Elle laissa retomber ses bras. Elle attendit sans l’aider, tandis qu’il se débarrassait de sa combinaison. Mais dès qu’il eut exposé plus de peau, elle le caressa ici, et là, pas toujours aux centres nerveux. C’était à chaque fois comme si elle avait touché le centre du plaisir dans son cerveau.
Il était en feu. Si elle le repoussait maintenant, il utiliserait la force ; il devait l’avoir…
… Mais, quelque part en lui-même, il savait qu’elle pourrait le glacer aussi vite qu’elle l’avait chauffé. Il se sentait comme un jeune satyre, mais, en même temps, il avait vaguement conscience d’être une marionnette.
Pour l’instant, il s’en moquait complètement.
Et le visage de Prill était toujours dépourvu d’expression.
Elle l’amena au bord de l’orgasme, puis elle le retint là, le garda… et, lorsque vint le moment, il eut l’impression d’être frappé par un éclair. Mais l’éclair n’en finissait pas, une décharge d’extase flamboyante.
Lorsque ce fut fini, il s’aperçut à peine qu’elle s’en allait. Elle devait savoir à quel point elle l’avait épuisé. Il s’endormit avant qu’elle n’eût atteint la porte.
Et il se réveilla en pensant Pourquoi a-t-elle fait cela ?
J’analyse tanj trop. Elle se sent seule. Il doit y avoir longtemps qu’elle est ici. Elle a maîtrisé un art, et elle n’a jamais l’occasion de le pratiquer…
Art. Elle devait avoir plus de connaissances en anatomie que la plupart des professeurs. Un doctorat de Prostitution ? » La plus vieille profession du monde était plus riche qu’on ne le pensait. Louis Wu savait reconnaître la compétence en n’importe quel domaine. Et cette femme était compétente.
Touchez ces nerfs dans le bon ordre, et le sujet réagira de telle manière. Une connaissance parfaite peut faire d’un homme une marionnette…
…marionnette de la chance de Teela…
Il y était presque. Il en était si près que la réponse, lorsqu’elle vint finalement, ne le surprit pas.
Nessus et Halrloprillalar sortirent à reculons de la chambre froide. Ils tiraient derrière eux la carcasse déplumée d’une volaille plus grosse qu’un homme. Nessus avait entouré la cheville qu’il tenait d’un morceau de tissu, pour épargner à sa bouche le contact de la chair morte.
Louis relaya le Marionnettiste, et se mit à tirer avec Prill. Il s’aperçut qu’il avait besoin de ses deux mains, comme elle. Il répondit à son salut d’un signe de tête et demanda « Quel âge a-t-elle ? »
Nessus ne parut pas surpris de la question. « Je ne sais pas, Louis. »
— « Elle est venue dans ma chambre la nuit dernière. »
Non, ce n’était pas suffisant ; pour un étranger cela ne signifiait rien. « Vous savez que ce que nous faisons pour nous reproduire, nous le faisons aussi pour le plaisir. »
— « Je le savais. »
— « C’est ce que nous avons fait. Elle est experte. Si experte qu’elle doit avoir au moins mille ans de pratique.
— « Ce n’est pas impossible. La civilisation de Prill avait un produit supérieur à l’épice survolteur par son efficacité à maintenir la vie. Ce produit a maintenant une valeur illimitée. Une dose équivaut, à cinquante ans de jeunesse.
— « Savez-vous, par hasard, combien de doses elle a prises ?
— « Non, Louis. Mais je sais qu’elle a marché jusqu’ici. »
Ils avaient atteint l’escalier qui descendait vers le bloc de cellules conique. L’oiseau traînait derrière eux en rebondissant.
— « Marché depuis où ? »
— « Depuis le parapet. »
— « Cinq cent mille kilomètres ? »
— « À peu près. »
— « Racontez-moi tout. Que leur est-il arrivé après avoir traversé le parapet ? »
— « Je le lui demanderai. Je ne sais pas tout. » Et le Marionnettiste se mit à poser des questions à Prill. De pièces et de morceaux, l’histoire émergea :
Le premier groupe de sauvages qu’ils rencontrèrent les prit pour des dieux. Il en fut de même avec tous ceux qu’ils rencontrèrent par la suite, à une constante exception près.
