— Elles ont pourtant tout ce qu'il faut pour rire et s'amuser en société, ma chère jesté. Vous croyez-t-il pas qu'au lieu de leur montrer comment t'est-ce que les Européennes se font brillamment étinceler le trésor, vous auriez avantage de les confier à des dégourdis dessalés du calbar et bourrés de bonnes recettes ? Car, soyons logiques, ma Majesté, mais une frangine est surtout frigidaire biscotte les gus sont pas à l'hauteur de la situation. Vous avez des tas de petits malins qui se prennent pour des épées et qu'ont pas plus de fantaisie qu'un centre de sémination artificielle. Neuf fois sur dix, leurs prouesses c'est « dérangez-vous pas pour moi, je fais qu'entrer et sortir » ; à ce compte-là, les cœurs pas très portées sur la tendresse ravageuse prennent pour une corvée ce qui devrait z'être une partie d'extase, comprenez-vous ?
L'énorme potentate paraît troublée par la diatribe béruréeune. Elle écoute, depuis son trône majuscule, en caressant ses formidables bajoues plus ou moins goitreuses.
— J'ai pensé à cet aspect du problème, nous dit-elle, mais il offre une impossibilité majeure : si nos filles s'accouplent avec des Blancs, notre race sera polluée, car il s'ensuivrait une progéniture impure…
Le Gravossimo tique vachement sur les épithètes.
— Votre Majesté envoie le bouchon un peu loin, affirme-t-il. « Polluée », « impure », c'est pas très gentil, ça… Sa Majesté serait racisse sur les bords que j'en serais point tautrement surpris.
— Une race comme la nôtre doit se préserver farouchement, affirme la souveraine.
A mon tour, j'interviens.
— Le monde évolue, Majesté. Ce sont les croisements qui assurent la solidité de la race humaine. Lorsque tous les habitants de la planète auront la même couleur indéfinissable, le même gouvernement et la même religion, alors seulement les conflits cesseront et l'homme sera digne de lui-même.
Pour lors, le petit vieux barbu qui tient le sceptre gravit à genoux les marches du trône et dit quelque chose de pas gentil sur nous à la reine. Bien qu'il s'exprime en dialecte malotrusien, je devine à la vivacité, à l'âpreté de son ton qu'il ne partage pas notre point de vue et qu'il rappelle sa souveraine à l'ordre. Elle l'apaise d'un geste de ses petits bras jambonnesques.
— Le devin Nikola souhaite que nous changions de sujet et nous approuvons son objection, déclare Kelbobaba.
Je virgule un regard maussade au vieux barbu. D'instinct, je flaire l'ennemi chez cet homme. Il est ce qui existe de pire dans un pays : le représentant des vieilles traditions. La reine ajoute quelque chose, et tous les assistants se retirent, à l'exception du vieillard.
— Messieurs les envoyés spéciaux, dit alors le vieux croquant, Sa Gracieuse Majesté vous propose le programme suivant : discussion préalable, en privé, à propos des accords. Ensuite inauguration de la première ligne de métro de Merdabéru, puis banquet officiel suivi de la cour d’amour. Elle espère que ce déroulement des entretiens et festivités vous agrée ?
— Qu'il soit fait selon le désir de Sa Gracieuse Majesté, lancé-je d'un organe vibrant.
La reine nous consent un sourire. De quoi filer le vertige à un poseur de ligne électrique, les gars ! Ses dents jaunes de fée Carabosse née d'un ogre sont redoutables.
— Approchez ! invite la souveraine.
Nous nous hasardons sur les marches de son trône. Chacune de ses mains nous désigne les éléphauts-accoudoirs.
— Prenez place !
— C'est-à-dire, ma chère jesté ? demande le Gros.
Le barbu explique :
— Pour les entretiens privés, les interlocuteurs de Sa Très Gracieuse Majesté ont le droit de s'asseoir sur les accoudoirs du trône, face à Elle.
Nous obtempérons. M'est avis que nous devons composer un plaisant tableau, mes loutes. Le Gravos, à califourchon sur la tronche de son éléphant d'ivoire, constitue un extraordinaire cornac.
Le vieux an sceptre se tient debout sur la dernière marche du trône. Il est plus sévère que jamais.
