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— Deux mètres de plus et vous sautiez avec, considéra Milard.

Mauber acquiesça, les mâchoires crispées.

— Un cercueil de quinze bâtons… Personne ne lui aurait offert mieux.

— Vous voulez dire une prière ? grinça Milard.

La lampe se promenait lentement, puis s’éteignit.

— Poulet, dit Mauber avec difficulté, vous êtes bien comme les autres.

Il saisit le P.M. Milard avait déjà repris le volant. Le jeune homme se laissa tomber sur le siège. Milard alluma les essuie-glaces, chercha la première et accéléra. Mauber sortit une poignée de mouchoirs en papier d’une poche, se tamponna la figure. Le flic slalomait entre les ornières, à coups de volant précis, sans lever le pied. Les essuie-glaces tapaient dans le vide, il les éteignit, passa la barrière levée sans ralentir.

— Vous qui sortez d’ici, perdez tout espoir, fit le jeune homme.

Milard passa en quatrième, questionna :

— C’est de vous ?

— Dante… Pas tellement le répertoire d’un flic.

Milard toussa, puis il objecta :

— Pas beaucoup plus celui d’un pro-Palestinien.

Mauber lâcha les mouchoirs, empoigna l’arme sur ses genoux, la braqua sur le conducteur. Milard leva la main droite du volant, trouva sans le chercher un objet métallique dans sa poche, l’exhiba en souvenir.

— Le chargeur… Il doit rester deux ou trois cartouches, pas plus…

Mauber le lui arracha des doigts.

Ils avaient repris la nationale. Milard roulait très vite. Il étouffa une toux rauque du dos de la main. Devant eux, les projecteurs bâtissaient tout autour une vaste nef tendue de nuit opaque, le moteur grondait. Mauber appuya la nuque et l’arrière de la tête au dossier. Le flic aurait pu l’abattre après son vol plané. Il avait ramassé une claque de première. Il ne l’avait pas fait…

— Pour deux raisons, répondit Milard. La première, c’est qu’il aurait fallu que je me débarrasse du cadavre… La seconde… (Il toussa de nouveau, plus longuement.) La seconde, c’est que je n’en ai pas vu la nécessité.

Mauber jeta l’UZI sur la banquette arrière.

Il resta un bon moment à tripoter le chargeur entre les doigts.

Un couple s’en va, riant aux éclats, Il pleut sur Broadway… Céline, petite sœur, il ne reste plus rien de toi. Plus rien d’identifiable

Ainsi, il était apparu dans sa vie, et n’avait pas tardé à disparaître. La voiture s’était glissée dans la circulation et, bien entendu, il ne lui avait pas fait signe, ne s’était pas retourné. L’aurait-il fait, s’il l’avait pu ? Ne pas aller aux flics, prendre une chambre d’hôtel deux ou trois jours. Il lui avait censément promis de lui apprendre à tirer, de l’emmener un jour. Elle avait pris un taxi, demandé le double des clés à la concierge, était redescendue payer.

Récupérer sa voiture, déclarer la perte de son sac et ses papiers.

Le téléphone sonna.

Elle noua la ceinture de sa sortie de bain.

On l’appelait depuis la Brigade criminelle.

Commissaire divisionnaire Jean-Jacques Château.

Chapitre XVII

Debout, Giraud écouta les messages laissés sur son répondeur. Une Suzy s’inquiétait de son silence et lui passait ses amitiés d’un ton tremblé qui trahissait le manque. Amitiés de merde : elle lui avait tiré cinq mille balles un jour de dèche, cinq mille balles, une dizaine de rails. Suzy survivait dans la dèche. Elle baisait kleenex et s’imaginait bourrée de talent, campée dans les starting-blocks. Une cover-girl. Il y avait des milliers de Suzy et elles faisaient la fortune des fourgueurs de coke qui investissaient dans l’immobilier et le cinoche. Un attaché de presse à qui Giraud avait posé un lapin. Plusieurs autres appels, les plus exaspérants puisqu’on n’avait jamais jugé bon laisser un mot après le bip. Il fureta dans toutes les pièces. Il y avait quelque chose griffonné en majuscules sur la grande glace de la chambre à coucher. Au rouge à lèvres foncé, on lisait :

