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La fente de l’autocuisine, à sa droite, lui fournit un café au goût bizarre puis, plus tard, un sandwich qui se désagrégea entre ses doigts en parcelles de viande, de fromage, de pain et d’une sorte de feuille. Depuis quelques centaines d’années, l’autocuisine devait avoir besoin d’être reprogrammée. Les lignes radiales de l’indicateur de masse s’allongeaient, se déplaçant vers le haut à la manière d’une aiguille de montre, pour se réduire à néant. Au fond de la sphère, une ligne floue s’étira, s’étira… Louis enfonça brutalement le bouton de secours.

Une étoile géante rouge inconnue flamboyait au-dessous de lui.

« Trop vite », grommela-t-il. « Tanj trop vite ! » Dans n’importe quel vaisseau normal, il suffisait de contrôler l’indicateur de masse toutes les six heures environ. Sur le Long Shot, on osait à peine cligner des yeux !

Louis observa le disque rouge, flou et brillant sur un fond d’étoiles.

Tanj ! Je suis déjà sorti de l’Espace connu !

Il fit basculer le vaisseau pour observer les étoiles. Un ciel inconnu luisait au-dessous de lui. Elles sont à moi, toutes à moi ! Louis gloussait maintenant de joie en frottant ses mains l’une contre l’autre. Au cours de ses sabbatiques, Louis Wu s’amusait tout seul.

L’étoile rouge réapparut et il la laissa parcourir encore quatre-vingt-dix degrés. Il avait laissé le vaisseau s’en approcher trop près ; maintenant, il allait devoir la contourner.

Il y avait une heure et demie qu’il était entré dans l’hyperespace.

Une heure et demie plus tard, il dut en ressortir à nouveau.

Les étoiles étrangères ne l’incommodaient pas. Sur la plus grande partie de la Terre, les lumières des villes occultent la lueur des étoiles ; et Louis Wu avait été élevé en plat-terrien. Jusqu’à vingt-six ans, il n’en avait pas vu une seule. Il vérifia que l’espace était dégagé avant de refermer les volets sur les panneaux de contrôle, puis il s’étira.

Ouah !… J’ai les yeux comme des oignons bouillis.

Il se détacha de la couchette anti-g et se mit à flotter tout en assouplissant sa main droite. Il avait piloté pendant trois heures avec cette main crispée sur la commande d’hyperpropulsion. Du coude au bout des doigts, ce n’était plus qu’une crampe.

Sous le plafond se trouvaient des barreaux pour les exercices isométriques. Louis s’en servit. Ses muscles se dénouèrent, mais il était toujours fatigué.

Mmmm. Réveiller Teela ? Il serait agréable de bavarder avec elle, maintenant. Il y avait là une idée séduisante. La prochaine fois qu’il partirait en sabbatique, il emmènerait une femme en stase. Prendre le meilleur des deux mondes. Mais il sentait qu’il avait l’air d’une épave arrachée à un cimetière inondé. Peu acceptable pour des rapports courtois. Tant pis.

Il n’aurait pas dû la laisser embarquer sur le Long Shot.

Ce n’était pas qu’elle l’importunât ! Il avait apprécié les deux jours passés avec elle. C’était un peu une seconde version de l’histoire de Louis Wu et Paula Cherenkov, récrite avec un happy end. Peut-être eût-il mieux valu…

Teela avait pourtant quelque chose de superficiel. Ce n’était pas seulement son âge. Louis avait des amis de tous âges et certains parmi les plus jeunes étaient en vérité très profonds. C’étaient certainement ceux qui avaient le plus souffert ; comme si la souffrance était partie intégrante de l’apprentissage de la vie. Ce qui était probablement vrai.

Non, il y avait en Teela une absence d’empathie, d’aptitude à ressentir la douleur des autres…

Pourtant, elle était capable de ressentir le plaisir de quelqu’un et de répondre à ce plaisir, de le créer même. Elle était une amante merveilleuse : belle à faire mal, presque novice dans l’art amoureux, sensuelle comme un chat et incroyablement dépourvue d’inhibitions …

Mais rien de tout cela ne la qualifiait pour être exploratrice.

