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Je ricane doucement :

— Mais… l'impossible, patron, comme toujours !

CHAPITRE SIX

Je m'en lave les mains !

Il a dit ça, le Viens, en raccrochant. Ponce Pilate, va !

Pousse-au-crime, mais prudent. « Vas-y, mon Kiki, moi je t'attends là ». Telle est sa politique au Tondu !

Il vous donne carte blanche pour, justement, que son blaze ne figure pas dans l'affaire.

« Si vous réussissez, mon cher, je peux vous assurer d'ores et déjà… »

M'assurer de quoi ?

M'assurer de rien ! Tout ce qu'il promet, le scalpé à part entière, c'est des points de suspension. Rien de plus éloquent, de plus prometteur qu'un point de suspension. Ça débride l'imagination. On y fout ce qu'on veut.

C'est à cela que je pense en bâillant dans mon fauteuil du hall à en décrocher la suspension. Ma montre raconte dix heures vingt-cinq en chiffres romains.

D'un œil morose je surveille les allées et venues du Palace. J'attends Dezange. Je ne sais pas ce que je vais entreprendre, pas la moindre idée, mes potes. Simple question de circonstances. Faudra improviser. Mon plan n'est pas un vrai plan, tout juste un projet insensé. Ça m'excite d'ailleurs. J'adore broder, tout comme les bonnes vieilles d'Alençon. La seule chose qui me tracasse vraiment, c'est le problème de l'heure. Aurai-je temps d'exécuter mon programme ? Je lis distraitement les titres de « La Tribune de Genève » posée sur une table basse : selon cet honorable journal, la guerre c'est du peu au jus. A trop jouer aux c…, les hommes vont finir par se payer une nouvelle rouste mémorable. On va faire de la purée de Chinetocks, de la marmelade d'Amerloqoes, de la bouillie de Russekis, et même du confit de neutres, les gars. C'est fatal, avec l'accroissement de la population tellement vertigineux que, le temps d'écrire cette phrase, le monde s'est accablé d'une chiée de nouveaux gus. Ils se berlurent pauvrement, les ceuss qui s'imaginent qu'il y a de la place pour tout le monde. C'est pas vrai. J'oppose un démenti. L'espace vital est contingenté, mes Gueux ! Ne pas dépasser la dose prescrite ! Prière de se débarrasser de l'excédent de bagages !

Mais, heureusement pour vous, l'arrivée de Dezange et de son acolyte met fin à ma digression. Le sir se dirige directo vers les ascenseurs, cependant que son secrétaire se rend à la caisse. L'étonnant San-Anlonio hésite le temps d'un éternuement et emboîte le pas au vieux Rosbif. Je prends le second ascenseur, et débarque à son étage au moment précis où se referme la porte de sa chambre. Je bombe jusqu'à celle-ci et y toque discrètement.

— Go in ! fait le vieux malin, en français.

Moi, quand je frappe à une porte et qu'on me crie d'entrer, faut pas me le dire deux fois.

Dezange est déjà assis devant une table et entreprend de ranger des papiers dans un attaché-case. En m'avisant, il réprime un froncement de sourcils stupéfait. Mais c'est un gars qui sait se contrôler, vons pouvez m'en croire.

— Oh ! bonjour, lance-t-il.

Il a beau affabiliser, je sens crouler sur sa frime une avalanche de points d'interrogation. Il pige plus. Il nous croyait déjà partis, le père Harry, barrés comme deux malpropres.

— Mes respects, sir, articulé-je en m'avançant. J'espère que je ne vous dérange pas ?

— Pas le moins du monde, je m'apprêtais à vous appeler, ment-il effrontément. Son Excellence a passé une bonne nuit ?

— Elle a du mal à s'en dégager, souris-je. Je crois que sa soirée fut exténuante.

— Alors, où en sont nos petites transactions ?

— Je vous apporte l'ordre de virement, sir, affirme l'insensé San-Antonio en coulant une main dans sa poche.

Je biche mon goumi de caoutchouc avec armature métallique et je lui fais aussi sec le coup du lapin. Faut être extrêmement téméraire pour pratiquer de la sorte, vous ne croyez pas, mes bons caves ? C'est pas vous qui agiriez ainsi, timorés comme je vous sais ; toujours grelottants de trouille. Chopant le hoquet au premier sifflet d'un agent !