« DEMAIN OU L’AUTRE

CLÉS DANS LA BOÎTE AUX LETTRES

LONG TIME & SANGLOTS LONGS

SOL (BÉMOL) »

Elle reviendrait : elle avait laissé des sous-vêtements douteux un peu partout, le lit défait et les cendriers pleins, son sac de voyage ouvert devant le placard, il s’en échappait un chemisier de soie froissé. Femmes de passage pour vie de passe. Giraud pensa à effacer, puis à quoi bon ? Il souleva le drap, le rabattit. Quelle importance qu’elle se soit envoyée en l’air ou non ? Il avait baisé jusqu’à plus soif et laissé une rallonge à la fille en partant. Elle dormait, la figure gonflée de sommeil. Dans un rade torve qui ouvrait juste pour presque rien, on lui avait servi une tartine et un crème mousseux.

Il retourna s’asseoir dans le fauteuil du bureau. Ainsi, ils n’étaient pas encore venus, ou alors ils avaient perquisitionné en orfèvres, ce qui était assez dans leur manière. Il n’y avait plus rien à trouver. Giraud sortit l’automatique de sa ceinture, le jeta sur le sous-main encombré. Règle numéro dix : ne jamais sortir chargé. Depuis un moment, Giraud ne jouait plus tout à fait dans les règles. Les autres devaient le savoir (mise sous surveillance), et pourtant ils le laissaient courir. Pas trace de gueule de bois, seulement de l’amertume. Il pensa : « Lamento des existences foirées. Quelque chose a cassé quelque part. Même pas la galère. Du fric… Elle ne pouvait pas faire autrement que partir et le laisser, trop de classe… Même pas la question. Elle vivait de l’autre côté de la rue, là où il y a du soleil et un peu d’ombre, là où Giraud avait pensé à la suivre. Il aurait pris contact avec les gens de la Sûreté du territoire. Ce qu’il avait à leur raconter n’aurait certainement pas manqué d’intérêt. Giraud serait devenu un défecteur. On ne parlait plus de trahison, mais de défection. On lui aurait assuré une protection temporaire et illusoire. On aurait pressé le citron jusqu’à ce qu’il ne donne plus de jus, des dominos seraient tombés, certains dans la foulée et sans susciter de vagues, d’autres… D’autres auraient fait deux ou trois jours les premières de la presse, les délices, bien sûr, des commentateurs, puis tout se serait enfoncé comme des billes de plomb dans de la pâte molle, sans laisser trop de traces. On aurait remercié Giraud, à moins qu’il n’ait été jugé préférable de lui fabriquer un arrêt cardiaque. Il buvait trop, vivait de moyens mal définis et tournait déjà depuis trop longtemps à la limite. Il aurait au moins pris la peine d’essayer de la rejoindre du côté ensoleillé de la rue.

« Maintenant, c’était trop tard, ils savaient et ils attendaient encore un peu, qu’il s’enterre, pour lui serrer la corde autour du cou. Ligne sur écoute et détecteurs, filatures. Elle était au loin, elle avait toujours son sourire hésitant, ses robes trop courtes, cette manière qui lui était propre de le tourner tendrement en dérision. »

Giraud pensa, de façon distincte :

« Oh bon Dieu ! Qu’ils viennent et qu’on en finisse… »

Plus tard, il brancha le tuner, derrière lui. Fusillade avec prise d’otages à l’enterrement d’un truand de haut vol. Les malfaiteurs avaient pris une femme et un officier de police en otages pour couvrir leur fuite. La femme n’avait pas tardé à être relâchée, mais le policier, dont on avait à présent l’identité, demeurait introuvable, ainsi que ses kidnappeurs. La propre épouse de Rolf Dieterich avait été grièvement blessée lors de l’échange de coups de feu, qui avait fait sept victimes. Elle était morte peu après son admission à l’hôpital où elle avait été transportée dans un état critique, atteinte de plusieurs balles expansives. Bien que la Brigade criminelle se soit refusée à toute déclaration, dans les milieux généralement bien informés on inclinait à penser que son exécution avait pour but d’éviter les révélations qu’elle avait à faire au cours d’une conférence de presse prévue pour le lendemain, sur une affaire qui prenait à présent un tour passablement mystérieux.