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Mais il est également vrai que nous ne connaissons de cette doctrine que ce qui s'oppose aux enseignements de l'Église, c'est-à-dire, en quelque sorte, sa partie négative. (On peut dire aussi qu'étant donné le fait que le catharisme était en désaccord avec l'Église à peu près sur tout, le seul énoncé de ces oppositions peut donner une idée assez complète de sa position doctrinale. Ce n'est pas sûr: il est même plus que probable que toute la partie positive de cet enseignement nous échappe; et c'est elle, pourtant, qui a dû être la cause de son succès).

Nous connaissons donc de cette religion: 1°ses "erreurs", c'est-à-dire ses divergences avec l'Église catholique; 2°une partie de l'aspect extérieur de son organisation, de la vie et des mœurs de ses adhérents, de ses rites et de ses cérémonies. Et là nous nous trouvons à peu près dans la situation d'un homme étranger au christianisme à qui l'on décrirait la célébration de la messe sans lui en expliquer la signification spirituelle, émotionnelle et symbolique. Nous ne pouvons qu'y penser avec le respect dû à l'expression d'une profonde expérience mystique, et ne pas chercher à expliquer.

Les "erreurs" du catharisme sont nombreuses. Elles remontent à la tradition gnostique qui proclamait la séparation absolue de l'Esprit et de la matière. Manichéens, les cathares sont dualistes, et croient à l'existence de deux principes opposés, l'un bon et l'autre mauvais. Si certains théologiens cathares croient que les deux principes existaient dès le commencement, d'autres voient dans le principe mauvais une création secondaire, un ange déchu. Que l'origine du Mal soit placée dans le chaos, au-delà du temps, ou qu'elle soit le résultat du vouloir mauvais d'une des créatures d'un Dieu unique et bon, tous les cathares soutiennent que le Dieu bon n'est pas tout-puissant, que le Mal lui livre une guerre sans merci et lui dispute sans cesse une victoire que la consommation des temps finira tout de même par amener. Cette théorie n'était pas faite pour surprendre, à une époque où les hommes croyaient au Diable aussi fermement qu'à Dieu.

Ce qui, pour les chrétiens, est plus difficile à admettre, c'est l'assertion qui est comme la clef de voûte de tout l'enseignement cathare: le monde matériel n'a jamais été créé par Dieu; il est tout entier l'œuvre de Satan. Sans entrer dans les détails de cosmogonies extrêmement compliquées qui expliquent la chute de Satan et des mauvais anges et la création de la matière, nous pouvons dire que pour les cathares le monde sensible (y compris même, pour la plupart des sectes, le soleil et les astres) était un monde diabolique et une manifestation du mal.

Et l'homme? Il est, lui aussi, une création du Diable, en tant que créature de chair; mais l'esprit du mal, incapable de créer de la vie, aurait demandé à Dieu de l'aider, et d'insuffler une âme dans un corps fait d'argile; Dieu, par bonté, consent à venir en aide à ce créateur désespérément stérile, mais la parcelle d'Esprit divin insufflée dans la grossière enveloppe façonnée par Satan se refuse à y rester; après maintes ruses, le Démon réussit tout de même à la retenir prisonnière. Nos premiers parents, Adam et Ève, auraient été poussés par le Démon à l'union charnelle qui consomma leur enlisement définitif dans la matière. Selon la doctrine de certaines écoles, l'Esprit insufflé par Dieu se transmet par l'acte de la procréation aux descendants d'Adam, et, tel une flamme, se multiplie et se subdivise à l'infini. Mais l'interprétation plus généralement acceptée est celle-ci: le Démon, Lucifer ou Lucibel, aurait soit entraîné dans sa chute, soit fait descendre du ciel à l'aide de toutes sortes de séductions, une foule d'âmes créées par Dieu et vivant près de lui dans la béatitude. C'est de cet inépuisable réservoir d'anges déchus et prisonniers que proviennent les âmes humaines, appelées à une déchéance plus terrible encore par le revêtement d'un corps de chair. (Dans la cosmogonie cathare, le monde matériel n'est que l'aspect le plus bas de la réalité, le plus irrémédiablement éloigné de Dieu; il est toute une gradation d'autres mondes, où d'autres saluts sont possibles).

