« Combien de temps avons-nous ? » demanda-t-il au Marionnettiste.
— « Une heure avant l’atterrissage. Là-bas, vous recevrez des informations supplémentaires sur notre destination finale. »
— « Cela devrait suffire. Bon, racontez-nous. Pourquoi des planètes volantes ? Dans un sens, il me paraît risqué de lancer des mondes habités dans l’espace avec une telle désinvolture. »
— « Oh ! Mais ce n’est pas risqué, Louis ! » Le Marionnettiste paraissait absolument convaincu. « Beaucoup moins que cet appareil, par exemple ; et, comparé à la plupart des vaisseaux humains, celui-ci est très sûr. Nous avons une longue expérience, en ce qui concerne le déplacement des planètes. »
— « Expérience ? Comment cela ? »
— « Pour vous expliquer, je devrai parler de la chaleur… et du contrôle démographique. Vous ne serez pas embarrassés ni offensés ? »
Ils secouèrent la tête. Louis eut le tact de ne pas rire, mais Teela ne put s’en empêcher.
« Sachez d’abord que, pour nous, le contrôle démographique est chose difficile. Pour éviter de devenir un parent, nous n’avons que deux solutions. L’une est une intervention chirurgicale importante. L’autre est l’absence totale d’union sexuelle. »
Teela fut choquée. « Mais c’est terrible ! »
— « C’est un handicap, oui. Mais ne vous méprenez pas. L’opération n’est pas une alternative à l’abstinence ; elle est destinée à faire respecter l’abstinence. Aujourd’hui, on peut pratiquer l’opération inverse ; dans le passé, c’était impossible. Peu de mes semblables acceptent de subir une telle intervention. »
Louis siffla. « Je m’en doute. Votre contrôle démographique dépend donc de votre force de volonté ? »
— « Oui. L’abstinence a des effets secondaires désagréables, pour nous comme pour la plupart des espèces. Traditionnellement, le résultat en a été la surpopulation. Il y a un demi-million d’années, nous étions un demi-billion, en numération humaine. En numération kzinti… »
— « Je sais faire la conversion », le coupa le Kzin. « Mais ces problèmes me paraissent sans rapport avec la nature inhabituelle de votre flotte. » Il ne récriminait pas, il ne faisait que commenter. De la console à rafraîchissements, il s’était procuré une buire à anse double de conception kzinti, qui contenait plus de deux litres.
— « Mais, Parleur, il y a un rapport. Un demi-billion d’êtres civilisés produisent une quantité de chaleur importante, en raison même de leur civilisation. »
— « Il y a longtemps que vous êtes civilisés ? »
— « Certainement. Quelle culture barbare pourrait faire survivre une telle population ? Il y avait longtemps que nous n’avions plus de terres cultivables et que nous avions dû terraformer deux planètes de notre système pour nos besoins agricoles. Pour cela, il fallait les rapprocher de notre soleil. Vous comprenez ? »
— « Votre première expérience dans le déplacement des planètes. Vous aviez utilisé des vaisseaux robots, bien sûr. »
— « Bien sûr… Après cela, il n’y eut plus de problèmes de nourriture. Il n’y avait pas non plus de problèmes d’espace vital. Nous construisions en hauteur, déjà en ce temps-là, et nous aimions vivre ensemble. »
— « Instinct grégaire, je parie. Est-ce pour cela que le vaisseau sent aussi fort qu’une foule de Marionnettistes ?
— « Oui, Louis. Il est rassurant pour nous de sentir l’odeur des nôtres. Notre seul problème, au moment dont je parle, était la chaleur. »
— « La chaleur ? »
— « La chaleur est un des déchets que produit la civilisation. »
— « Je ne saisis toujours pas », dit Parleur-aux-Animaux.
Louis, qui en tant que plat-terrien connaissait la question, s’abstint de tout commentaire. (La Terre était beaucoup plus encombrée que Kzin.)