Ah ! mes misérables, elles vous déguisent la moelle épinière en gelée de groseille, mes méthodes, convenez ? Je vais vous filer une petite couche de baume sur les abats : moi aussi, je suis sidéré par le comportement du fougueux San-A. Y a des moments, je me dis qu'il doit avoir des charançons dans le plafonnier pour agir ainsi. C'est démentiel, non ? Estourbir un diplomate britiche dans le palace le plus moderne de Genève-la-calviniste !

Pépère gît maintenant, le nez dans son porte-documents. Je le soulève par les aisselles et vais l'allonger sur son plumard. Comme je termine cette manutention, v'là qu'on frappe.

Je m'assure que, depuis l'entrée on ne peut pas voir le père Dezange et au lieu de prier d'entrer, je vais ouvrir. C'est William. En m'apercevant, il a le regard comme deux fenêtres à meneaux.

Vous verriez la suite de l'action san-antoniaise, vous vous croireriez (comme dit le Gros) à la projection d'un film de Charlot. Sans laisser au secrétaire le temps de se destupéfaire, je le biche par sa cravate de la main gauche, je le hale à l'intérieur de la chambre, je repousse la porte d'un coup de pompe et je foudroie le camarade William d'un crochet droit au menton susceptible de démolir les arènes de Nîmes. Le tout en trois secondes un dixième, faut le faire !

Je coltine William jusqu'à la couche de son vénérable patron, et lorsque ces deux messieurs jouent les gisants, sagement alignés, une réaction s'opère en moi. J'ai les cannes qui se mettent à trembler et un peu de sueur me dégouline dans le cou.

J'ai pas le temps de tomber en digue-digue car v'là qu'on refrappe. Cette porte, c'est un vrai tambour sur lequel chacun vient faire son ra.

Dominant la mélancolie qui me point, je retourne ouvrir. Cette fois, il s'agit du bagagiste.

— Je viens chercher les bagages ! déclare cet homme de bien et de peine, mais qui sera à l'honneur un jour.

— Mon secrétaire vous a fait monter trop tôt, ils ne sont pas prêts, dis-je en lui virgulant, dans mon émotion, un billet de cinquante francs dont l'avers représente une petite fille jouflue, coiffée d'une couronne de fleurs, et dont le sourire niais fait peine à voir. Le coltineur de valoches en défaille de saisissement. Je sais pas si c'est le sourire de la gamine qui le bouleverse, ou les deux chiffres placés à côté d'elle, toujours est-il qu'il se met à contempler le bifton comme s'il s'agissait d'une photo porno représentant son épouse avec le voisin du dessus. Je le congédie du geste et referme.

Sur leur plumard démocratique, le sir et son subordonné limbinent de conserve. Je décroche le téléphone et, adoptant par prudence l'accent anglais de Dezange, je demande mon propre appartement. Ça grésille un moment, ensuite de quoi l'organe du Gros gronde :

— C't'à propos de quoi donc ?

— C'est moi, Bébé rose, fais-je, tu dormais encore ?

— Je me rasais !

— Pose-là ton blaireau et ton coupe-chou, et viens me rejoindre au 842.

— Je te demande cinq minutes, Gars. Faut que je me termine le gazon.

— Tu finiras de te moissonner plus tard, y a urgence.

Là-dessus, je raccroche et, pour me désénerver, j'allume une cigarette.

* * *

Un demi-Noir à demi-barbe blanche se tient dans l'encadrement. Béru ! Il s'est rasé une joue, ce qui a effacé le fond de teint acajou sur cette partie de son visage. Son autre joue savonneuse floconne de façon patriarcale. Il tient encore son rasoir d'une main et son pantalon de l'autre. Il porte un maillot de corps à trous dont les principaux n'ont pas été prévus par le fabricant.

— Qu'est-ce tu branles ici ? demande-t-il.

— Viens voir, invité-je.

Il s'essuie et me suit à l'intérieur de l'appartement. Parvenu au pied du lit, il regarde de son bel œil fangeux les deux Anglais out. Le propre du Mastar, c'est de ne jamais s'émouvoir.