Parleur-aux-Animaux, qui dominait Louis d’une façon impressionnante, marmonna : « Je me demande à quoi sert ce labyrinthe. Défense ? »
— « Bains de soleil », expliqua Louis. « Les Outsiders vivent de thermoélectricité. Ils s’allongent la tête au soleil et la queue à l’ombre, et la différence de température entre les deux établit un courant. Les murs sont destinés à créer plus d’alternances ombre-soleil. »
Nessus s’était calmé au cours des dix heures de voyage. Il parcourait le système de subsistance du vaisseau de transport, inspectant ici et là, glissant une tête et un œil dans les recoins, jetant des commentaires ou répondant aux questions par-dessus son épaule. Sa tenue spatiale, un ballon bouffant rembourré autour de la bosse qui abritait son cerveau, paraissait légère et confortable ; les régénérateurs d’air et de nourriture paraissaient anormalement réduits.
Juste avant le décollage, il avait fait quelque chose de surprenant. De la musique avait soudain déferlé dans la cabine, une musique complexe et merveilleuse, riche en tons mineurs, pareille à l’appel triste d’un ordinateur en mal d’amour. Nessus sifflait. Avec ses bouches jumelles, abondamment dotées en nerfs et en muscles aptes à en faire aussi des mains, le Marionnettiste était un véritable orchestre ambulant.
Il avait insisté pour que Louis pilotât l’appareil, et sa confiance était telle qu’il ne s’était même pas attaché. Louis soupçonnait ce vaisseau, construit par les Marionnettistes, de receler des gadgets secrets destinés à protéger ses passagers.
Parleur avait embarqué avec un bagage de dix kilos qui, une fois ouvert, avait révélé un four repliable à micro-ondes pour le chauffage de la viande. Cela et un cuissot cru de provenance inconnue, plutôt kzinti que terrienne. Sans trop savoir pourquoi, Louis s’était attendu à ce que la tenue spatiale du Kzin ressemblât à une armure médiévale. Pas du tout. C’était un ballon multiple transparent avec un sac dorsal énorme et un casque en forme de bocal à poissons rouges et plein de dispositifs de contrôle à l’aspect ésotérique que le Kzin pouvait manipuler directement avec sa langue. Bien qu’on ne pût y distinguer aucune arme identifiable, le sac dorsal avait un air guerrier, et Nessus avait insisté pour qu’il fût mis de côté.
Le Kzin avait passé presque tout le voyage à dormir. À présent, ils étaient tous debout, regardant par-dessus l’épaule de Louis.
« Je vais nous poser près du vaisseau outsider », dit Louis.
— « Non. Allez vers l’est. Nous avons parqué le Long Shot dans un espace isolé. »
— « Pourquoi ? Craignez-vous que les Outsiders vous espionnent ? »
— « Non. Mais le Long Shot utilise des propulseurs à fusion au lieu de servo-propulseurs. La chaleur des décollages et des atterrissages importunerait les Outsiders. »
— « Pourquoi Long Shot ? »
— « Il a été ainsi baptisé par Beowulf Shaeffer, le seul être intelligent à l’avoir piloté. Il a pris les seuls hologrammes encore existants de l’explosion du Noyau. Long Shot n’est-il pas une expression de joueur ? »
— « Peut-être ne comptait-il pas en revenir. Il vaut mieux que je vous dise, je n’ai jamais rien piloté qui se propulse à fusion. Mon vaisseau personnel utilise des servo-propulseurs sans réaction, exactement comme celui-ci. »
— « Vous apprendrez vite », le rassura Nessus.
— « Attendez », intervint Parleur-aux-Animaux. « Moi, j’ai déjà piloté des vaisseaux spatiaux à fusion. Je piloterai donc le Long Shot. »
— « Impossible. La couchette anti-g du pilote est conçue pour un squelette humain. De plus, le tableau de bord et les panneaux de contrôle répondent eux aussi aux normes humaines. »
Du fond de sa gorge, le Kzin émit quelques sons irrités.
