Выбрать главу

Il aime pas, le vieux teigneux. Mais alors pas du tout. Il doit avoir de sévères exigences pour pousser une bouille aussi consternée.

— Prenez garde, grince-t-il, vous méconnaissez mon pouvoir !

Je lui virgule un petit sourire insultant (comme on disait jadis au Maroc).

Et, à haute et intelligente voix, je claironne :

— Si vous voulez bien poursuivre votre lecture, ô devin blanc, nous en serions ravis.

Nous nous rapprochons du trône et c'est pour découvrir une scène extrêmement troublante. Pendant que nous appartions, le vioque et moi, Béru s'est mis à faire du gringue à Kelbobaba. Il est tout près d'elle et lui chuchote des trucs en la matant dans le jaune des yeux. C'est attendrissant, ce flirt Béruro-monarchique. La reine est vachement troublée, ça se voit à la manière qu'elle tire ses stores et se tripote la bagouze royale (un énorme diamant éclairé de l'intérieur et serti de minuscules ballons de rugby en émeraude d'un rouge extraordinairement bleu).

Le devin continue de dévider son papier qui serpente sur les marches du trône. Il sucre de rage, le sacripant, et sa voix fait la béchamel :

— En contrepartie de cette location à long terme de l'île Tanfédonpa, poursuit-il, le gouvernement malotrusien exige la fourniture d'un porte-avion vieux de moins de cent ans, d'un cheptel de dix esclaves blanches renouvelé tous les mois, d'un stock de seize mille ronds de serviette assez larges pour pouvoir servir de bracelets, de quatre missionnaires bien en chair pour les fêtes annuelles de l'Emasculée Contraception[14], de cent mille porte-monnaie en matière plastique[15], de l'installation d'un ventilateur dans la chambre de Sa Majesté, et enfin d'une rente de deux cent mille livres dont les titres seront choisis sur le catalogue du Fleuve Noir.

J'en profite pour porter un nouveau coup d'estoc au vilain vieillard.

— En ce qui concerne le dernier paragraphe, y'a comme un défaut, ô devin des rochers, joie du cœur et velours de l'estomac.

— Ah vraiment ! grogne le barbouzard.

— Nous étions convenus de livres sterling, et non de livres de bibliothèques !

— C'est faux ! glapit le dabuche ! Que ferions-nous d'une monnaie qui n'a pas cours dans notre pays ?

C'est évidemment sans réplique, mais le faux sir que je suis s'obstine avec un entêtement tout britannique :

— Ce qui fut dit, fut dit, nous n'y reviendrons pas ! déclaré-je.

Ça le fait trépigner, pépère. Un vrai petit capricieux, le gnome de Sa Majesté.

— Menteur ! Menteur ! Menteur ! crie-t-il. Béru réagit avec sa spontanéité coutumière.

— Dites, ma petite jesté, votre devin a de la bouteille, déclare le cher Alexandre-Benoît, m'est avis qu'il faudrait lui trouver une gâche d'aide-jardinier à l'auspice des vieillards du coin ? C'est la politique de père radote qu'il applique !

Visiblement, l'incident la chiffonne, la brave Kelbobaba.

— Calmez-vous, devin Nikola, murmure-t-elle, nous reprendrons ces conversations en fin de journée !

Comme quoi, on a beau être manœuvrée par son conseil des anciens, quand on est reine, on sait établir sa souveraineté à l'occasion.

— Il est temps d'aller inaugurer notre ligne de métro urbain.

Elle tire sur un cordon qui déclenche un klaxon italien à quatre notes du plus tonitruant et mélodieux effet.

Illico, ses péones radinent.

— Votre bras, messager ! fait-elle à Béru.

Il est étourdi par cet insigne d'honneur, le Gros.

— Le bras ! balbutie-t-il, mais ma pauvre jesté, je suis pas titre. J'aurais un blaze qui se dévisse, un brin de molécule devant le patronyme, ne serait-ce même qu'un tiret entre deux noms ; mais des clous !

— Il est de fait ! clame le grincheux vieillard ! Ce roturier n'a pas le droit de toucher sa Majesté.

Bérurier sursaute.

— Le rôtissier que tu causes, toujours est-il, peut prendre le droit de t'arracher la barbouze, hé, fesse de rat, pour peu que tu l'insultâtes encore devant la Cour ! Non, mais qu'est-ce qu'y se croit, ce vieux fagot ! C'est pas pour dire, ma Majesté, mais vous supportez là un drôle d'oiseau !

— Attendez ! dit la reine.