— Avant toute chose, commence Kelbobaba, je voudrais connaître la vérité sur l'attentat dont a été victime Tabobo Hobibi, mon ministre des Affaires étrangères.
Je croise les gros carreaux globuleux de la reine. Yeux de vache, certes, mais qui reflètent pourtant une certaine intelligence. Je lis de la ruse et de l'observation dans ces énormes prunelles.
— Nous attendions sa venue à Genève, déclaré-je, et c'est le Foreign Office qui nous a appris l'agression. La police française enquête, paraît-il, mais n'a encore rien découvert.
— Connaît-elle l'identité de mon ministre ?
— Je ne le pense pas, les journaux n'ont cité que le nom d'emprunt de Son Excellence.
— Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'un meurtre commis par le Deuxième Bureau français ? continue la reine. Supposons que ces messieurs aient appris l'objet du voyage de Tabobo Hobibi et qu'ils aient voulu empêcher coûte que coûte ces entretiens ?
Mon petit doigt (qui s'est toujours montré de bon conseil), me chuchote que le moment de poncer le prestige français est arrivé. On a une sacrée vapeur à renverser, les gars. Faudrait p't'être bien retrousser ses manches et se filer au turf, non ?
— Voyons, Majesté, dis-je en caressant la trompe de mon éléphant-tabouret sur lequel j'acalifourchonne, le Deuxième Bureau n'a pas l'habitude d'assassiner les ministres des nations amies, et s'il arrivait à une telle extrémité, il se garderait bien de commettre le meurtre en territoire français, ce qui serait de la dernière imprudence…
Le Mastar, qui écoute mon raisonnement et qui pige mes intentions, en rajoute iminedialely :
— Si vous voudriez me croire, ma chère jesté, ce coup-là, c'est les Anglais ! Ils ont eu peur que vous vous ravisassiez, et ils ont voulu fout' la vérole entre la France et vous, ce qui est bien dans leurs manières sournoisely.
— Pourquoi dites-vous : les Anglais, alors que vous êtes anglais ? s'exclame la souveraine. Pourquoi accablez-vous votre pays ?
— J'accable ballepeau, ma Majesté, je constate one-li ! C'est pas parce que j'sus rosbif que ça m'empêche l'esprit critique. D'ailleurs, entre nous et une boutanche de Vosne-Romanée, j'en suis pas plus fier qu'autre chose d'être anglais. Bon, vous allez me dire qu'il en faut. Mais puisque on discutaille le bout de gras en décatimimi entre la trompe d'éléphant et le faux mage, laissez-moi vous chuchoter, vu l'estime et le léger coup de foudre que je vous porte, que vous faites une sacrée boulette en traitant avec la Mahousse Bretagne. Le Majeur Thomerson va pulluler dans vos îles, les grands secs, moustachus comme des chats, couleur de steack tartare et plus rigides que des baleines de pébroque. Ah ! vous allez voir, c'est pas des farceurs ! Et pour ce qui est du radada avec vos mousmés, c'est pas eux qui risquent de transformer vos frigidaires gamines en braseros. Parce que des don Juan commak, ma pauvre jesté, ils sont tout juste bons à faire des balayettes de gogues ! Tandis que vous eussiez traité avec la France, oh pardon ! C't'avalanche de petits polissons qu'allait s'abattre sur votre archi-pelle ! Les Français, qu'ils s'occupassent de l'atome de lancement ou qu'ils soyent fraiseurs chez Renault, pour eux, ce qui compte, c'est la bagatelle. Comment qu'ils allaient les éduquer, vos bergères, tout en explosionnant de la bombinette. En trois mois, ils te vous les déguisaient en petites délurées friponnes. Vous faisiez coup double ! Et quant à ce qui est de leurs espériences, ça circoncisait les risques, ma petite jesté ! Biscotte (comme on dit à Londres), la bombe anatomique française, c'est comme qui dirait un accessoire pour farces et attrapes, elle retombe en confetti ! Et les irradiations radiophoniques-activées, on s'en protège avec de l'ambre solaire ou de la crème Nivéa. Je vous cause comme je pense, uniquement parce que vous m'avez à la frissonnante, c'est comme qui dirait physique, quoi !