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Il s’agenouilla à son côté. « C’est Louis », dit-il. « Il n’y a pas de danger. » Avec précaution, il posa la main sur la tignasse qui recouvrait le crâne de Nessus et gratta doucement. Au contact, le Marionnettiste sursauta, puis s’immobilisa.

Cette crise-là était sérieuse. Inutile de l’obliger à affronter le monde immédiatement. Louis demanda : « Cet animal était-il dangereux ? Celui qui s’est posé sur vous ? »

— « Ça ? Non. » La voix de contralto était étouffée, mais toujours pure et sans inflexion. « C’était seulement un… hume-fleur. »

— « Comment cela s’est-il passé, avec Ceux-qui-dirigent ? » Nessus tressaillit : « J’ai gagné. »

— « Très bien. Et qu’avez-vous gagné ? »

— « Mon droit de procréer, et des partenaires.

— « Est-ce pour cela que vous avez peur ? » Qui sait, pensa Louis. Nessus était peut-être l’équivalent de l’araignée veuve noire mâle, condamnée par l’amour. Ou encore une vierge anxieuse… d’un sexe indéterminé.

Le Marionnettiste ajouta : « J’aurais pu échouer, Louis. Je les ai eus. J’ai bluffé. »

— « Continuez. » Louis se rendit compte que Teela et Parleur-aux-Animaux les avaient rejoints. Il continua à gratter doucement la crinière de Nessus. Celui-ci n’avait toujours pas bougé.

La voix de contralto assourdie poursuivit : « Ceux-qui-dirigent m’ont accordé le droit légal de procréer si je survis au voyage que nous allons entreprendre. Mais cela ne suffisait pas. Pour devenir un parent, il me faut des partenaires. Qui s’unirait volontairement avec un fou à la crinière ébouriffée ?

— « Il fallait que je bluffe. Trouvez-moi un partenaire, ai-je dit, ou j’abandonne l’entreprise. Si je me retire, le Kzin se retirera également. Ils enrageaient ! »

— « Je vous crois. Vous deviez être dans votre phase d’exaltation. »

— « Je m’y étais forcé. Je les ai menacés de ruiner leurs plans, et ils ont capitulé. Un volontaire altruiste, leur ai-je dit, doit promettre de s’unir avec moi si je reviens de l’Anneau. »

— « Bien joué. Avez-vous obtenu des volontaires ? »

— « L’un de nos sexes n’est… qu’une simple possession. Non-pensant, stupide. J’avais besoin d’un seul volontaire. Ceux-qui-dirigent… »

Teela l’interrompit. « Pourquoi ne dites-vous pas simplement : dirigeants ? »

— « J’essayais de traduire selon vos propres termes », expliqua le Marionnettiste. « Une traduction plus exacte serait Ceux-qui-dirigent-en-coulisse. Il y a un président choisi, un porte-parole ou… la traduction correcte de son titre est l’Ultime.

» C’est l’Ultime qui m’a accepté pour partenaire. Il a dit qu’il ne demanderait à personne d’autre de sacrifier à ce point son amour-propre. »

Louis siffla. « C’est quelque chose. Restez blotti, vous l’avez bien mérité. Il vaut mieux avoir peur maintenant, quand tout est fini. »

Nessus remua, il semblait se décontracter.

« Il y a une chose qui me chiffonne », remarqua Louis. « Ou je devrais vous appeler elle, ou je devrais appeler l’Ultime elle. »

— « Vous manquez de tact, Louis. On ne discute pas de sexe avec une race étrangère. » Une tête émergea d’entre les jambes de Nessus et le fixa d’un air désapprobateur. « Vous et Teela ne copuleriez pas en ma présence, n’est-ce pas ? »

— « Il se trouve justement que nous avons soulevé la question et Teela a dit… »

— « Je suis choqué », affirma le Marionnettiste.

