— « Il n'était pas en danger ! Elle ne peut pas me contrôler ! »
— « Y a-t-il autre chose qui vous tracasse ? Louis, vous n’êtes pas le premier couple humain que j’aie observé pendant leur acte reproducteur. Nous estimions devoir en savoir plus sur votre espèce. N’approchez pas, Louis. »
— « Vous n’aviez pas le droit ! » Louis n’avait pas l’intention de frapper le Marionnettiste. De rage, il serra les poings, mais il n’entendait pas s’en servir. De rage, il fit un pas en avant…
Louis fut soudain en extase.
Au cœur de la joie la plus pure qu’il eût jamais connue, Louis savait que le Marionnettiste utilisait son tasp sur lui. Sans se donner le temps d’analyser les conséquences, il frappa de bas en haut.
Il utilisa toute la force qu’il pouvait détourner de son plaisir. C’était peu, mais il s’en servit et frappa le Marionnettiste au larynx, sous la mâchoire gauche.
Les conséquences furent atroces. Nessus fit : « Gloup ! », vacilla en arrière et coupa le tasp.
Et coupa le tasp !
Tout le chagrin du monde s’abattit sur les épaules de Louis Wu. Il tourna le dos au Marionnettiste et s’éloigna. Il avait envie de pleurer ; mais surtout, il ne voulait pas que le Marionnettiste vît son visage.
Il erra au hasard, perdu dans ses ténèbres intérieures. Ce fut par pure coïncidence qu’il aboutit à la cage d’escalier.
Il avait toujours su parfaitement ce qu’ils faisaient à Prill. En équilibre au-dessus d’un vide de trente mètres, il avait souhaité ardemment que Nessus usât de son tasp sur elle. Il avait vu les planaires ; il savait ce que cela leur faisait.
Conditionnée ! Comme un cobaye ! Et elle le savait ! La nuit dernière, elle avait vaillamment tenté une dernière fois de se libérer du pouvoir du tasp.
Louis avait maintenant ressenti ce qu’elle combattait.
« Je n’aurais pas dû le faire », dit Louis Wu. « Je le retire. » Même au fond du désespoir, cela était drôle. On ne peut pas reprendre un tel choix.
Ce fut toujours par pure coïncidence qu’il descendit l’escalier au lieu de le monter. Ou son subconscient devait se rappeler un déclic que sa conscience avait à peine remarqué.
Lorsqu’il atteignit la plate-forme, le vent se mit à mugir autour de lui, projetant la pluie de tous côtés, ce qui divertit un peu son attention de lui-même. Le chagrin causé par la perte du tasp s’atténua.
Louis avait un jour juré de vivre éternellement. Maintenant, beaucoup plus tard, il comprit qu’une telle décision comporte des obligations.
« Il faut la guérir », dit-il. « Comment ? Aucun symptôme physique de manque… mais cela ne l’aidera pas si elle décide de sauter par une fenêtre. Comment me guérirai-je moi-même ? » Car un recoin de son être pleurait encore le tasp, et ne cesserait jamais.
L’intoxication n’était rien de plus qu’un souvenir au-dessous du niveau conscient. Qu’on la laisse quelque part avec sa réserve d’élixir de jeunesse, et le souvenir s’atténuerait…
« Tanj. Nous avons besoin d’elle. » Elle connaissait trop bien la salle des machines de l’Improbable. On ne pouvait pas l’épargner.
Il devrait demander à Nessus de cesser d’utiliser son tasp. Il faudrait la surveiller pendant un moment. Elle serait terriblement déprimée, au début…
Louis prit soudain conscience de ce que ses yeux voyaient depuis un moment.
La voiture se trouvait à cinq mètres au-dessous de la plateforme d’observation. C’était un fuseau marron aux lignes pures, muni de fentes étroites en guise de fenêtres. Privée de propulsion, elle restait suspendue dans le vent mugissant, prise dans le piège électromagnétique que personne n’avait pensé à couper.
Louis scruta l’engin avec minutie pour s’assurer qu’il y avait un visage derrière le pare-brise. Puis il bondit dans l’escalier en appelant Prill.
