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Il ne me coltine pas dans son cœur, le barbu. Il doit flétrir (in petto pour que ça fasse moins de bruit) la félonie britannique. On l’a possédé, le vieux crabe ! Il mijote des représailles. La façon dont sa souveraine s'est entichée de Béru lui fait comprendre que ça sera coton de l'amener à laisser quimper les accords. Mais un qui jubile à niort, c'est votre San-Antonio. Ma parole, tout ce méli-mélodramatique baigne dans le beurre des Charentes, mes fils. Avec quelle diabolique habileté j'ai trouvé l'étalon d'Achille, comme dirait Zavatta.

Mine de rien, c'est la partie adverse qui va saper les pourparlers.

Béru me glisse à l'oreille, profitant du grincement perçant de la poulie qui force la reine à se faire obstruer les portugaises avec de la gomme arabique chauffée :

— Tu dis que je l'ai en pogne, Poupette ? J'ai mon planninge tout tracé, Mec. Je m'efforce de lui envoûter le sentiment et je chique un gars bourré de remords qui, en pleine commotion, annonce à la reine qu'on venait l'arnaquer. Je joue les traîtres par amour, si t'es d'accord ? Style : tant pis pour ma patrie, celle que j'en pince avant tout !

— Bravo, c'est exactement de cette manière qu'il faut usiner.

— Y'en a un qui m'inquiète, c'est le barbu, continue le Dodu, ce petit morpion ne peut pas nous encaisser.

— T'inquiète pas, ça sert nos intérêts…

Ouf ! après un long balancement et beaucoup de heurts (au fait, quel heurt avec vous ?) nous arrivons à la tête de ligne du premier tronçon.

Le métro d'Obsénité-Atouva est un large couloir éclairé par des lampes à huile de palmes académiques, long d'une cinquantaine de mètres et large de quatre.

Il va d'une extrémité de la place du parlement à l'autre, somme toute. Il est composé d’un vieux tramway cédé par la compagnie O.T.L. de Lyon et repeint aux couleurs nationales des Malotrus. Sur les flancs du véhicule, deux énormes lézards, emblèmes du paye, prennent des allures de crocodiles, ou tout au moins de caïmans.

Lorsque nous avons quitté la nacelle, la reine, portée dans son fauteuil, est placée devant le tramway. Des flashes explosent. Toute la presse des Malotrus est là, prête à faire le coup de feu pour pelliculer cet instant hystérique.

La reine tend la main. On lui place son discours dedans. L'endroit étant assez obscur, un serviteur éclairé lui braque le faisceau d'une lampe de poche sur le parchemin.

La voix fluette de Kelbobaba s'élève, réverbérée par la voûte. C'est du torché, faites-lui confiance ! Elle célèbre en termes vibrants le fantastique « bond en avant » de la nation nialotrusienne. A l'heure où tant de capitales occidentales sont encore dépourvues de métro, voici qu'Obsénité-Atouva possède le sien !

Elle entrevoit des lendemains féeriques dans l'aube nouvelle des futurs rénovés, textuellement ! Elle affirme que ce bouleversement dans la vie urbaine de sa cité fait augurer d'un essor que rien ne saurait entraver. Ce métro s'inscrit dans le conteste de ceci et bouleverse les coordonnées de cela ; c'est dire ! Bref, le jour d'hui est un grand jour dont les vingt-quatre heures pèseront leur poids de moutarde dans le destin du pays !

Ses sujets en sanglotent d'émotion. Béru fait une claque monstre à sa royale hôtesse. Il en remet, le vice-baron !

L'émotion, qui pourrait n'être que colonelle, est générale ! Le maréchalat la guette !

Toute la cour hisse sa souveraine dans le tramway qu'un wattman de cérémonie, en jaquette, short à poids et chapeau de boër ne pilote pas, puisque le métro est tracté à l'huile de coudes par cinquante gus plus nus qu'une banane épluchée. Du moins, ce somptueux wattman actionne-t-il la sonnette du ci-devant tramway bourré de moyeux, naguère de soyeux, et maintenant de joyeux.

Le véhicule s'ébranle (avec toutes ces mains, c'est facile). La reine se penche sur nous.

— Quel dommage que nous ne possédions pas d'hymne national, nous dit-elle.

— En effet, reconnais-je, ce serait le moment ou jamais !

Bérurier s'enhardit à saisir le poignet (jambonnesque) de la reine.