— « Pourquoi ? » demanda Teela. La tête exposée du Marionnettiste se rétracta précipitamment. « Oh ! Sortez de là ! Je ne vous ferai aucun mal ! »

— « Vraiment ? »

— « Vraiment. Je vous assure. Je vous trouve gentil. »

Le Marionnettiste se déroula complètement. « Vous ai-je bien entendu dire que vous me trouviez gentil ? »

— « Oui. » Elle se tourna vers le mur orange qu’était Parleur-aux-Animaux et dit généreusement : « Vous aussi. »

— « Je ne désire pas vous offenser », dit le Kzin doucement. « Mais ne répétez jamais cela. Jamais ! »

Teela parut décontenancée.

Devant eux se dressait une haie orange poussiéreuse, haute de trois mètres et parfaitement droite, pourvue de tentacules bleus qui pendaient mollement. Leur aspect laissait deviner que la haie avait été autrefois carnivore. Elle délimitait la lisière du parc et Nessus conduisait son petit groupe droit vers elle.

Louis s’attendait à trouver une ouverture. Il fut surpris de voir Nessus pénétrer dans l’épaisseur de la haie, qui s’écarta pour lui livrer passage et se referma derrière lui.

Ils suivirent.

Au-dessus du parc, le ciel était bleu clair ; mais quand la haie se referma sur eux, il devint noir et blanc. Sur le ciel noir de la nuit perpétuelle, des nuages vagabonds reflétaient la lumière d’une ville immense. Car la ville était là, se profilant au-dessus d’eux.

À première vue, elle ne différait des villes terrestres que par les proportions. Les constructions étaient plus épaisses, plus massives, plus uniformes ; et elles étaient surtout beaucoup plus hautes, si hautes que le ciel était tout en fenêtres éclairées et balcons illuminés, avec une fine craquelure d’ombre au zénith. On trouvait là les angles droits absents des meubles des Marionnettistes ; car là, sur ces bâtiments, un angle droit était bien trop haut pour qu’on y cogne un genou maladroit.

Mais pourquoi la ville ne se profilait-elle pas également au-dessus du parc ? Sur la Terre, les bâtiments hauts de plus d’un kilomètre étaient rares. Ici, aucun n’était moins haut. Louis supposa que le parc était entouré de champs infléchisseurs de lumière. Il ne posa pas la question. C’était un des moindres miracles du monde marionnettiste.

« Notre appareil se trouve à l’autre bout de l’île », dit Nessus « En utilisant les disques marcheurs, nous y serons en moins d’une minute. Je vais vous montrer. »

— « Ça va mieux, maintenant ? »

— « Oui, Teela. Comme l’a dit Louis, le pire est passé. » Le Marionnettiste caracolait avec légèreté en avant des autres. « L’Ultime est à moi. Il suffit que je revienne de l’Anneau-Monde ! »

Le chemin était mou. Au regard, on aurait dit du ciment incrusté de particules iridescentes, mais sous le pied, c’était un sol humide et spongieux. Après avoir longé un pâté d’immeubles immense, ils arrivèrent à une intersection. « C’est par-là », dit Nessus, indiquant la direction d’un signe de tête.

« Ne marchez pas sur le premier disque. Suivez-moi. »

Au centre du carrefour se trouvait un grand rectangle bleu entouré de quatre disques bleus, un à l’entrée de chaque rue. « Vous pouvez marcher sur le rectangle si vous le voulez », continua Nessus, « mais pas sur n’importe quel disque. Suivez-moi. » Il contourna le premier disque, traversa l’intersection, trotta sur le disque opposé… et disparut.

Pendant un instant, tout le monde resta stupéfait. Puis, avec un cri de guerre, Teela courut vers le disque. Et disparut.

Parleur-aux-Animaux rugit et bondit. Aucun tigre n’aurait pu viser mieux. Louis se retrouvait seul.

« Par les Démons de la Brume », murmura-t-il d’un air émerveillé. « Ils ont des cabines de transfert ouvertes ! »

Et il alla de l’avant.

Il se retrouva sur un rectangle au centre de l’intersection suivante, entre Nessus et Parleur. « Votre compagne est partie en avant », dit Nessus. « J’espère qu’elle nous attendra. »