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La fille avait à présent la dague de combat de Mauber enfoncée à travers la gorge ; ses doigts remontèrent comme des serres, se barbouillèrent de sang. Elle avait les yeux ouverts. L’homme avait commencé à baisser le capot arrière. Encore quelques secondes. Les doigts eurent un long frémissement, à mi-chemin.

Le coffre fut refermé avec un clappement étouffé.

L’homme jeta un coup d’œil autour de lui, sortit un paquet de cigarettes. Personne. Un sans-faute. Ses doigts tremblaient légèrement. Il rejoignit la camionnette, monta par la porte latérale. Avant même qu’il se soit assis sur la banquette, le véhicule démarra. On lui donna du feu, il remercia sans un mot, d’une secousse de la tête.

Son vis-à-vis portait un complet gris poudre, une cravate sobre.

Il rangeait déjà son briquet dans la poche de poitrine, l’interrogeait du regard. L’homme en bleu tira goulûment sur sa cigarette, posa les coudes sur les genoux, haussa les épaules. Bien sûr que c’était fait. La camionnette avait pris de la vitesse. Un amortisseur arrière claquait. Il se passa les doigts sur la figure.

C’était fait.

Éliane Forrestier avait rejoint Château et Jankovic, à bonne distance du trou. Elle serrait son sac sous le bras gauche. Château fumait une cigarette après l’autre. Elle s’approcha de lui et il lui adressa un regard maussade.

— Goût du risque ou attrait morbide ?

— Ni l’un ni l’autre, protesta-t-elle. Et si on arrêtait le massacre ?

— Comment ? fit Château d’un ton lisse.

— Berg n’est pas là.

— Il ne va plus tarder, observa Jankovic. Malou fait une veuve très convaincante, vous ne trouvez pas ?

Elle regarda la femme, que trois types en costard coûteux encadraient de près. Malou avait le visage vide et ses yeux ne se portaient sur rien. Beaucoup plus loin, elle remarqua Mauber. Lui aussi était tenu en laisse, mais son expression était différente : il paraissait légèrement ennuyé, les épaules basses et les mains ouvertes le long des cuisses. Éliane Forrestier renversa la tête en arrière. Elle aussi portait un revolver, après tout.

— Comment ? répéta Château près d’elle, sur un ton impitoyable.

— Tirer dans le tas, émit-elle entre ses dents serrées.

— Ridicule.

Un homme maigre et élégant s’approchait de Malou, en contournant le tas de terre. Son visage lui disait quelque chose. Château le suivait des yeux, la cigarette entre les doigts. Jankovic se pencha, murmura :

— Décidément, tout le monde est là.

— Tout le monde sauf le Grand, fit Château.

Milard avait sorti les mains des poches, il avait le visage un peu penché et les lunettes lui dissimulaient les yeux. Malou Dieterich remonta lentement le menton, ses lèvres remuèrent sans qu’un son en sorte comme si elle allait se mettre à pleurer. Quelqu’un tenta de s’interposer et Milard se borna à déboutonner sa veste.

— Dégage, Max, dit-il d’une voix sourde, presque inaudible.

Malou implora, à voix basse et sans le regarder :

— Laisse tomber, Milard… (Elle bougea la tête.) Tu aurais pas dû venir. Qui c’est, la femme avec toi ?

— Aucune importance… (Il lui prit le bras pour l’entraîner à l’écart, mais macache pour la bouger. Les types autour faisaient le béton. Ils ne regardaient ni la femme ni le flic.) Malou…

Elle le regarda comme si elle se réveillait, et, dans ses yeux, passa comme une espèce d’indulgence tendre et distante. Elle proféra, à haute et intelligible voix, qu’elle n’avait rien à lui dire, sauf qu’elle le remerciait d’être venu, que c’était bien de ne pas avoir oublié Rolf, le Rolf du bon vieux temps. De ne pas l’avoir oubliée non plus.

— Merde, grinça brusquement Milard, arrête ces conneries.

Elle s’étonna :

— Pourquoi ?