Leur condition de dieux résolut un de leurs problèmes. Les membres de l’équipage dont les cerveaux avaient été touchés par l’accident du brone cziltang à moitié réparé furent laissés aux soins de différents villages. En tant que dieux résidents, ils seraient bien traités ; et, en tant qu’idiots, ils seraient relativement inoffensifs dans leur rôle de dieux.
Le reste de l’équipage du Pionnier se scinda en deux groupes. Neuf, parmi lesquels se trouvait Prill, se dirigèrent vers le ponant. C’était la direction de la ville natale de Prill. Les deux groupes décidèrent de voyager le long du parapet, à la recherche de civilisation. Les deux équipes jurèrent d’envoyer de l’aide si elles aboutissaient.
Ils furent considérés comme des dieux par tout le monde, sauf par les autres dieux. La Chute des Villes avait épargné quelques survivants. Certains étaient fous. Tous avaient pris de l’élixir de jeunesse quand ils avaient pu en trouver. Tous étaient à la recherche d’enclaves de civilisation. Mais aucun n’avait pensé à en créer une lui-même.
Au cours de leur progression vers le ponant, d’autres survivants se joignirent à eux. Ils finirent par constituer un panthéon respectable.
Dans chaque ville, ils découvrirent les tours écrasées. Ces tours avaient été élevées après l’installation de l’Anneau-Monde, mais des milliers d’années avant la découverte de l’élixir de jeunesse. Celui-ci rendit les générations suivantes plus prudentes. Pour la plupart, ceux qui pouvaient se le permettre se tinrent à l’écart des bâtiments flottants, à moins qu’ils n’eussent des fonctions officielles. En ce cas, ils installaient des systèmes de sécurité ou de générateurs d’énergie.
Quelques-uns de ces bâtiments flottaient encore. Mais la plupart s’étaient écrasés au centre des villes, tous au même instant, lorsque le dernier récepteur d’énergie s’était éteint dans un dernier sursaut.
Un jour, le panthéon itinérant rencontra une ville partiellement recivilisée, habitée seulement à la périphérie. Il n’était pas question d’y jouer le Gambit de Dieu. Pour une fortune en élixir de jeunesse, ils se procurèrent un camion volant encore en état de marche.
Ils n’en retrouvèrent une autre que beaucoup plus tard, et, à ce moment, ils étaient allés trop loin. Leur détermination les avait abandonnés, et le camion ne marchait plus. Dans cette ville à moitié écrasée, parmi d’autres survivants de la Chute des Villes, la plupart des membres du panthéon renoncèrent à aller plus loin.
Mais Prill avait une carte. Sa ville natale était droit vers tribord. Elle persuada un homme de l’accompagner, et ils se mirent en route.
Ils vivaient en spéculant sur leur divinité. Ils finirent par se lasser l’un de l’autre, et Prill continua seule. Lorsque sa divinité ne suffisait pas, elle échangeait de petites quantités de l’élixir, si elle y était obligée. Sans cela…
« Elle avait un autre moyen d’établir son pouvoir sur les gens. Elle a essayé de m’expliquer, mais je ne comprends pas. »
« Je crois que je comprends », dit Louis. « Je suis sûr qu’elle le pouvait. Elle a son propre équivalent du tasp. »
Elle devait être passablement folle lorsqu’elle atteignit sa ville natale. Elle s’installa dans le poste de police posé au sol. Elle passa des centaines d’heures à apprendre comment faire fonctionner les appareils. Un de ses premiers résultats fut de le faire flotter à nouveau ; la tour, munie d’un générateur d’énergie, avait été échouée par précaution après la Chute des Villes. Dans l’entreprise, elle a dû frôler l’écrasement et manquer de se tuer.