— « Non. L’humour est associé à l’interruption d’un mécanisme de défense. »
— « Il n’en reste… »
— « Parleur, aucun être raisonnable n’interrompt jamais un mécanisme de défense. »
À mesure que le vaisseau descendait, les lumières se précisèrent : des panneaux solaires au niveau des rues, les fenêtres des bâtiments, des sources de lumière dans ce qui ressemblait à des parcs. Au dernier moment, Louis entrevit des constructions effilées comme des lames d’épées, hautes de plusieurs kilomètres. Puis la ville les engloutit en un éclair, et ils furent au sol.
Ils avaient atterri dans un parc plein de plantes inconnues aux riches couleurs.
Personne ne bougeait.
Pratiquement aucun être, dans l’Espace connu, n’avait l’air plus inoffensif que les Marionnettistes. Ils étaient trop timides, trop petits, trop bizarres pour sembler dangereux. Ils étaient simplement drôles.
Mais, soudain, Nessus devenait un membre de sa race ; et la puissance de sa race dépassait tout ce que les Hommes avaient pu rêver. Le Marionnettiste était assis, immobile ; ses cous ondulaient pour observer les subordonnés qu’il s’était choisis. Nessus n’avait plus l’air drôle. Sa race déplaçait les mondes par groupes de cinq.
De sorte que les gloussements de Teela parurent assez déplacés.
« J’étais juste en train de penser », expliqua-t-elle. « La seule façon de ne pas avoir trop de petits Marionnettistes est de n’avoir aucun rapport sexuel. N’est-ce pas, Nessus ? »
— « Oui. »
Elle gloussa de nouveau. « Pas surprenant que les Marionnettistes n’aient aucun sens de l’humour. »
Ils suivirent une lumière bleue flottante à travers un parc trop régulier, trop symétrique, trop apprivoisé. L’air était chargé de l’odeur chimique épicée des Marionnettistes. Le parfum était partout. Dans la salle unique du système de subsistance du vaisseau de transfert, il était fort et artificiel. Quand le sas s’était ouvert, il n’avait pas diminué. Un billion de Marionnettistes avaient parfumé l’air de la planète pour l’éternité.
Nessus dansait ; ses petits sabots fourchus semblaient à peine effleurer la surface élastique de l’allée. Le Kzin glissait à la manière d’un chat, sa queue rose fouettant rythmiquement l’air autour de lui. Le bruit des pas du Marionnettiste évoquait une danse à claquettes en trois temps. La démarche du Kzin restait parfaitement silencieuse.
Celle de Teela l’était presque autant. Sa façon de marcher paraissait toujours maladroite, mais en fait elle ne l’était pas. Elle ne trébuchait jamais, ne heurtait jamais rien. Louis était donc le moins gracieux des quatre.
Mais pourquoi Louis Wu aurait-il été gracieux ? Un singe modifié, que son évolution n’était pas parvenue à adapter entièrement à la marche sur un sol plat. Pendant des millions d’années, ses pères avaient marché à quatre pattes la plupart du temps, utilisant les arbres quand ils le pouvaient.
Le pléistocène, avec ses millions d’années glaciales, avait mis fin à cela. Les forêts avaient abandonné les ancêtres de Louis Wu, grands, secs et affamés. En désespoir de cause, ils s’étaient mis à manger de la viande. Ils se perfectionnèrent en découvrant le secret du fémur de renne, dont le joint double a laissé son empreinte sur tant de crânes fossiles.
Et maintenant, sur des pieds encore pourvus de vestiges de doigts, Louis Wu et Teela Brown marchaient en compagnie des étrangers.
Étrangers ? Ils étaient tous étrangers ici, même Nessus le fou, l’exilé, avec sa crinière brune hirsute et ses têtes toujours en mouvement à la recherche de quelque chose. Parleur, lui aussi, était mal à l’aise. Ses yeux, au milieu des lunettes de fourrure noire, fouillaient là végétation étrangère en quête de choses aux dards empoisonnés ou à dents pointues ; l’instinct, sans doute. Les Marionnettistes n’auraient jamais laissé vivre des animaux dangereux dans leurs parcs.
Ils arrivèrent devant un dôme qui brillait comme une énorme perle à demi enterrée. La lumière bleue se scinda en deux.
