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« Je veux faire partie de l’opération », dit Teela devant l’écran vidéo.

Le Marionnettiste poussa un long hurlement en mi bémol.

« Pardon ? »

— « Excusez-moi », fit le Marionnettiste. « Soyez à Outback Field, Australie, demain matin à huit heures. Vos bagages personnels ne devront pas excéder vingt-cinq kilos, poids terrestre. Louis, même chose pour vous. Ahh !… » Le Marionnettiste leva ses têtes et se mit à hurler.

Louis demanda d’un air inquiet : « Êtes-vous malade ? »

— « Non. J’entrevois ma propre mort. Louis, je pourrais souhaiter que vous ayez été moins persuasif. Adieu. Nous nous retrouverons à Outback Field. »

L’écran s’obscurcit.

— « Tu vois ? » triompha Teela. « Tu vois ce que tu récoltes pour avoir été si persuasif ? »

— « Moi et ma grande gueule ! Enfin, j’ai fait de mon mieux côté oratoire. Ne t’en prends pas à moi si tu meurs d’une façon horrible. »

Cette nuit-là, en apesanteur dans l’obscurité, Louis l’entendit dire : « Je t’aime. Je vais avec toi parce que je t’aime. »

— « T’aime aussi », lui retourna-t-il avec une politesse ensommeillée. L’idée s’infiltra doucement, et il demanda : « C’est cela, ce que tu gardais pour toi ? »

— « Mm hmm. »

— « Tu m’accompagnes à deux cents années-lumière d’ici parce que tu ne peux pas supporter de me quitter ? »

— « Ouaip ! »

— « Chambre à coucher, demi-éclairage ! » commanda Louis. Une pâle lumière bleue envahit la pièce.

Ils flottaient à trente centimètres l’un de l’autre entre les plaques de couchage. En prévision du voyage, ils s’étaient débarrassés des teintures épidermiques et traitements capillaires de style plat-terrien. La natte de Louis Wu était maintenant noire et raide et son cuir chevelu ombré de cheveux ras. Les tons brun-jaune de sa peau et ses yeux marron désormais non bridés changeaient considérablement son apparence.

Chez Teela, la transformation était aussi radicale. Sa peau était d’une pâleur nordique ; sa chevelure, maintenant sombre et ondulée, était tirée en arrière, dégageant un visage ovale dominé par de grands yeux bruns et une petite bouche sérieuse ; on distinguait à peine son nez. Elle flottait dans le champ de couchage comme de l’huile sur de l’eau, parfaitement décontractée.

« Mais tu n’es même pas allée jusqu’à la Lune. »

Elle opina.

« Je ne suis pas le meilleur amant du monde. Tu me l’as dit toi-même. »

Elle opina encore. Il n’y avait en Teela Brown aucune réticence. En deux jours et deux nuits, elle n’avait pas menti une seule fois, ni déguisé la vérité, ni même éludé une question. Louis s’en serait rendu compte. Elle lui avait parlé de ses deux premiers amours : celui dont elle s’était lassée après six mois et l’autre, un cousin, auquel on avait proposé d’émigrer pour le Mont Lookitthat, juste avant qu’elle ne rompe avec lui. Louis lui avait dit peu de chose de sa propre expérience, et elle avait semblé, accepter sa réticence. Mais elle-même n’en avait aucune. Et elle posait les questions les plus embarrassantes.

« Pourquoi moi, alors ? » demanda-t-il.

— « Je ne sais pas », confessa-t-elle. « Peut-être ton auréole ?

Tu es un héros, tu sais. »

Il était le seul Homme vivant à avoir établi les premiers contacts avec une race étrangère. Oublierait-il jamais l’époque des Trinocs ?

