— C'est la loi ! dit farouchement l'opulente reine en repoussant la main de mon ami. Désormais, ajoute la vaillante personne, j'ai pour mâle mon royaume ! Je ne connais l'amour qu'à travers les autres…
La Jeanne d'Arc de la ceinture de chastété ! gouaille l'Abominable. C'est pas avec un royaume qu'on se fait reluire, ma Majesté, mais avec ses sujets !
Et, sur ces belles paroles, le Gros se tait, retire sa main, perd ses couleurs, ouvre la bouche, cesse de mastiquer et fixe l'entrée de la salle des festins.
Je l'imite.
A mon tour je perds mes couleurs et cesse de mastiquer.
Flanqué de deux officiers anglais en grande tenue d'officiers britanniques, sir Harry Dezange et son fidèle William se tiennent dans l'encadrement.
Malgré l'étrange banquet qui se déroule sous leurs yeux non habitués d'arrivants, ils n'ont de regards que pour la table royale. Le messager quinous accueillit le matin à l'aéroport accompagne ces messieurs. Sa figure crispée affirme qu’il est au courant de notre supercherie.
Le petit groupe s'avance vers nous, implacable.
— Eh ben mon vieux, murmure le Gros, ton ami Burny, je le retiens ! On me causera des pensions suisses après ce coup-là !
CHAPITRE TROIS
Je vous mate d'ici, mes bons apôtres. Vous vous disiez : le San-A., il se paie des cerises à l'eau-de-vie avec son voyage aux îles Malotrus. Il fait de la croisière ; il se roule dans le pittoresque, il se badigeonne d'exotisme, et nous avec ! Le rentre-dedans de Béru à la reine, c'est poilant un instant, mais ça ne fait pas de l'action. C'est statique, le descriptif, il zolase, le frère !
Je me goure, peut-être ? Avouez que vous vous demandiez s'il n'allait pas tourner au guide bleu des Vosges, mon nouveau chef-d'œuvre ! Si, partant d'une affaire policière, on allait pas larguer l'action pour tout de bon, se cantonner dans le farfelu de la cour malotrusienne, en rajouter, passer de l'inauguration du métro aux amours de Kelbobaba avec Béru ! Encore, ça, a la rigueur, vous me l'auriez toléré, hein, mes drôles ? A condition que ça soye un peu osé. Eh ben non, vous voyez, fallait pas paniquer, on enchaîne !
Et c'est un peu sec, pour mon goût, la renversée. Je me disais aussi que ça nageotait trop dans l’huile purifiée, notre truc. Le Gros avec son ticket royal ! Le devin Nikola si teigneux, et que je poussais, mine de rien, vers le renversement d'alliances, tout ça me faisait bien inaugurer de la suite, comme disait un ministre en coupant un ruban. Parce que, vous remarquerez, les ciseaux, pour les ministres, c'est plus important que le portefeuille.
Des vrais petits rabins, ces bons messieurs.
Et puis voilà qu'en pleine fiesta, et au moment précis où mon Gravos est en train de proposer un amendement à l'étiquette malotrusienne, qui c'est qui surgit ? Le vilain sir Dezange, avec des généraux britiches (et de la rancune plein ses yeux). Ah ! je vous jure, dans notre turbin, faut avoir le palpitant solidement arrimé ! On essuie de ces coups de théâtre, mes amis, qui rendraient cardiaque un type sans coeur !
— Majesté, fait notre ci-devant guide, ti me pardonnes di troubler li banquet, mais di z'ivinements graves sont produits. Je ti prisente, Majesté, li vrai sir Harry Dizange, que çui-là qu'est près di toi, l'est un composteur !
— J'en étais sûr et certain, clame une voix ! Par le dieu Taldargeopabo, prince de la vérité, par la déesse Dizenof, par les mânes d'O-Zié, notre grand sorcier, je savais que ces deux hommes mentaient et usurpaient des pouvoirs qui ne leur étaient pas conférés.
Ainsi parle le devin Nikola. Ça file Béru dans une rogne sauvage.
