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» Savez-vous d’où je tiens le garrot ? Teela a vu ce dont j’avais besoin et a trouvé quelque chose qui pouvait servir. C’est probablement la première fois de sa vie qu’elle a réagi comme il fallait dans un cas d’urgence. »

— « Pourquoi aurait-elle besoin de réagir ainsi ? Sa chance devrait la protéger des cas d’urgence. »

— « Elle n’a jamais su qu’elle pouvait faire ce qu’il fallait en cas de nécessité. Elle n’a jamais eu besoin d’être sûre d’elle. D’ailleurs, elle ne l’a jamais été auparavant. »

— « Vraiment, je ne comprends pas. »

— « Découvrir ses limites fait partie de la croissance d’un individu. Teela ne pouvait pas mûrir, elle ne pouvait pas devenir adulte sans affronter physiquement quelque danger. »

— « Ce doit être quelque chose de très Humain », murmura Parleur.

Louis interpréta le commentaire comme un aveu de totale incompréhension. Il n’essaya pas de répondre.

Le Kzin ajouta : « Je me demandais si nous n’aurions pas dû arrêter l’Improbable à une hauteur supérieure à celle du château que les indigènes appellent Paradis. Ils ont peut-être considéré cela comme un blasphème. Mais de telles considérations semblent bien futiles, lorsque la chance de Teela Brown dirige les événements. »

Louis n’avait toujours pas vu ce que le Kzin tenait avec tant de précautions. « Est-ce la tête que vous êtes retourné chercher ? » Si c’est cela, vous avez perdu votre temps. Nous ne pourrions pas la congeler à une température assez basse dans un délai assez court. »

— « Non, Louis. » Parleur lui montra un objet de la taille d’un poing, en forme de toupie. « N’y touchez pas. Vous pourriez y perdre vos doigts. »

— « Mes doigts ? Oh ! » L’objet en forme de bulbe se terminait en pointe ; et la pointe se prolongeait par le fil qui reliait entre eux les carrés d’ombre.

— « Je savais que les indigènes avaient trouvé un moyen de manipuler le fil », dit Parleur. « Il le fallait, pour tendre le piège qui a blessé Nessus. Je suis retourné pour voir comment ils avaient fait.

» Ils avaient trouvé une des terminaisons. Je suppose que l’autre extrémité est une coupure ; le fil a dû se couper lorsque nous l’avons heurté avec le Menteur, mais ce bout-ci s’est détaché de son logement sur un carré d’ombre. Nous avons eu de la chance de le trouver et de pouvoir ainsi le manier impunément. »

— « C’est vrai. Nous pouvons le remorquer derrière nous. Le fil a peu de chances de s’accrocher à quelque chose qu’il ne pourrait couper. »

— « Où allons-nous maintenant, Louis ? »

— « Tribord. Retour au Menteur. »

— Bien sûr, Louis. Il faut que nous ramenions Nessus à son autodoc du Menteur. Mais ensuite ?

— « Nous verrons. »

Il laissa Parleur à la garde de l’extrémité en forme de bulbe et monta chercher le reste du plastique à catalyse électrique. Ils en utilisèrent un peu pour coller le bulbe à un mur — et s’aperçurent qu’ils n’avaient aucun moyen d’y faire passer un courant électrique. Le désintégrateur Négrier aurait pu servir, mais il était perdu. La situation était terriblement angoissante. Louis s’aperçut enfin que la batterie de son briquet fournirait assez de courant pour faire prendre le plastique.

Lorsqu’ils eurent fini, l’extrémité du bulbe prolongée par le fil émergeait de son logement, pointant vers bâbord.

« Je crois me souvenir que la passerelle est tournée vers tribord », dit Parleur. « Sinon, il faudra recommencer. Le fil doit traîner derrière nous. »

— « Ça devrait marcher », dit Louis. Il n’était pas très sûr… Mais ils ne pouvaient certainement pas transporter le fil. Le traîner derrière eux était la seule solution. Il ne risquait sans doute pas de s’accrocher.

