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V’là du coup le vaillant San-A. qui se taille du magasin alors que la ravissante vendeuse lui déballait un plateau de pipes (car la boutique est un bureau de tabac, certains parmi les moins tartes d'entre vous l'auront deviné). Il regrimpe les étages, San-A. A l'aide d'un ascenseur ultrarapide cela ne représente pas une croisière de longue durée. Il bombe jusqu'à la chambre du pourvoyeur de Sa Majesté Kelbobaba. Manque de bol, la porte en est grande ouverte, et deux femmes de service italiennes y donnent une aspirateur-party en fredonnant « O sole mio ». Que faire ?

Moi, vous me connaissez, n'est-ce pas ?

Je prends une poignée de monnaie et la balance sur la moquette du couloir. Après quoi j'interpelle ces dames. Elles comprennent mal le français mais obéissent à mon index en crochet frétillant. Curieuses, elles s'avancent dans le couloir.

— Qué ? me demande affablement la plus jeune, laquelle est moins vieille que l'autre.

Je leur montre l'argent disséminé.

— Monnaie ! dis-je… Molto fric, ma gosse. It is for you si vous le ramassez !

Elle comprend et aubaine avec sa copine en entreprenant une cueillette rapide de la mornifle éparse.

Le pognon, c'est magique. On ne le laisse jamais traîner. Pendant qu'elles s'agenouillent, j'entre dans la piaule de Dezange et, en moins de temps qu'il n'en faut pour l'écrire en papou à l'aide d'un dictionnaire franco-japonais, je récupère mon petit magnéto aimanté.

Je réapparais au moment où la dernière de mes pièces disparaît dans les poches préhensibles des changeuses de drap. Nous nous sourions et les aspirateuses retournent aspirer, enrichies de quelques francs helvétiques qu'elles ne manqueront pas de poster à leur vieille mamma.

Pie voleuse, capteur de bruits privés, San-Antonio, ce preux chevalier d'étang moderne, galope dans ses appartements en pressant sur son cœur généreux l'indiscret petit appareil.

Je soulève le couvercle et constate que la minuscule cassette est plus bourrée de sons qu'une poupée de foire. J'enclenche le taquet rouge de l'émetteur. Et j'écoute les choses ci-dessous, que j'ai à cœur de vous transcrire avec un maximum d'authenticité une voix à accent italien :

— Monsieur a sonné ?

La voix (à accent anglais) de Degange :

— Je voudrais un double scotch.

— Tout de souite, messieur !

Et, illico, ce qui est très marrant comme effet (mais n'oubliez pas que l'enregistreur ne marche qu'à la voix humaine) :

— Entrez !

— Avec ou sans soda, messieur ?

— Juste on the rock !

— Merci infiniment, messieur. Bonne nuit !

Et l'appareil d'enchaîner aussi sec :

— Appelez-moi Mayfair 65–78 à Londres !

Et puis, toujours dans la foulée, car la cellule audio-électro-brandouillée du magnéto n'enregistre pas les plages de silence, la voix de Dezange reprend en anglais :

— Poste 88, please !

Formidable comme effet, ce whisky obtenu à peine que demandé, cette communication avec Londres instantanée. Un rêve !

— Morrisson ? Ici Harry ! Tout a bien marché. J'ai réclamé quatre cent mille dollars à ces crétins qui m'ont promis de les verser. Je pense qu'ils sont satisfaits maintenant et vont rentrer au rapport. Heureusement que vous m'avez prévenu de… heu… l'accident survenu au ministre, sinon je risquais de me laisser posséder. Il s'en est fallu de quelques minutes car l'un de ces gentlemen m'a abordé juste comme je revenais du téléphone.

« Ah bon, la reine est au courant ? S'il le faut ! Vous avez les horaires ? Je dois repasser par Paris ? Demain 15 heures de Genève ? Et j'emmène William ? Tout le monde ? De quoi vais-je avoir l'air ! Sa Majesté me semble être un drôle de personnage ! Non, je ne l'ai jamais vue ! Elle est sensible aux hommages ? Quoi le protocole ? Ah well[6] ! Very well ! Quarante heures d'avion, je ne serai pas très frais en arrivant ! Vous semblez oublier mon âge, my dear[7]. Enfin, je tâcherai de mener rondement les pourparlers. Oui, il faut en finir ! Comptez sur moi. Good bye !