Elle étend sa lourde battoir, où brille l'anneau royal, au-dessus de la tête courroucée de Béru.

— Au nom de la dynastie des Gouniafiés, j'élève cet homme à la dignité de vice-baron et le nomme gouverneur du musée de la Citronnerie. Ouïa ! Ouïa !

Toute la foule reprend en chœur : « Ouïa ! Ouïa ! ».

Béru regarde autour de lui d'un œil hébété. La lumière tombant de la verrière le nimbe littéralement.

— Vice-baron, soupire-t-il. Alors, la, sa jeste me fait une drôle de fleur.

— Votre bras ! dit alors Kelbobaba avec noblesse, en fustigeant le devin Nikola d'un regard de femelle triomphante.

CHAPITRE DEUX

Drôlement long et un peu bath le chapitre qui précède, hein ? Je viens de le religoter et je suis catégorique, les gars : c'est une pièce d'anthologie. La littérature ne l'oubliera plus. Jamais ! Hop ! Il appartient au patrimoine, j'y peux plus rien. Il a cessé d'être ma propriété. La Pléiade, déjà, me l'a soustrait, aspiré du stylo comme on suce un jus de fruit avec une paille. Fhhhloufff ! C'est terrible d'écrire trop au bord de la gloire, je vous jure ! On n'est plus maître de soi. Les rotatives de l'histoire vous happent. Ça me peine pour les ceux qui auraient eu tellement de plaisir à me découvrir, plus tard, à m'exhumer la prose d'un grenier. Je leur coupe la découverte sous les nougats. Trop tard, je me suis découvert moi-même. Je m'auto-Christophe-colombe. L'exploit du siècle, en somme. Il aura été jusqu'à se découvrir soi-même, San-A. Et pas seulement devant les enterrements ; dans le fond, je trouve ça inquiétant.

Mais je vous ai quittés au moment qu'on allait inaugurer le métro d'Obsénité-Atouva, en mahousses pompes, Béru, vice-baron, avec la reine au bras. Il est voué au gras double, le Mastar. C'est une vocation ! Pire : un signe ! Tout ce qui bajoute et ventripote, toutes les mères tue-bascules lui font du rentre-moi-dedans.

C'est une étrange spécialisation que seule sa forte musculature, sa sanguinité et le reste lui permettaient d'affronter.

Cette fois-ci, une reine authentique, dites, vous vous rendez compte !

— On pourrait pas prendre une petite photo souvenir, Majesté ? s'inquiète-t-il en gagnant la sortie, c'est juste pour en mettre plein les chasses à mes potes !

Elle le rassure, Kelbobaba. Y aura un reportage détaillé dans « Jours de Malotrus », et vraisemblablement la couverture de « Partouze », l'hebdomadaire de la famine. Alors il se rengorge, le Béru. Il se rengorge, bombe le torse et avance à petits pas solennels.

— J'ai l'impression de refaire ma première communion, m'avoue-t-il.

Nous sortons du palais. Des boys se précipitent pour porter la reine, car son poids et ses volumes ne lui permettent pas de gravir un escalier. Ce qu'elle a dû être sage et bien briffer sa soupe en étant chiare pour mériter un pareil embonpoint ! Béru, toujours à l'avant-garde (royale) de l'altruisme, aide à coltiner la viandasse souveraine. Il soutient un gigot, le Gros. Faut toujours qu'il choisisse les beaux morcifs.

On arrive sur la place. Non loin de la statue, une palissade subsiste. Des gus écartent les rondins de bambou et nous découvrent alors une espèce de vaste nacelle suspendue à un treuil. Un fauteuil rouge occupe le centre de ladite nacelle. La reine y prend place. Nous sommes une douzaine de hautes personnalités à être admis sur cette plate-forme.

Dès qu'installés, une armada de préposés portant une casquette sur laquelle flamboient en caractères dorés les mots Métropolitain-Express (l'inscription fait deux tours de casquette car les lettres sont assez grosses) s'emploie à actionner la manivelle du treuil et notre cage s'enfonce dans les profondeurs du sol. La reine Kelbobaba est radieuse. En revanche, son porte-sceptre continue de faire la gueule.

вернуться

14

Je ne fais que pousser vers le farfelu, l'Immaculée Contraception de mon ami Pierre Dac, auquel je tiens à rendre en ce bas de page, bien indigne de lui, un petit bout de l’hommage qu'il mérite.

вернуться

15

N'oublions pas qu'aux Malotrus, le porte-monnaie en peau de lézard leur sort par les yeux !