— « Un exemple. Vous aimez avoir une source de lumière, le soir, n’est-ce pas, Parleur ? Sans lumière, il ne vous reste plus qu’à dormir, que vous ayez ou non d’autres choses à faire. »
— « C’est élémentaire. »
— « Supposons que votre source lumineuse soit parfaite, c’est-à-dire qu’elle produise des radiations uniquement dans le spectre visible aux yeux kzinti. Malgré cela, toute la lumière qui ne sortira pas par la fenêtre sera absorbée par les murs et les meubles. Elle se transformera en chaleur.
» Un autre exemple. La Terre ne produit pas assez d’eau douce pour ses dix-huit milliards d’habitants. On doit distiller de l’eau de mer par fusion. Cela produit de la chaleur. Mais notre monde, beaucoup plus peuplé, mourrait en une journée sans ses centrales de distillation.
» Un troisième exemple. Les transports, impliquant des changements d’allures, produisent toujours de la chaleur. Les astronefs chargés de céréales qui reviennent des planètes agricoles produisent de la chaleur au moment de leur rentrée, et cette chaleur est absorbée par l’atmosphère. Et ils en produisent encore plus au décollage. »
— « Mais les systèmes de refroidissement… »
— « La plupart des systèmes de refroidissement ne font que pomper la chaleur d’un endroit dans un autre, et leur fonctionnement produit aussi de la chaleur. »
— « U-u-urr. Je commence à comprendre. Plus les Marionnettistes sont nombreux, plus ils produisent de chaleur. »
— « Vous comprenez maintenant comment la chaleur dégagée par notre civilisation rendait notre monde inhabitable ? »
Brouillard, pensa Louis Wu. Moteurs à combustion interne. Bombes nucléaires et fusées à fusion dans l’atmosphère. Déchets industriels dans les lacs et les océans. Nous avons souvent failli nous anéantir avec nos propres déchets. Sans le Conseil de Fertilité, la Terre ne serait-elle pas maintenant en train de périr par sa propre chaleur ?
— « Incroyable », convint Parleur-aux-Animaux. « Mais alors, pourquoi n’êtes-vous pas partis ? »
— « Qui exposerait sa vie aux innombrables périls de l’espace ? Un fou dans mon genre, mais personne d’autre. Allions-nous fonder des mondes nouveaux avec nos déments ? »
— « Envoyez des cargaisons d’ovules fécondés et congelés. Et faites piloter les vaisseaux par des équipages de fous. »
— « Les discussions sexuelles me mettent mal à l’aise. Notre biologie ne permet pas de telles méthodes, quoique nous pourrions sans doute développer quelque chose d’analogue… Mais dans quel but ? Notre population aurait été la même, et nous aurions quand même été sur le point de périr par la chaleur que nous dégagions ! »
Teela dit soudain, hors de propos : « J’aimerais pouvoir regarder à l’extérieur. »
Le Marionnettiste en fut abasourdi. « Êtes — vous sûre ? N’avez-vous pas peur de tomber ? »
— « Dans un vaisseau marionnettiste ? »
— « Ou…ui. De toute façon, le fait de voir n’accroît pas le danger. Très bien. » Nessus dit quelques mots dans sa langue musicale, et le vaisseau disparut.
Ils se voyaient les uns les autres ; ils voyaient quatre couchettes anti-g reposant dans le vide, avec la console à rafraîchissements au milieu. Autour, il n’y avait que le noir de l’espace. Mais cinq planètes d’une blancheur resplendissante brillaient derrière la chevelure noire de Teela.
Elles étaient toutes de taille égale à peu près deux fois le diamètre apparent de la pleine Lune vue de la Terre. Elles formaient un pentacle. Quatre des planètes étaient entourées d’un cordon de minuscules lumières flamboyantes des soleils orbitaux qui émettaient une lumière blanc-jaune artificielle. Ces quatre-là étaient identiques d’éclat et d’aspect : des sphères bleues brumeuses sur lesquelles on ne pouvait distinguer le contour des continents en raison de la distance. Mais la cinquième…