La vie de Teela avait été heureuse et sans éclat. Deux fois, elle était tombée amoureuse, et deux fois elle avait été la première à s’en lasser. Elle n’avait jamais subi de contrainte excessive, jamais elle n’avait souffert vraiment. Quand le moment viendrait, quand Teela se trouverait face à sa première crise sérieuse, il est probable qu’elle paniquerait.

Mais je l’ai choisie pour maîtresse… Sacré Nessus ! Si Teela s’était jamais trouvée dans une situation critique, Nessus l’eût rejetée pour son manque de chance !

Ils avaient eu tort de l’emmener. Elle serait un poids mort. Il passerait trop de temps à la protéger quand il devrait plutôt penser à se protéger lui-même.

À quelles sortes de périls allaient-ils devoir faire face ? Les Marionnettistes étaient doués pour les affaires. Ils ne payaient jamais plus qu’ils ne devaient. Or le Long Shot était une rétribution d’une valeur inégalée. Un soupçon inquiétant disait à Louis qu’ils allaient devoir la mériter.

On verra bien ! Et il retourna à sa couchette anti-g, où il dormit une heure sous le casque inducteur de sommeil. À son réveil, il remit le vaisseau en ligne et repassa le Point Aveugle.

Cinq heures et demie après avoir quitté le système solaire, il ressortit une dernière fois dans l’hyperespace.

Les coordonnées du Marionnettiste définissaient une petite section de ciel rectangulaire, vue depuis Sol, plus une distance radiale dans cette direction. À cette distance, les coordonnées délimitaient un cube d’une demi-année-lumière de côté. Quelque part dans ce volume devait se trouver une flotte de vaisseaux. Et maintenant, à moins que les instruments ne l’aient trompé, Louis Wu et le Long Shot se trouvaient également dans ce volume.

Quelque part, loin derrière lui, il y avait une bulle d’étoiles dont le diamètre ne dépassait pas soixante-dix années-lumière. L’Espace connu était bien petit et bien éloigné.

Inutile de chercher la flotte. Louis n’aurait pas su quoi chercher. Il alla réveiller Nessus.

Suspendu par les dents à un barreau d’exercice, Nessus regardait par-dessus l’épaule de Louis. « J’ai besoin de certaines étoiles pour référence. Centrez cette géante blanc-vert et projetez-la sur l’écran du télescope…

Il restait peu de place dans le poste de pilotage. Louis se pencha sur le tableau de bord, essayant de protéger les commandes des sabots insouciants du Marionnettiste.

« Analyse spectrale… oui. Maintenant, la bleue et jaune double, à deux heures …

» Ça y est… j’ai fait le point. Prenez le cap 348,72. »

— « Que dois-je chercher au juste, Nessus ? Un amas de flammes de fusion ? Non, vous devez utiliser des servo-propulseurs. »

— « Utilisez le télescope. Quand vous le verrez, vous saurez. »

L’écran du télescope était parsemé d’étoiles anonymes. Louis augmenta le grossissement jusqu’à… « Cinq points formant un pentagone régulier. C’est cela ? »

— « C’est notre destination. »

— « Bon. Attendez que je vérifie la distance… Tanj ! C’est impossible, Nessus. C’est trop loin ! »

Le Marionnettiste resta silencieux.

« Ce ne sont pas des vaisseaux, même si le télémètre ne fonctionne pas. La flotte marionnettiste doit se déplacer juste en dessous de la vitesse de la lumière. On verrait le mouvement. »

Cinq étoiles ternes formant un pentagone régulier. Elles étaient à un cinquième d’année-lumière, presque invisibles à l’œil nu. À en croire le grossissement actuel du télescope, c’étaient des planètes de taille respectable. Sur l’écran, l’une d’elles paraissait un peu moins bleue, un peu plus pâle que les autres.