Milard arracha ses lunettes. Elle vit ce qu’il y avait dans ses yeux à lui, de la détresse et de la rage, une manière de flamme qui ne demandait qu’à exploser, et elle porta la main à ses seins, manqua lui caresser le visage du bout des doigts. Les gardes du corps de Berg étaient arrivés, ils commençaient à se déployer entre les tombes. Les flics, en face, s’étaient imperceptiblement raidis, elle sentait ce qui allait arriver dans les reins et les coudes, elle regarda les maisons au loin, n’importe qui pouvait tirer d’une fenêtre, ou du coin d’un caveau. Elle dit doucement au flic :

— Milard, tire-toi… Tu as fait tout ce que tu pouvais.

Max remua et elle sentit qu’il lui prenait le coude à son tour, maintenant que Milard l’avait lâchée. Un groupe compact remontait l’allée. Berg était au milieu, il dominait les autres de la tête et des épaules et se mouvait rapidement, comme un homme pressé d’en finir avec une corvée.

— Tire-toi…

— Pas question, fit Milard.

Il se plaça à son côté et son regard balaya le décor, pendant qu’il remettait les lunettes de soleil dans sa poche, tira machinalement sur ses pans de veste, ses doigts palpèrent la crosse du revolver, juste là où elle devait se trouver, l’arme légèrement inclinée vers l’avant. Château et ses troupes se trouvaient à moins de dix mètres, sur la droite, les hommes de Berg avaient pris position un peu partout et le groupe se trouvait à présent à moins de vingt mètres. Sur la gauche, il y avait un jeune type au visage oisif et qui ne semblait guère intéressé par la scène. Suzanne Vauthier se trouvait là où il l’avait laissée, et elle changeait sans cesse de pied d’appui, certainement indécise et troublée.

Milard reporta les yeux sur Berg.

Un grand gaillard bâti à chaux et à sable. Quelqu’un lui parlait, et il était contraint de se pencher un peu, sans cesser d’avancer à grands pas. C’était bien lui qui entraînait les autres, et ceux-ci connaissaient leur métier. Berg portait des lunettes de soleil. Berg ?

Milard se passa les doigts dans les cheveux.

Un grand gaillard…

Quelqu’un, un type de son dispositif, coupait à travers les tombes, un poste portable dans la main gauche, la veste de complet ouverte. Il n’allait pas tarder à rejoindre les éléments en protection rapprochée, un homme aux cheveux châtains coupés court, au visage carré et aux yeux très clairs, le nez droit, avec une bouche mobile et expressive. Il se payait le luxe de ne pas se dépêcher.

Milard inspira un grand coup et la douleur lui traversa la poitrine.

Berg était à côté de lui, il n’en était séparé que par quelques kilos de chair, de tissus et d’os, on allait se mettre en place pour la cérémonie. Le moment que Milard aurait lui-même choisi, le moment toujours délicat où les éléments se rejoignent. Pas de protection à cent pour cent. L’instant délicat de la soudure. Il se sentit projeté contre Malou qui se raidissait, Berg était là, il cherchait à se dégager un bras, les lunettes étaient braquées en direction du flic, mais elles ne paraissaient pas le voir. Milard avait les doigts sur la crosse de son revolver. Berg… Berg… Berg ?

Dans quelques secondes, tout serait en place, et que la fête commence.

Hébété, Milard essaya de tirer la femme. Suzanne Vauthier avait disparu.

Il renversa la tête, vit le ciel blanc.

Maintenant. Il perçut très loin un crépitement sec.

Irréel.

Il avait eu raison d’un bout à l’autre.

Et tout explosa dans ses oreilles.

Mauber : on lui avait glissé le .45 dans les doigts et il n’avait plus eu qu’à se retourner au lieu d’avancer, fourrer le canon de l’arme dans le plexus de l’homme estomaqué et arracher le pistolet-mitrailleur de l’étui, et tirer deux fois avec le .45, explosant le type à bout touchant, pivoter à contre-pied pour abattre l’autre, empêtré avec son étui de ceinture, jeter le pistolet et armer l’UZI, ça n’avait pas pris plus de trois secondes, certainement moins, sales cons arrogants, il avait gerbé en paré-boulé, s’était relevé en appui sur un genou, une figure d’entraînement, espèces d’ordures, qui lui avait appris à le faire, une fois, deux fois, cent fois ?