Выбрать главу

— Parfait, parfait, je vois que j'ai frappé à la bonne lourde, Gaston !

Il me défrime d'un œil indécis et je sens que quelque chose se flétrit en lui, dans la région de la gentillesse.

— Pou… pourquoi ? bute-t-il.

— Parce que vous allez pouvoir me dorloter les deux pensionnaires que je vous amène en toute sécurité. Je parie que dans votre ferme vous avez une bonne cave ? Au milieu de ces vignobles, c'est fatal !

— Des pensionnaires ?

Il est effaré. Le Gros rigole comme toute la famille Quasimodo.

— Mon vénéré chef oublie de vous dire que nos instruments à cordes sont a cordes vocales, mon pote !

L'instant des explications me paraissant venu, j'affranchis Burny dans les grandes lignes.

— Comprenez-vous, conclus-je, je suis très embarrassé par ces deux hommes. Il faut que je les neutralise en douceur pendant quelques jours, et je ne vois guère que vous qui soit susceptible de les héberger.

— Des diplomates anglais ! s'étrangle l'autre pomme suissaga, mais vous n'y pensez pas !

— Vous les traiterez bien. Dans une semaine au plus, je passerai les récupérer. Pour leur apporter de la nourriture vous mettrez un masque, voire un simple bas de femme sur votre radieux visage, Gaston. Ils ne vous verront pas. A mon retour, je les véhiculerai jusqu'à l'autre bout de la Suisse pour les délivrer et ils ne sauront jamais qui les a eus en pension.

Mais mes arguments lui font autant d'effet qu'un genou de femme contre une jambe de bois.

— Non, non, c'est impossible. L'I.S. enquêtera et ce sont les types les plus malins de toutes les polices. Ils me retrouveront, et…

— Ils ne vous retrouveront pas, certifie-je impatienté. Ça fait plus d'une heure que nos bons hommes sont bouclés dans les étuis. J'ai fait quatre-vingts kilomètres en bagnole au moins avant de les amener ici. Ils ne sauront jamais qu'ils étaient aussi près de Genève. Et comme je les délivrerai encore plus loin, ils seront complètement paumés.

« Je crois vous avoir prouvé naguère que vous pouviez avoir confiance en moi, non ? »

Ce rappel de ma créance ne le fait pas fléchir. Il continue de branler une bouille épouvantée en faisant « non, non » comme une jeune vierge à qui un chemineau proposerait de ne plus l'être. Il me bat les noix sérieusement, ce vilain apôtre. Comme dit Félicie : « Faites du bien à un vilain et il vous fait dans la main » ! Sur ces entrefaites, Mme Burny se pointe, radieuse. Elle a pris de l'embonpoint, mémère, depuis qu'elle a largué son rade de Montmartre. Elle grisonne et fibromme un peu. Ses nichemars mettent les adjas. Son soutien-chose a un boulot monstre pour les ramener dans le droit chemin, ces indisciplinés.

Son sourire s'éteint lorsqu'elle avise la devanture décomposée de son bonhomme.

— Que se passe-t-il, Gaston ? s'exclame la digne rentière.

Je la rassure d'un sourire.

— Rien de grave.

Et je lui résume l'objet de ma visite. Un peu d'angoisse fripe ses traits, pourtant, elle encaisse mieux que son pantin.

— Si ça doit vous rendre service, commissaire. Nous avons une dette envers vous.

— Merci, ma bonne amie, je savais que je pouvais compter sur votre coopération, assure-je. Je vous donne ma parole d'homme que vous n'avez aucun ennui à craindre.

— Complicité de kidnapping ! Aucun ennui à craindre ! glapit Gaston. Et les kidnappés sont des diplomates anglais ! Vous vous foutez du monde ! Jamais je ne marcherai dans une pareille combine, m'entendez-vous ? Jamais, jamais, jamais !

— Gaston ! murmure sa femme, très ennuyée.

Maïs il s'obstine, il devient gonzesse frileuse, le Gaston. Il se cramponne à sa quiétude bourgeoise. Qu'on le laisse crever peinardement, au milieu de ses rosiers. L'air de sa Suisse natale l'a régénéré. Loin de Pigalle, il a retrouvé le goût de la vie simple et tranquille. Il ne vent plus d'histoires, plus jamais ! Il est redevenu farouchement neutre, Gaston, voilà !