Dites, mes canards, c'est pas passionnant, tout ça ? Il a pas eu le nez creux, votre San-A, en allant placer sa ligne de fond sonore dans la chamhrette du sir ? Ainsi donc, Dezange nous a menés en bateau (c'est le cas de le dire). Lorsque je l'ai contacté, le vieux gentilhomme venait d'apprendre l'attentat contre Tabobo Hobibi. Il a pigé illico quel genre de personnages nous étions et nous a fait croire qu'il était un simple pourvoyeur de fesses ! Bravo, bien joué. Rien d'étonnant qu'il nous traite de crétins. A sa place j'en ferais autant. Maintenant, certain que nous allons retourner au bercail, il va s'envoler pour l'archipel des Malotrus afin de mener des pourparlers avec la reine.

M'est avis que le moment d'affranchir le Tondu est arrivé. Il doit se morfondre, pépère, derrière son sous-main ! Il va lui pousser de la moisissure dans les étiquettes à force d'attendre mon coup de turlu !

J'écoute le reste de l'enregistrement. Il y a une série d'ordres passés à la valetaille de l'hôtel à propos de chemises amidonnées, d'œufs au bacon. Puis la réception d'un coup de tube en provenance de la Swissairet concernant certains titres de transport pour un vol Genève-Obsénité-Atouva (la capitale des Malotrus), via Paris et Los Angeles. Ensuite, Dezange informe son secrétaire qu'ils vont s'embarquer en fin d'après-midi pour les Malotrus et lui ordonne de boucler les valises. Plus rien d'intéressant, quoi, inutile de vous infliger le mot à mot. Je décroche le bigophone pour demander le Vieux et, grâce à l'automatique, j'obtiens son bel organe harmonieux en un peu moins de pas longtemps.

— Ah ! tout de même ! fulmine le Déboisé. Je commençais à me demander… Vous auriez pu m'appeler plus tôt !

— Avant l'heure c'est pas l'heure, patron, objecté-je, si je vous avais téléphoné hier, je vous aurais induit en erreur, car voici ce qui s'est passé.

Et je lui raconte tout, mais je ne vous le retransmets pas ici vu que vous savez déjà où j'en suis. Je lui raconte le coup de la confusion sœur Marie des Anges, et sir Harry Dezange. La soirée batifoleuse du Gros. Mon magnéto bien placé et je lui passe l'enregistrement.

Il ricane :

— Nous avions vu juste, San-Antonio. Mayfair 65–78 c'est la ligne privée du Foreign Office, donc les Britanniques essaient bel et bien de nous souffler la base sous les pieds.

Un temps. Le Vieux phosphore et je le laisse gamberger à sa guise afin de lui éviter une distorsion des cellules.

— Je vais prévenir le Quai et le Centre des recherches, soupire-t-il.

Ce qui équivaut en somme à un bulletin de défaite.

— Et que vont-ils faire ? bougonné-je.

— Des contre-propositions, je suppose, mais cela me semble très mal engagé pour nous. Il est probable que la Grande-Bretagne a dû y mettre le prix pour enlever le marché.

— Elle ne l'a pas encore enlevé ! objecte l'intrépide San-Antonio, celui auquel la femme la plus vertueuse rêve en secret[8].

— Peut-être, mais cela ne saurait tarder maintenant, se résigne le dabe.

— Et l'on ne tente rien ?

— Que diantre voudriez-vous tenter ! grommelle le Vitrifié du culminant d'un ton dans lequel mon oreille exercée détecte pourtant un embryon d'espoir.

Je sens que je viens de dire quelque chose qu'il souhaitait m'entendre bonnir, le Vieux. Ça lui mouille la compresse agréablement.

Et comme je n'en rétorque pas une broque, il insiste :

— Hein, San-Antonio ? Que voudriez-vous tenter ?

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6

J'écris ah, well au lieu de ah, bien, pour vous rappeler que cette conversation a lieu en rosbif.

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8

Laissez, y'en a que ça impressionne. S.-A.