact avec mes collègues. Ce qu’il me faut avant toute chose, c’est la tranquillité et le repos.
Je décroche le bigophone et je demande le numéro de la tante Amélie chez qui maman s’est réfugiée. Justement c’est Félicie qui répond.
— Ah ! c’est toi, mon grand, elle fait. J’étais en soucis, tu sais… Tu devrais me donner signe de vie plus souvent.
Je lui explique que je n’ai pas pu et que, du reste, il vaut mieux que les Allemands ignorent mon adresse. Or rien n’est moins sûr que le téléphone en ce moment.
— Dis donc, M’man, tu as la grande valise chez tante ?
— Oui.
— J’en ai besoin ; un besoin urgent.
— Tu pars en voyage ?
— Ça se pourrait, mais je te donnerai de mes nouvelles, n’aie pas peur. Pourrais-tu me faire livrer cette valise tout de suite ?
Elle acquiesce et je lui refile l’adresse de mon hôtel.
— À bientôt, M’man, te fais pas de mouron.
Il ne me reste plus qu’à attendre l’arrivée de la valise. Si au moins j’avais une cigarette pour passer le temps !
Je fouille dans les poches du nabot et je découvre un paquet de sèches égyptiennes.
— C’est vilain de fumer, quand on est un petit garçon, lui dis-je en empochant le pacson.
Une heure plus tard on frappe à ma porte. J’ouvre : c’est Félicie avec sa grande valtouse.
Je lui fais une sortie du diable.
— Dis, M’man, t’es complètement sinoquée de t’amener ici. Je t’ai dit…
Elle me saute au cou et le reste de mes protestations se perd dans la fourrure de son renard. Ce renard, je le lui ai toujours vu sur les épaules l’hiver. C’t’un vieux copain. Il est rigolo avec ses yeux de verre et son museau pointu. Je l’appelais Alfred quand j’étais lardon.
— Tu ne penses pas que j’allais manquer cette occasion de t’embrasser, mon grand.
— Mais y a du danger !
— Y a jamais de danger pour une maman qui veut voir son garçon.
Ce qu’elle est chouillarde cette vieille ! J’en ai le palpitant tout déglingué.
Elle pose la valise sur le lit.
— Tu vas où ? demande-t-elle.
— Ben…
— Dis donc, tu as pas l’air d’être très fixé sur la direction…
— C’est-à-dire, Maman…
C’est fou ce que je peux me déballonner facilement devant ma mère… Je suis le petit moujingue…
— Allons, fait-elle en soupirant, puisque tu ne veux rien me dire je n’insiste pas. Où sont tes effets, je vais te préparer ta valise car, comme je te connais, tu vas tout mettre en vrac.
Ça c’est le coup dur.
— Te donne pas c’te peine, M’man, d’abord il faut que j’achète des fringues…
— Mais tu n’y penses pas ! s’exclame-t-elle. Tu as deux costumes tout neufs à la maison. Je vais les faire prendre…
Alors je me décide à la mettre dans la combine. J’ouvre la valise et je me penche. Je ramène de sous le lit ce que vous savez… Félicie écarquille les châsses comme si on lui montrait la tête d’Adolf accommodée avec du persil.
— Te trouve pas mal, petite mère. C’est pas un gosse, c’est un salopard de nain qui a cherché à me buter cette nuit.
Je lui raconte par le menu, l’attentat dont j’ai été victime.
— Tu comprends, dis-je pour conclure, il faut absolument que j’évacue ce truc-là de l’hôtel sans provoquer un attroupement ; alors je me suis dit que cette valise ferait bien l’affaire.
Tout en parlant j’y fourre le corps du nain. Il tient au petit poil. Y a des cercueils sur mesure qui vont moins bien à leur propriétaire !
— Maintenant sauve-toi !
Je l’embrasse une paire de fois et elle se tire sans protester, elle est toute chavirée, la pauvre.
— Fais bien attention ! supplie-t-elle en s’éloignant.
J’attends qu’elle ait pris du champ et je sors de ma piaule à mon tour.
Comme je passe devant la caisse, la vieille morue pensionnée de l’État m’arrête.
— Vous savez qu’un de vos amis, un tout petit monsieur est venu vous demander, hier au soir ?
— Oui, je sais.
— Il a voulu que je lui donne une chambre à proximité de la vôtre.