« Et toi ? Que lis-tu ? »
— « L’explosion du Noyau. » Teela fit un geste vers l’écran.
Il y avait là des étoiles, en amas, en groupes et en paquets. On ne voyait plus de noir, elles étaient trop nombreuses. Cela aurait pu être un amas stellaire de haute densité, mais ça ne l’était pas ; ça ne pouvait l’être. Les télescopes ne portaient pas aussi loin, pas plus que ne pourrait le faire tout astronef normal, d’ailleurs.
C’était le noyau de la galaxie, cinq mille années-lumière de diamètre, une sphère d’étoiles concentrées sur l’axe du tourbillon galactique. Un Homme était allé jusque-là, deux cents ans plus tôt, à bord d’un vaisseau expérimental construit par les Marionnettistes. L’image montrait des étoiles rouges, bleues et vertes, toutes superposées ; les étoiles rouges étaient les plus grosses et les plus brillantes. Au milieu de la photographie se trouvait une surface d’un blanc éclatant en forme de virgule épaissie. L’intérieur en était parsemé de lignes et de taches d’ombre ; mais l’ombre, à l’intérieur de la virgule, était plus brillante qu’aucune étoile de l’extérieur.
« Voilà pourquoi vous avez besoin du vaisseau du Marionnettiste », dit Teela. « N’est-ce pas, Louis ? »
— « Exactement. »
— « Comment est-ce arrivé ? »
— « Les étoiles sont trop près les unes des autres », expliqua Louis. « Une distance d’une demi-année-lumière en moyenne, dans tout le noyau de n’importe quelle galaxie. Près du centre, elles sont encore plus tassées. Dans le noyau d’une galaxie, les étoiles sont tellement rapprochées qu’elles peuvent se réchauffer mutuellement. Étant plus chaudes, elles brûlent plus vite ; elles vieillissent aussi plus vite.
» Il y a dix mille ans, toutes les étoiles du noyau ont dû se trouver juste un peu trop rapprochées.
» Alors une étoile est devenue nova, libérant une énorme quantité de chaleur et une explosion de rayons gamma. Les quelques étoiles qui l’entouraient s’en sont trouvées réchauffées. J’en déduis que les rayons gamma contribuent aussi à accroître l’activité stellaire. Une ou deux étoiles voisines ont donc explosé.
» Cela fit trois. La chaleur combinée en a déclenché quelques autres. Ce fut une réaction en chaîne. Très vite, rien ne pouvait plus l’arrêter. Cette surface blanche est toute en supernovæ. Si tu veux, tu peux en trouver les détails mathématiques un peu plus loin sur la bande. »
« Non merci », dit-elle. « Bien sûr !… Je suppose que tout cela est fini, maintenant ? »
— « Oui. C’est de la vieille lumière que tu vois là, bien qu’elle n’ait pas encore atteint notre région de la galaxie. La réaction en chaîne a dû s’achever il y a dix mille ans. »
— « Alors, pourquoi en fait-on un tel plat ? »
— « Radiations. Particules accélérées de toutes sortes. » Le fauteuil masseur commençait à le décontracter ; il s’enfonça un peu plus dans sa masse informe, ses muscles pétris par les vagues d’ondes continues. « Suis-moi bien. L’Espace connu est une petite sphère d’étoiles située à trente-trois mille années-lumière de l’axe galactique. Il y a plus de dix mille ans que les novae ont commencé à exploser. Cela signifie que l’onde frontale de l’explosion combinée arrivera ici dans à peu près vingt mille ans. Tu saisis ? »
— « Bien sûr. »
— « Et immédiatement en arrière de l’onde frontale voyagent les radiations subnucléaires d’un million de novae. »
— « … Oh !… »
— « Dans vingt mille ans, nous devrons évacuer tous les mondes que nous connaissons, et d’autres encore, sans doute. »
— « Mais nous avons largement le temps. En commençant maintenant, nous pourrions le faire facilement avec les vaisseaux que nous possédons. »
— « Réfléchis un peu ! À la vitesse de trois jours pour une année-lumière, il faudrait à nos vaisseaux plus de six cent cinquante ans pour atteindre les Nuages de Magellan. »
— « Ils pourraient s’arrêter pour renouveler leurs provisions d’air et de nourriture… disons tous les ans. »
Louis éclata de rire. « Essaie donc d’en persuader les gens. Tu sais ce que je pense ? C’est seulement quand la lumière de l’explosion du Noyau commencera à briller à travers les nuages de particules qui nous séparent de l’axe galactique que les habitants de l’espace humain se mettront à paniquer. À ce moment-là, il ne leur restera plus qu’un siècle pour évacuer.
» Les Marionnettistes ont eu une bonne idée. Ils ont envoyé un Homme jusqu’au Noyau en guise d’argument publicitaire, parce qu’ils avaient besoin de fonds pour effectuer des recherches. Il a transmis des photographies comme celles-là. Avant même qu’il soit revenu, les Marionnettistes étaient partis ; il n’en restait plus un seul sur aucun des mondes humains. Nous, nous n’agirons pas ainsi. Nous attendrons indéfiniment et, quand nous déciderons finalement de partir, il nous faudra transporter des billions d’êtres pensants hors de la galaxie. Nous aurons besoin des vaisseaux les plus grands et les plus rapides que nous puissions construire, et il nous en faudra autant que nous pourrons en avoir. Nous avons besoin dès maintenant de l’hyperpropulsion des Marionnettistes, de façon à commencer à l’améliorer immédiatement. Les… »
— « D’accord. Je pars avec toi. »
Interrompu en plein milieu de son exposé, Louis fit : « Hein ? »
— « Je pars avec toi », répéta Teela Brown.
— « Tu perds la tête ! »
— « Et toi, tu y vas bien, non ? »
Louis serra les dents pour ne pas exploser. Quand il parla enfin, ce fut d’un ton beaucoup plus calme qu’il n’était nécessaire. « Oui, j’y vais. Mais j’ai des raisons que tu n’as pas, et je suis plus apte que toi à survivre, parce qu’il y a plus longtemps que toi que je m’y applique. »
— « Mais moi, j’ai plus de chance. »
Louis renifla.
« Et mes raisons de partir ne sont peut-être pas aussi bonnes que les tiennes, mais elles me suffisent ! » La colère déformait sa voix.
— « Tanj sûr, elles le sont, ça oui ! »
Teela tapota l’écran de lecture ; l’épaisse virgule lumineuse des novae flamboyait sous son ongle. « Et ça, ce n’est pas une bonne raison ? »
— « Que tu viennes ou non, nous aurons quand même le propulseur des Marionnettistes. Tu as entendu Nessus. Il y en a des milliers comme toi. »
— « Et je suis l’une d’entre eux. »
— « Oh ! Très bien, tu es l’une d’entre eux ! », s’emporta Louis.
— « Qu’est-ce donc qui te rend si tanj protecteur ? T’ai-je demandé ta protection ? »
— « Je m’excuse. Je ne sais pas pourquoi j’essaie de te dicter ta conduite. Tu es une adulte, et tu es libre. »
— « Merci. Et j’ai bien l’intention de me joindre à votre équipe. »
Le ton de Teela était devenu glacial et conventionnel.
Le pire c’est qu’elle était vraiment une adulte libre. Non seulement on ne pouvait pas la contraindre, mais simplement tenter de le faire eût été inconvenant et, de plus, fût resté sans effet.
Mais on pouvait essayer de la persuader…