Il ne connaissait pas les mots. Mais il la prit par le coude, lui fit descendre les escaliers et lui montra. Elle hocha la tête et remonta pour manœuvrer le piège policier.
Le fuseau marron vint s’accoter à la plate-forme. Le premier occupant en sortit, se cramponnant des deux mains car le vent était infernal.
C’était Teela Brown. Louis en fut à peine surpris.
Et le second occupant était tellement typé que Louis éclata de rire. Teela parut surprise et blessée.
Ils traversaient l’Œil-Cyclone. Le vent s’engouffrait en grondant dans l’escalier qui menait à la plate-forme d’observation ; il sifflait dans les couloirs du premier étage et mugissait à travers les fenêtres brisées au-dessus d’eux. Les couloirs ruisselaient de pluie.
Teela, son chevalier servant et l’équipage de l’Improbable s’assirent dans la chambre de Louis, la passerelle. L’imposant compagnon de Teela parlait gravement avec Prill dans un coin et Prill gardait un œil prudent sur Parleur-aux-Animaux et un autre sur la baie vitrée. Les autres entouraient Teela, qui racontait son histoire.
Le dispositif de la police avait détruit presque tous les appareils de son cycloplane. L’émetteur, l’intercom, l’enveloppe sonique et l’autocuisine avaient tous grillé en même temps.
Teela avait survécu parce que l’enveloppe sonique comportait un système incorporé d’onde statique. Elle avait senti le soudain souffle d’air, puis elle avait aussitôt heurté le rétro-champ, avant que le vent qui soufflait à Mach 2 ne lui eût arraché la tête. En quelques secondes, elle était revenue en dessous de la vitesse limite municipale. Le champ capteur avait été sur le point de griller son propulseur ; il s’en était abstenu. Lorsque le vent parvint à forcer l’effet stabilisant de l’enveloppe sonique, il était tolérable.
Mais Teela n’avait plus rien de son calme habituel. Elle avait frôlé la mort de trop près dans l’Œil-Cyclone. Cette seconde attaque avait suivi trop rapidement. Elle dirigea son cycloplane vers le sol, à la recherche d’un endroit pour atterrir.
Elle aperçut un mail pavé entouré de boutiques, éclairé par la lueur orange qui émanait des portes ovales. Le cyclo atterrit durement, mais elle ne s’en souciait plus. Elle était au sol.
Elle descendait de son véhicule lorsque celui-ci s’éleva de nouveau. Le mouvement la fit culbuter et elle se releva à quatre pattes, secouant la tête. Lorsqu’elle leva les yeux, son cycloplane n’était plus qu’une tache en forme d'haltère qui disparaissait dans la nuit.
Teela se mit à pleurer.
« Tu avais dû enfreindre une loi de stationnement », estima Louis.
— « Je me moquais de ce qui se passait. Je sentais… » Elle ne trouvait pas les mots, mais elle essaya quand même. « J’avais besoin de dire à quelqu’un que j’étais perdue. Mais il n’y avait personne. Alors je me suis assise sur un banc de pierre et j’ai pleuré.
» J’ai pleuré pendant des heures. J’avais peur de m’en aller, parce que je savais que tu viendrais à ma recherche. Et puis… il est venu. » Elle fit un signe de tête vers son compagnon. « Il fut surpris de me trouver là. Il me demanda quelque chose. Je ne comprenais pas. Mais il essaya de me réconforter. J’étais heureuse qu’il soit là, même s’il ne pouvait rien faire. »
Louis hocha la tête. Teela faisait confiance à n’importe qui. Elle demanderait inévitablement de l’aide au premier étranger venu. Et elle pouvait le faire en toute sécurité.
Son chevalier servant était peu banal.
C’était un héros. La chose était évidente, et il n’était pas nécessaire de le voir combattre des dragons. Il suffisait de voir ses muscles, sa taille, l’épée de métal noir ; ses traits forts étrangement semblables à ceux du visage de fil étiré dans le château appelé Paradis ; la façon dont il parlait à Prill, sans réaliser apparemment qu’elle était du sexe opposé. Parce qu’elle était la femme d’un autre homme ?