« Là, Louis. Juste devant nous. »
Le Long Shot était une bulle transparente de plus de trois cents mètres de diamètre. Tout en contournant le monstre, Louis constata que l’appareillage vert et bronze des propulseurs du nouveau shunt hyperspatial en occupait jusqu’au dernier centimètre cube. La coque était une Taille 4 des Produits Généraux, facilement identifiable pour quiconque était familier d’astronautique, si grande qu’on l’utilisait habituellement pour transporter des colonies préfabriquées entières. Mais elle n’avait pas l’air d’un vaisseau spatial. C’était l’équivalent gigantesque de quelque primitif satellite orbital, construit par une race dont les ressources limitées et la technologie réduite exigeaient l’utilisation de la moindre parcelle d’espace.
« Et où nous mettrons-nous ? » demanda Louis. « Sur le dessus ? »
— « La cabine est en dessous. Atterrissez sous la courbe de la coque.
Louis amena le vaisseau près de la glace sombre, puis le fit glisser prudemment en avant, sous le ventre renflé du Long Shot.
Les lumières qui éclairaient le système de subsistance luisaient à travers la coque du Long Shot. Louis aperçut deux cabines minuscules ; la cabine inférieure, à peine assez grande pour contenir une couchette anti-g, un indicateur de masse et un tableau de bord en forme de fer à cheval ; la cabine supérieure n’était pas plus grande. Il sentit le Kzin se lever derrière lui.
« Intéressant », dit celui-ci. « Je présume que Louis est supposé voyager dans le compartiment inférieur, et nous trois dans l’autre ? »
« Oui. Nous avons eu beaucoup de mal à loger trois couchettes anti-g dans un espace si réduit. Chacune est équipée d’un champ de stase, pour accroître la sécurité au maximum. Étant donné que nous voyagerons en stase, il importe peu que nous ne puissions pas nous déplacer. »
Le Kzin grogna et Louis le sentit se détacher de son épaule. Il laissa le vaisseau franchir les quelque derniers centimètres puis releva une série d’interrupteurs.
« J’ai une petite réclamation à formuler », dit-il alors. « Teela et moi recevons à nous deux les mêmes honoraires que Parleur seul.
— « Voulez-vous une indemnité supplémentaire ? J’examinerai vos suggestions.
— « Je veux quelque chose dont vous n’avez plus besoin », dit Louis au Marionnettiste. « Quelque chose que votre race a maintenant abandonné. » Il avait choisi le moment opportun pour marchander. Il n’était pas sûr du tout que ça marcherait, mais cela en valait la peine. « Je veux connaître l’emplacement de la planète marionnettiste.
Les têtes de Nessus jaillirent hors de ses épaules, puis se firent face. Nessus se regarda dans les yeux pendant un moment avant de demander : « Pourquoi ? »
— « Il fut un temps où l’emplacement du monde des Marionnettistes était le secret le plus précieux de l’Espace connu. Les vôtres ont dû payer une fortune en chantage pour le maintenir secret », dit Louis. « C’est ce qui en a fait la valeur. Des aventuriers ont exploré toutes les étoiles G et K accessibles, à la recherche de votre monde. Même maintenant, Teela et moi pourrions vendre l’information pour un bon prix à n’importe quelle organisation de renseignements. »
— « Mais, et si ce monde se trouvait hors de l’Espace connu ? »
— « Ah ! » soupira Louis… « Mon professeur d’histoire avait coutume de s’interroger à ce sujet. Le renseignement aurait quand même une certaine valeur. »
— « Avant de partir pour notre ultime destination », dit prudemment le Marionnettiste, « vous connaîtrez les coordonnées de notre monde. Je pense que vous trouverez le renseignement plus surprenant qu’utile. » De nouveau, l’espace d’un instant, le Marionnettiste se regarda dans les yeux.