— Si vous en voudriez un, ma Majesté, je peux vous l'offrir, sur un plateau. S'agit d'une marche drôlement enlevée, que je verrais bien vos guignols marcher au pas sur son rythme.

Kelbobaba semble vivement intéressée.

— Vraiment, vice-baron ?

Son nouveau titre par lequel le qualifie celle qui le lui a offert (une phrase pareille, vaut mieux la prononcer à jeun) amène une rougeur sur lafrime rubescente de ma Majesté à moi.

— Tel que je vous le cause, marraine ! Je sais même pas si les droits de la musique en question sont déposés à l'as à sème. Le morcif s'appelle La marche des matelassiers. Et ça dit exactement ceci.

Il ferme ses beaux yeux de baryton enrhumé, dénoue sa cravate et, tandis que le tramway roule, roulotte, tangue et tangote sur les rails mal ajustés du tunnel, Béru entonne son hymne allier :

Mon père était matelassier Mon grand-père était matelassier Mon arrière-grand-père était matelassier

C'est stimulant comme chant. Ardent et noble. Ça galvanise, ça enflamme, ça oriflamme. Les autres se taisent, babouche-bée. L'organe somptueux du Gravos roule comme un torrent sous-terrain sous la voûte où clignotent les quinquets.

Extasiée, la reine ne quitte pas le barde de ses yeux bardés de jambon. Il est en train de superbement gagner la partie, Béru. C'est Alexandre (Benoît) le Grand. Chaliapine la Guillaumette-le-con qu'est errant. Il charme, il embrase, il fascine. Vive Béru !

Lorsqu'enfin sa voix s'estompe dans les échos grotesques (venant de grottes) du métro, une salve d'applaudissements retentit. La reine a donné l'exemple. La première elle a crié : « Hip hip hip hourra », ce qui, dans le pittoresque dialecte du patelin se dit « Pipi qui pourra ». Y'a que le père Nikola qui moufle pas. On a le devin triste, les gars ! Il mâchouille des rancunes, aiguise des flèches, il a le curare à fleur de peau, la bile lui dégouline par les chasses.

— Dès ce soir, vice-vicomte, je vous prierai d'apprendre cette marche à mon chef de musique et je le décréterai hymne national, déclare Kelhobaba. On l'enseignera dans les écoles et toute la jeunesse malotrusienne devra le chanter, le matin, pendant le salut au coureur[16].

Nous voici parvenus à destination, c'est-à-dire a l'autre extrémité de la place. Le cortège se détramwayse.

L'ingénieur des ponts déchaussé (il est nu-pieds) attend, au garde-à-vous, les compliments de Sa Majesté.

Ceux-ci ne lui sont pas marchandés. Kelbobaba dit combien elle est éblouie par cette réalisation dont le modernisme est sidérant. Elle félicite l'ingénieur pour son travail titanesque et le décore séance-tenante du cordon de Matuche.

Il est très ému, l'ingénieur. Il explique à la reine le délicat extrême de ce fabuleux forage. Le hic, explique-t-il, c'est qu'il n'a pu pratiquer qu'une seule issue pour accéder au métro, le roc étant extrêmement dur et épais à l'autre bout de la place. Ça oblige à ressortir par où l'on est entré. La reine assure que c'est sans importance, que la force du sage est de savoir limiter ses ambitions. L'essentiel était de doter Obsénité-Atouva du métro. Maintenant que c'est fait, le peuple serait un beau peigne-zizi s'il exigeait deux issues. D'autant plus que la ligne n'étant pas très longue, il est facile de ressortir par où l'on est entré, d'ailleurs, un trottoir a été aménagé, parallèlement au rail permettant aux voyageurs qui ne veulent pas prendre le métro pour gagner la sortie de se déplacer à pinces.

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16

Je crois utile de donner quelques éclaircissements aux lecteurs concernant le salut au coureur en question. Les allumettes constituant, dans les Malotrus, une denrée extrêmement rare, le gouvernement malotrusien a décrété qu'on n'en utiliserait qu'une par jour pour enflammer une torche qu'un coureur de fond porte de foyer en foyer (afin d'allumer ceux-ci). Il est encouragé par la population des îles qui le salue joyeusement. Métier bien rétribué que celui-ci, mais extrêmement pénible, voire dangereux puisque lorsque le porteur de feu rate une allumette, il est aussitôt décapité.