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Le matuche nous fait un salut impressionnant.

— Le cadavre est dans la salle à manger, fait-il.

— Alors, il ne nous reste plus qu’à passer à table.

Le zig est complètement siphonné.

Nous entrons dans l’appartement où les types de l’identité crachent du magnésium.

— Ce que vous branlez là ? gueule un type de deux mètres de haut sur trois de large.

Je cherche à regarder ce qui se passe derrière cet Himalaya de barbaque et j’aperçois Guillaume.

— Hep ! Guillaume…

Il se détourne et regarde dans ma direction. Mais comme les meules de son subordonné ne sont pas transparentes, il prend le parti de les contourner.

Quand il me voit, il fait un pas en arrière. Sa bouche s’ouvre tellement qu’on s’attend à en voir sortir une rame de métro.

— Mais…, balbutie-t-il. Mais…

À ce moment, l’énorme poulet m’examine. C’est un garçon qui doit posséder à peu près autant d’intelligence qu’un kilo de choucroute. Pendant que son cerveau met à assimiler les images inscrites sur sa rétine, nous aurions le temps de prendre un bain de pieds. Mais tout finit par arriver. Malgré que ses pensées circulent dans son crâne comme les billes d’acier d’un billard électrique, il réalise ma ressemblance avec le mort et il émet un bruit qui tient du cri de guerre des Indiens Comanches (à balais) de la corne de brume et de la plainte témoignant de l’orgasme chez les kangourous femelles.

— Nom de Zeus, chef ! bavoche-t-il.

Tout ce micmac a attiré l’attention du médecin légiste et du photographe. Imitant leurs collègues, ils me fixent d’un air abasourdi.

— S-S-S-S-San-Antonio ! s’exclame enfin Guillaume.

— Soi-même, mon bon Guillaume.

Je salue l’assistance d’un geste circulaire.

— J’ai appris que je venais d’être assassiné, dis-je. Alors l’envie m’a pris de regarder à quoi je ressemble quand je suis mort.

Je fais signe à Gisèle de rester à l’écart et je m’approche du canapé où on a étendu mon sosie. Pour une sensation, c’en est une. Ma parole, si j’étais resté plusieurs jours sans me voir, je serais persuadé que c’est moi. La ressemblance est extraordinaire : ce macchab a mon visage, ma taille, mes cheveux… Je comprends que le type aux douilles en brosse se soit gouré ; la chose n’est pas surprenante puisque mes collègues eux-mêmes n’ont pas hésité à m’identifier…

— Dites donc, si j’avais connu ce pèlerin à l’époque où il consommait de l’oxygène, nous aurions pu monter un joli numéro de claquettes tous les deux.

Le médecin légiste retrouve ses esprits.

— Il n’y a que des jumeaux pour se ressembler ainsi, dit-il. Guillaume renchérit. Il me serre la main avec effusion.

— Ce que je suis heureux que vous soyez vivant, chef. Vous voyez : malgré qu’à cette fichue époque le cadavre d’un homme ne compte pas, nous avions décrété le branle-bas de combat.

— Merci de cette touchante attention.

Gisèle toussote. Les pépées, dès qu’on cesse une minute de faire attention à elles, elles se foutent en renaud et sont prêtes à tirer un feu d’artifice dans leur culotte pour récupérer les regards de l’honorable société.

Assez gêné, je la présente à ces messieurs :

— Mademoiselle Gisèle Maudin, mon infirmière.

Elle ramasse les hommages des policiers et s’approche du canapé. Pourvu qu’elle ne fasse pas un cirque ! Heureusement non. Il est vrai que, de par sa profession, elle a l’habitude des morts. Elle regarde cordialement la victime.

— Inouï !

Ouf ! J’avais peur qu’elle déclame des trucs immortels sur le hasard, les phénomènes de mimétisme et la suite…

Pour détourner l’attention, je questionne :

— Vos conclusions, toubib ?