« Je dois vous quitter », les avertit Nessus. Et Louis vit que le Marionnettiste était terrifié.
« Je vais affronter Ceux-qui-dirigent. » Il parlait d’une voix basse et pressante. « Parleur, dites-moi vite. Si je ne revenais pas, me chercheriez-vous pour vous venger de l’insulte que je vous ai faite au restaurant Krushenko ? »
— « Y a-t-il un risque pour que vous ne reveniez pas ? »
— « Oui. Ceux-qui-dirigent peuvent ne pas aimer ce que j’ai à leur dire. Je vous demande encore, vous lanceriez-vous à ma poursuite ? »
— « Ici, dans un monde étranger, parmi des êtres qui détiennent une puissance aussi terrifiante et ont si peu de confiance dans les intentions pacifiques d’un Kzin ? » Parleur souligna ses paroles d’un fouettement de queue. « Non. Mais je ne poursuivrais pas non plus l’expédition. »
— « Cela me suffira. » Nessus s’en alla en trottinant, tremblant visiblement, à la suite de son guide lumineux.
— « Qu’est-ce qui l’effraie » demanda Teela. « Il a fait tout ce qu’ils lui avaient ordonné. Pourquoi lui en voudraient-ils ? »
— « Je pense qu’il a quelque chose derrière la tête », dit Louis. « Une idée tortueuse. Mais quoi ? »
La lumière bleue repartit. Ils la suivirent à l’intérieur de l’hémisphère iridescent…
Le dôme avait disparu. Depuis leurs divans disposés en triangle, deux Humains et un Kzin observaient l’approche d’un étrange Marionnettiste au milieu d’une jungle bien ordonnée de luxuriantes plantes inconnues. Ou le dôme lui-même était invisible de l’intérieur ou l’image du parc était une projection.
Les effluves de nombreux Marionnettistes emplissaient l’air.
L’étrange Marionnettiste se frayait un chemin à travers une dernière frange de vrilles écarlates. (Louis se rappela qu’il avait tout d’abord pensé à Nessus en disant : « ça ». Quand s’était-il élevé au rang de : « lui » ? Mais Parleur, un étranger familier, avait été « lui » depuis le début). Le Marionnettiste s’arrêta à la lisière présumée du dôme nacré. Alors que la crinière de Nessus était brune et hirsute, la sienne était argentée et soigneusement coiffée en boucles compliquées ; mais sa voix avait le même contralto saisissant que celle de Nessus.
« Je dois m’excuser de ne pas vous accueillir en personne. Vous pouvez m’appeler Chiron. ? »
C’était donc une projection. Louis et Teela protestèrent poliment. Parleur-aux-Animaux découvrit ses dents.
« Celui que vous appelez Nessus sait déjà tout ce que vous allez apprendre. Sa présence était nécessaire ailleurs. Quoi qu’il en soit, il a mentionné vos réactions à la découverte de nos compétences techniques. »
Louis sourcilla. Le Marionnettiste poursuivit : « Cela est peut-être heureux. Vous comprendrez mieux quand vous connaîtrez nos propres réactions devant une prouesse technique beaucoup plus ambitieuse. »
La moitié du dôme s’obscurcit.
C’était la partie opposée à la projection du Marionnettiste. Louis trouva une commande qui permettait de faire pivoter son siège ; mais il se rendit compte qu’il aurait eu besoin de deux têtes pivotantes munies d’yeux indépendants pour pouvoir observer à la fois les deux moitiés du dôme. Le côté obscur devint un espace étoilé servant de toile de fond à un petit disque flamboyant.
Un disque entouré d’un anneau. C’était un agrandissement de l’hologramme que Louis avait gardé dans sa poche.
La source lumineuse était petite et d’un blanc brillant, assez semblable à une vue de Sol depuis les environs de Jupiter. Le diamètre de l’anneau était énorme, couvrant la moitié de la partie sombre du dôme ; mais l’anneau lui-même était étroit, pas beaucoup plus épais que le disque lumineux en son centre. Le côté le plus rapproché était noir et, à l’endroit où il tranchait sur la lumière, l’arête était parfaitement nette. Le côté opposé apparaissait comme un ruban bleu pâle traversant l’espace.