Je sens que c'est foutu. J'enrage. Je grogne, je rogne, je vergogne, je cigogne, je suis cogne.

— J'aime pas rappeler mes bienfaits, Gaston, mais laissez-moi vous dire que sans moi, vous seriez en ce moment à la Centrale de Poissy, en train de fabriquer des trucs en matière plastique.

— C'est vous qui le dites, j'étais innocent et j'aurais prouvé mon innocence !

Voilà où nous en sommes, mes chéries. Ce que ça m'écœure ! Les gens que vous avez dépannés finissent toujours par nier vos bontés. Ou par prétendre qu'elles n'ont servi à rien. Ah ! bonté céleste, heureusement qu'il existe les gonzesses. Elles, au moins, ont la reconnaissance du ventre !

— Très bien, Gaston, je vous remercie, soignez-vous bien et soyez heureux, rouscaille-je en me dirigeant vers la Bentley.

Que vais-je faire de mes pèlerins, maintenant ? Faut que je trouve une solution de rechange et que je la trouve vite car il est plus de midi. Dans trois plombes notre coucou décollera.

— Tu permets un instant ? me lâche le Mastar en se dirigeant vers Burny.

— Oh ! laisse, Gros, misérablé-je.

Mais il ne se laisse pas stopper.

— J'ai dit juste un instant, s'emporte le mammouth.

Il touche le bras de Gaston.

— M'sieur Gaston, si vous permettriez, je voudrais vous toucher un mot en particulier.

Il a un beau sourire engageant, Béru. Sa physionomie reflète la bonhomie la plus cordiale, la mansuétude la plus obstinée. L'autre s'y laisse prendre. Béru le biche familièrement par une aile, et les deux personnages disparaissent dans l'odorant labyrinthe de la roseraie.

— Faut excuser mon mari, monsieur le commissaire, pleurniche Mathilde. Depuis son infarctus, la mort de sa mère et tout, il est devenu tatillon. C'est comme qui dirait un jeune vieillard.

— Bien sûr, murmuré-je sinistrement. C'est l'évidence même.

Elle essuie une giclée de larmes.

— Je suis navrée qu'on vous refuse ce service, hoquète-t-elle.

— Et moi plus encore que vous me le refusiez !

Je la laisse évacuer sa honte en fumant une cigarette. Les momifiés de la contrebasse commencent à s'agiter dans leurs étuis. Je perçois des grattements, des geignements. Un vrai concert… de lamentations.

Le Gros tardant, je file deux petits coups de klaxon impatientés. Qu'est-ce qu'il branle, Béru ?

Tout à coup, les rosiers qui se dressent en bordure de l'allée s'escamotent et tombent. Le Gros apparaît, une faux dans les mains, il vient de tracer une étrange voie à travers la roseraie de Gaston. Derrière lui, Burny trépigne. Comme il est bath, Béru, dans ce geste de faucheur, aussi auguste que celui du semeur. Un peu rouge, en sueur, le bitos rejeté en arrière, les manches de la chemise retroussées. Il s'arrête au bout de l'andain et prend appui sur le manche de la faux.

Mort de rage et de chagrin, Gaston lui saute sur le poil, le houspille en glapissant des « Misérable ! Je vais appeler la police ».

Lors, Béru rejette sa faux, s'essuie le front et déclare :

— Ça, mon pote, c'est la première sanction. Après quoi, il désigne sa montre à bracelet métallique.

— Tu vois c'te tocante, hein, fesse de rat ? C'est une Difor, donc elle est costaude. Eh bien ! je te diforme ma Difor sur le museau si tu t'obstines à jouer les ingrats. Et c'est pas tout, mon mec. J'ai plein de copains qui demandent qu'à me faire plaisir. Je leur tutoie ton pedigree dans le tuyau de l'oreille, et, aussi vrai que c'est plein de glace au pôle Nord, tu ne passeras jamais plus une nuit de repos, Gaston. Quand on veut foutre la m… dans la vie d'un gars, il a beau s'entortiller de flics et se barricader dans son réfrigérateur, ça n'empêche rien, souviens-en toi !

Il file encore un petit coup de faux polisson dans une somptueuse touffe de polygonus graducus veinés.