Le Démon, n'est autre que le Dieu de l'Ancien Testament, Sabaoth ou Jaldabaoth, grossier imitateur du Dieu bon, créateur d'un univers misérable où malgré tous ses efforts il ne parvient à rien créer de durable: les âmes des anges que leur faiblesse a fait descendre dans la matière restent absolument étrangères à cet univers et y vivent dans une souffrance sans nom, séparées de l'Esprit qui était en elles avant leur chute.

Ici encore, il y a des divergences entre les diverses sectes cathares, car certaines prétendent que le nombre de ces âmes perdues est limité, et qu'elles ne font que transmigrer indéfiniment d'un corps dans un autre, par une succession ininterrompue de naissances et de morts, ce qui se rapproche assez de la doctrine hindoue de la réincarnation et du karma. D'autres croient au contraire que chaque nouvelle naissance fait descendre, sinon du ciel du moins de la région intermédiaire entre le ciel et la terre, un de ces anges séduits par le Démon - d'où l'horreur bien connue des cathares pour la procréation, l'acte cruel entre tous qui attire par violence une âme céleste dans le monde de la matière. Quoi qu'il en soit, les cathares admettent généralement la doctrine de la métempsychose, telle que la professent les Hindous, avec la même rigueur mathématique des rétributions posthumes: l'homme qui mène une vie juste se réincarnera dans un corps plus apte à favoriser son progrès spirituel, le criminel, après sa mort, risque de renaître dans un corps chargé de tares et de vices héréditaires, ou même, dans les cas extrêmes, dans le corps d'un animal. Mais en dehors de ces perpétuelles et douloureuses renaissances, aucun espoir n'eût été permis aux âmes déchues, aucune possibilité de retrouver jamais leur vraie patrie, sans la descente d'un Messager du Dieu bon dans le monde de la matière.

Le Dieu bon est toute pureté et toute joie, mais s'il ignore le mal il sait que des âmes célestes sont séparées de lui et voudrait les ramener au ciel. Il ne peut rien faire pour les aider, un abîme les sépare de lui, il ne peut avoir aucun contact avec l'univers créé par le Prince du Mal, et il cherche parmi les êtres bienheureux qui l'entourent dans sa gloire un Médiateur qui pût rétablir le contact entre le ciel et les âmes déchues. Enfin Dieu envoie Jésus, qui est, selon les cathares, soit le plus parfait des anges, soit un des Fils de Dieu, le second, Satan ayant été le premier. Ce terme de Fils de Dieu n'implique pas l'égalité entre le Père et le Fils, Jésus est tout au plus une émanation, une Image de Dieu.

Jésus descend dans le monde impur de la matière, et ne répugne pas à ce contact immonde par pitié pour les âmes auxquelles il doit enseigner le chemin du retour dans leur patrie; mais la pureté ne peut avoir de contact réel avec l'impureté, Jésus n'aura donc que l'apparence d'un corps, il ne s'"incarne" pas, il s'"adombre". Il sera en quelque sorte une vision, s'il fait semblant de se soumettre aux lois terrestres, c'est pour mieux tromper la vigilance du Démon. Mais le Démon, ayant reconnu le Messager de Dieu, cherchera à le faire mourir, et les ennemis de Dieu, aveuglés par l'apparence, croiront que Jésus a réellement souffert et est mort sur la croix. En réalité, le corps non charnel de Jésus ne pouvait ni souffrir, ni mourir, ni ressusciter; il ne subira aucun outrage, et, après avoir enseigné à ses disciples le chemin du salut, il remonte au ciel. Sa mission est terminée, il a laissé sur la terre une Église qui possède en elle l'Esprit Saint, le Consolateur des âmes exilées.

Mais le Démon, qui est le prince de ce monde, a su si bien égarer les hommes, il a si bien détruit l'œuvre de Jésus, qu'une fausse Église s'est substituée à la vraie et a pris le nom de "chrétienne" alors qu'elle est en réalité l'Église du Diable, et enseigne exactement le contraire de la doctrine de Jésus, L'Église chrétienne authentique, celle qui possède le Saint-Esprit, est l'Église cathare.