— Ecoutez-moi ce piège à poux qui fait le flambard ! T'avais deviné que tchi, hé, vieux chnoque ! Pour ce qui est de ta voyance, tu devrais te rapatrier chez Lissac, car j'ai idée que t'as coulé une bielle à ta rétine, mon pote ! Ou alors t'as de la conjoncture[21]. A moins que t'aies de la buée sur ta boule de cristal…
— Écrase, Gros ! fais-je sèchement ! C'est pas le moment…
La grosse reine tourne la tronche de gauche à droite, comme si elle assistait à la finale simple messieurs des championnats de France à Roland-Garros.
— Que signifie ? Mais que signifie donc ? interroge la pauvre baleine blasonnée.
— Je vais tout vous expliquer, Majesté, lui dis-je.
Mais sir Dezauge s'avance, s'incline et coupe sèchement :
— Mes très humbles respects, Majesté. Si Sa Majesté me permet, c'est moi qui vais lui expliquer l'inqualifiable comportement de ces deux hommes qui nous ont kidnappés, mon collaborateur et moi, nous ont séquestrés, ont pris nos identités et qui se sont rendus coupables du plus impardonnable des forfaits en abusant la clémente, la grande souveraine qu'est Sa Majesté !
Point à la ligne, les Mecs.
Après ce petit préambule, nos actions dégringolent comme les Suez un jour de guerre au Moyen-Orient.
Reste plus qu'à attendre la décision de la reine.
— Devin Nikola, soupire-t-elle, veuillez agir en conséquence !
Tu parles qu'il attendait que cette invite, pépère la barbiche, pour nous contrer !
Il remet son couteau de table dans le manche du sceptre royal dont il est le permanent détenteur, ce qui l'oblige à l'utiliser comme étui à rasoir, à peigne, à brosse à dents, comme boîte à pilules à malices, à gros sel, à timbres, à outils.
— La gaaaaaaarde ! crie-t-il.
Des malabars bien féroces se pointent au pas gymnastique.
Le barbu nous désigne à ces redoutables gorilles.
— Emparez-vous de ces hommes et enchaînez-les dans le torturorium !
Tous les participants de la fête s'arrêtent qui de manger, qui de démanger, qui d'embourber, qui dame. Il est terrible, le sceptentrion.
— Le plus terrible des crimes de lèse-majesté vient d'être commis, harangue le Dabuche. Ces misérables seront jugés, condamnés et exécutés comme ils le méritent.
— Allez, gardes ! Et fermez vos cœurs à toute pitié. C'est l'honneur de votre reine qui est à jeun, je veux dire : qui est en jeu !
Comme on nous embarque, sans ménagement je remarque le rire sardonique de Dezange.
— O.K., sir, lui dis-je, vous venez de gagner la seconde manche, il ne nous reste plus qu’à jouer la belle !
— Et comment, renchérit le Gros pour qui, jouer la belle est le synonyme de mettre les adjas !
Toutes ces flambantes répliques, ça fait un peu capédépé, hein ? On ge croirait vaguement dans un roman de mon regretté camarade Paul Féval. La gare d'Hyères ira t'a toi ! Et pourtant, y a des moments où le sens du panache l'emporte sur celui du cheval blanc. Ce n'est qu'après mûres réflexions et maints marrons mûrs qu'on se dit que Paris vaut bien une messe. Sur le moment on trémole du vaniteux, c'est humain. Un réflexe qu'on dit tionné (et qui l'est).
Les gorilles de la reine nous embarquent durement vers des sous-sols inquiétants. Elles ne sont pas très geogeôles, les geôles du palais, ma doué ! Creusées in the rock, elles dégoulinent de flotte dont les gouttelettes eu train de stalactiter produisent un bruit tout ce qu'il y a de crispant.
Nous v'là embastillés dans une vilaine grotte (de chien), mes fils. Un conduit vertical, pareil à la hotte (toit que j'humecte) d'une cheminée y déverse un jour filtré de sépulcre. Des chaînes plus énormes que celles dont on usait jadis pour entraver les forçats sont rivées aux parois de la grotte (de bique) où elles composent une lugubre sarabande (de c…).
Les bourdilles of the gracious queen nous enferment les chevilles et les poignets. Cric-crac-croc ! Terminé ! Pour se dégager de cette panoplie du parfait petit inquisiteur, faudrait un atelier de forgeron en ordre de marche, les gars. C'est du fruste et du robuste. Les serrures de nos bracelets sont moins compliquées que celles des coffre-forts Fichet, mais tout aussi résistantes. Dans la vie, le plus simple est toujours le plus efficace.