— Deux balles dans la région du cœur, tirées de bas en haut. Je suppose que cet homme descendait ses escaliers lorsqu’on l’a assailli. Il n’est pas mort sur le coup. Il a eu le temps de gagner la rue et c’est là qu’il est tombé, foudroyé.

Guillaume ajoute :

— Le plus curieux, c’est que personne ne le connaît dans l’immeuble. La concierge ne l’avait vu qu’une ou deux fois. Il n’habitait ici qu’épisodiquement. Étant persuadé qu’il s’agissait de vous, je pensais que vous aviez loué ce pied-à-terre sous un pseudonyme pour l’utiliser lorsque vous ne pouviez pas rentrer chez vous…

Je le regarde en souriant.

— Pas du tout, mon cher Guillaume, vous pensiez que j’étais mêlé à des histoires de Résistance et que la Gesta venait de me régler ma note. Depuis l’attentat dont j’ai été victime, vous chuchotez tous ça à la grande maison, hein ?

Il rougit et ne répond pas.

Pour le mettre à l’aise, je lui administre une claque dans les reins, assez forte pour lui faire cracher ses poumons s’ils ne sont pas bien accrochés.

— Vous avez trouvé quelque chose d’intéressant ?

— Rien, chef. Cet appartement est impersonnel. Ce type ne devait l’utiliser que très rarement comme l’assure la concierge.

L’Everest de viande et de connerie s’approche de nous.

— Regardez ce que j’ai trouvé, dit-il.

Il ouvre une main large comme un saladier de pension de famille. Nous nous penchons et découvrons un canif au manche en corne sur lequel est écrit un mot : Venganza.

— C’est de l’espagnol, affirme Guillaume, cela signifie : « vengeance ».

— Vous permettez que je le conserve ? Mettons en souvenir de ma mort…

— Je vous en prie, monsieur le commissaire.

J’empoche le minuscule couteau.

— En somme, demandé-je, vous concluez à quoi ?

— Officiellement : crime d’un apache… C’est mieux, n’est-ce pas ? me dit l’inspecteur. En ce moment tout est déréglé. On ne sait pas différencier les crimes des exécutions, les honnêtes gens des voleurs et les héros des traîtres. Je comprends pourquoi vous vous êtes fait mettre en disponibilité. Ce n’est pas drôle d’exercer un métier comme le nôtre à notre époque.

Nous échangeons quelques futilités sur des sujets généraux, après quoi nous quittons tous l’appartement.

— Je vais laisser deux gardes en faction chez la concierge cette nuit, déclare Guillaume, et demain nous ferons transporter votre sosie à la morgue. C’est égal, vous m’aurez fait peur, patron.

Sur le palier, le médecin, qui est un gros vieux à moustaches blanches se met à enguirlander les locataires qu’il traite de sadiques, de vicieux et de névrosés. C’est la débandade. Là où les rebuffades des agents n’ont pu réussir, les sarcasmes du médecin légiste font merveille. En maugréant, tous ces charognards, ces morfilleurs de cadavres, ces locdus, regagnent leurs puciers.

Les moukères se drapent dans leurs robes de chambre et remisent leur triperie. Le vieux suppositoire retire sa paluche du dargeot de la petite brune. Les vioques vont voir si ce putain de roi de pique va ramener sa couronne dans les treize premières brèmes. Les pondeuses pensent brusquement à leurs moujingues qui sont en train de se l’accrocher. La cage d’escalier se vide comme un cinéma après que Tyrone Power a roulé un vache et ultime patin à sa partenaire.

Nous gagnons la rue. Guillaume donne ses instructions à ses sbires, puis il se tourne vers nous.

— Que puis-je faire pour vous, patron ?

Je fais la moue.

— Si vous pouviez mettre une voiture à ma disposition pour une heure ou deux, vous seriez la crème des flics.

Il sourit.

— Venez avec nous jusqu’à la boîte. Après je vous laisserai l’auto.

Nous nous installons dans la traction. Gisèle se met devant, à côté du chauffeur. Les hommes s’entassent derrière, ce qui est une belle cérémonie car le gros zèbre de Guillaume fait partie de la charrette.