Ils retrouvèrent Teela et Chercheur dans la salle des machines, avec Prill qui actionnait les moteurs ascensionnels.

« Nos routes se séparent, maintenant », dit Teela tout de go. « Cette femme dit qu’elle peut nous amener contre le château flottant. Nous pouvons entrer par une fenêtre dans la salle de banquet. »

— « Et ensuite ? Vous serez coincés, à moins que vous ne puissiez actionner les moteurs ascensionnels du château. »

— « Chercheur dit qu’il a quelques connaissances de magie. Je suis sûre qu’il y parviendra. »

Louis ne voulait pas essayer de l’en dissuader. Il avait peur de contrarier Teela Brown, comme il aurait eu peur d’affronter un bandersnatch à mains nues. Il dit « Si vous avez du mal à identifier les commandes, tu n’as qu’à tirer et pousser au hasard. »

— « Je m’en souviendrai », dit-elle en souriant. Puis, plus gravement : « Prends soin de Nessus. »

Lorsque Chercheur et Teela débarquèrent de l’Improbable vingt minutes plus tard, ce fut sans autre adieu. Louis aurait voulu dire bien des choses encore, mais ne les avait pas dites. Que pouvait-il expliquer du pouvoir qu’elle détenait ? Il faudrait qu’elle apprenne par l’essai et l’erreur, tandis que sa chance la garderait en vie.

Dans les heures qui suivirent, le corps du Marionnettiste se refroidit et prit un aspect cadavérique. Bien qu’incompréhensibles, les lumières du robot médical continuaient à s’activer. Nessus devait être plongé dans un état de suspension vitale.

Le fil suivait l’Improbable dans sa course vers tribord, alternativement tendu et lâche. Des bâtiments anciens culbutaient dans la ville, tranchés par le fil emmêlé. Mais l’extrémité soudée resta fixée dans son attache de plastique.

La ville du château flottant ne pouvait disparaître derrière l’horizon. Les jours suivants, elle diminua pour devenir enfin invisible.

Prill restait assise près de Nessus, incapable de l’aider, incapable de le quitter. Elle souffrait visiblement.

« Il faut que nous fassions quelque chose pour elle », dit Louis. « Elle ne peut plus se passer du tasp, mais le tasp a disparu et elle doit surmonter le manque. Si elle ne se suicide pas, elle est capable de me tuer ou de tuer Nessus ! »

— « Louis, je pense que vous ne comptez pas sur mon avis ? »

— « Non. Non, je suppose que non. »

Pour aider quelqu’un qui souffre, on peut essayer de l’écouter avec compassion. Louis essaya ; mais il manquait de vocabulaire, et Prill ne voulait pas parler. Il grinçait des dents lorsqu’il était seul, mais avec Prill il continua d’essayer.

Elle était toujours sous ses yeux. Sa conscience aurait pu guérir s’il était resté loin d’elle, mais elle ne voulait pas quitter la passerelle.

Petit à petit, il apprit la langue, et petit à petit Prill sortit de son mutisme. Il essaya de lui parler de Teela, de Nessus, et comment ils avaient voulu jouer à Dieu…

« Je pensais que j’étais une déesse », dit-elle. « Je le pensais vraiment. Pourquoi en étais-je sûre ? » Je n’ai pas construit l’Anneau. L’Anneau est beaucoup plus vieux que moi. »

Prill apprenait aussi. Elle parlait petit nègre, un vocabulaire simplifié de sa langue surannée : deux temps de conjugaison, pratiquement pas de modificateurs, prononciation exagérée.

— « Ce sont eux qui te l’ont appris », dit Louis.

— « Mais je savais. »

— « Tout le monde veut être Dieu. » Veut la puissance sans la responsabilité ; mais Louis ne connaissait pas ces mots.

— « Puis il est venu. Deux-Têtes. Il avait machine ? »

— « Il avait machine tasp. »

— « Tasp », répéta-t-elle avec soin. « Il me fallait deviner. Tasp le faisait Dieu. Il a perdu tasp, plus Dieu. Deux-Têtes est mort ? »