Il fit encore un essai. « Écoute, je connais le meilleur amant du monde. Un ami à moi. C’est son dada. Il écrit même des livres sur le sujet. Il a des doctorats en physiologie et en psychologie. Depuis cent trente ans, il… »

Teela avait les mains sur les oreilles. « Arrête ! » cria-t-elle. « Arrête ! »

— « Mais je ne veux pas que tu te fasses tuer quelque part ! Tu es trop jeune ! »

Elle eut alors un air interloqué, celui-là, celui qui signifiait qu’il avait utilisé des mots d’interworld corrects dans une séquence incompréhensible. Coup de fouet au cœur ? Tuée quelque part ? Louis soupira en lui-même. « Chambre à coucher, fusionnement des lignes nodales ! » commanda-t-il, et le champ commença à se modifier. Les deux zones d’équilibre stable qui empêchaient Louis et Teela de tomber hors du champ se déplacèrent l’une vers l’autre et fusionnèrent. Louis et Teela suivirent, glissant sur la « pente » jusqu’à ce qu’ils se rencontrent ; ils s’étreignirent.

— « J’avais vraiment sommeil, Louis. Mais ça ne fait rien… »

— « Pense à l’intimité, avant de partir au pays des rêves. Les vaisseaux spatiaux ont tendance à en être dépourvus. »

— « Tu veux dire qu’on ne pourra pas faire l’amour ? Tanj, Louis, peu m’importe qu’ils regardent. Ce sont des étrangers. »

— « Il m’importe, à moi ! »

Elle le regarda à nouveau de son air étonné. « Suppose qu’ils ne soient pas étrangers, objecterais-tu encore, en ce cas ? »

— « Oui. À moins de bien les connaître. Suis-je vieux jeu ? »

— « Un peu. »

— « Tu sais, cet ami que j’ai mentionné ? Le meilleur amant du monde ? Eh bien, il avait une collègue », souffla Louis. « Et elle m’a appris certaines choses qu’il lui enseignait. Mais la gravité est nécessaire, pour cela », ajouta-t-il. « Chambre à coucher, annulation du champ de couchage ! » Ils retrouvèrent leur poids.

— « Tu essaies de changer de sujet », remarqua Teela.

— « Oui. Je renonce. »

— « Très bien, mais n’oublie pas une chose. Une seule chose. Ton ami Marionnettiste aurait pu choisir quatre espèces, au lieu de trois. Tu pourrais bien être en train de serrer une Triloc, plutôt que moi. »

— « Horrible vision ! Donc, on fait ça en trois étapes, à partir de la position à califourchon… »

— « La position à califourchon ? »

— « Je vais te montrer… »

Quand le matin fut venu, Louis envisageait leur voyage ensemble sous de meilleurs auspices. Lorsque ses doutes revinrent, il était trop tard. En fait, il était déjà trop tard depuis pas mal de temps.

Les Outsiders faisaient commerce d’informations. Ils achetaient et vendaient à prix élevés, mais ils revendaient indéfiniment ce qu’ils avaient acheté une fois, car leur champ d’action couvrait la spirale galactique tout entière. Dans les banques de l’espace humain, leur crédit était virtuellement illimité.

On pensait qu’ils s’étaient développés sur quelque satellite froid et léger d’une géante gazeuse ; un monde assez semblable à Néréide, le plus gros satellite de Neptune. Ils vivaient à présent dans les espaces entre les étoiles, à bord de vaisseaux grands comme des villes, dont la technique variait des voiles photoniques à des moteurs théoriquement impossibles pour la science humaine. Partout où un système planétaire recelait d’éventuels clients, et lorsque ce système comportait une planète à leur convenance, les Outsiders louaient de la place pour établir des centres commerciaux, des lieux de repos et de détente et des silos d’approvisionnement. Un demi-millénaire plus tôt ils avaient loué Néréide.

« Et ceci doit être leur principal centre de transactions », dit Louis Wu. « Le voilà ; juste là. » Il pointa une main, gardant l’autre sur les commandes du vaisseau de transport.

Sous la lueur vive des étoiles, Néréide était une plaine glacée et rocailleuse. Sol, un gros point blanc, donnait autant de lumière qu’une pleine lune ; et cette lumière éclairait un labyrinthe de murs bas. Il y avait des constructions hémisphériques et un groupe de petits vaisseaux sol-orbite à servo-propulseurs dont les compartiments à passagers étaient grands ouverts ; mais plus de la moitié de la plaine était couverte de ces murs bas.