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Certains inquisiteurs, en particulier Bernard Gui, au XIVe siècle, ont été frappés par ce qu'il y avait de chrétien dans les rites de l'Église hérétique et ont cru qu'il s'agissait en quelque sorte d'une "singerie" du baptême catholique; mieux renseignés qu'eux sur les coutumes de l'Église primitive, nous devons admettre que les cathares n'avaient fait que suivre une tradition plus ancienne que celle même de l'Église et qu'ils pouvaient prétendre avec quelque raison que c'était Rome qui était tombée dans l'"hérésie" en s'écartant de la pureté originelle de l'Église des Apôtres.

Le texte même du rituel, tel qu'il existe aujourd'hui, remonte certainement à une époque très ancienne (bien que les deux versions que l'on en possède, l'une en occitan, l'autre en latin, datent du XIIIe siècle). Ce texte a-t-il été apporté d'Orient et traduit par des missionnaires bulgares? Où, et dans quelles conditions s'est-il conservé et quelle en est l'origine exacte? Il est composé en grande partie de citations des Évangiles et des Épîtres, assez brièvement commentées, se référant sans cesse au Père, au Fils et au Saint-Esprit et à des épisodes de l'Évangile; il eût pu être approuvé par n'importe quel bon catholique et, en le lisant, on a l'impression de reconnaître la saveur et la vigueur du christianisme primitif, plutôt que les spéculations théologiques d'une secte à laquelle on attribue les doctrines les plus hétérodoxes.

Or, ce rituel, ce livre de prière et d'initiation, n'était pas destiné au vulgaire; il était l'expression la plus formelle, la plus sacrée de l'Église cathare, la traduction en paroles du sacrement suprême de cette Église. N'y trouvant rien qui impliqua, fût-ce de loin, le dualisme manichéen, la négation de l'Incarnation et de l'Eucharistie, la théorie de la métempsychose; y rencontrant même des affirmations contraires à la doctrine cathare sur le baptême de l'eau, nous devons conclure que ces textes sont très antérieurs au catharisme proprement dit. Mais le fait même que les cathares (qui ne manquaient ni de hardiesse ni de goût pour la spéculation théologique) n'aient rien voulu y modifier, montre que ce rituel exprimait bien leur doctrine telle qu'ils la concevaient et que les "erreurs" que leur reproche l'Église catholique n'étaient peut-être que des aspects secondaires de leur enseignement: une cosmogonie et une philosophie de l'univers et de la vie, plutôt qu'une véritable matière de foi.

Si l'on juge une religion à ses prières et à ses rites (ce qui est encore le meilleur moyen de juger de son essence véritable), le peu que nous savons de la religion cathare ne peut que nous forcer à nous incliner devant sa simplicité, sa sobriété, son élévation spirituelle. Ce "rituel" échappé à la destruction par miracle a infiniment plus de poids en lui-même que tout ce qui a été dit et écrit sur les cathares depuis des siècles, sur les affirmations de leurs adversaires.

III - ORGANISATION ET EXPANSION

La religion cathare cherchait à appliquer à la lettre les enseignements de sa doctrine. La voie du salut est étroite, et semble n'être réservée qu'à une minorité d'élus. Mais là, l'Église cathare rejoint d'une façon inattendue l'Église catholique, à la fois dans sa mansuétude pour les faibles et dans sa foi en la valeur absolue des sacrements: les cathares, tout comme les catholiques, posent, comme condition nécessaire du salut, un acte de caractère sacramentel - la réconciliation avec l'Esprit par l'imposition des mains donnée par des ministres du culte qui ont déjà reçu l'Esprit. Il ne s'agit pas là d'un geste symbolique; le rite du consolamentum a bien, pour les cathares, une vertu surnaturelle, il fait réellement descendre l'Esprit Saint sur la personne qui en est la bénéficiaire. Quel que soit l'état de sainteté de l'officiant, c'est bien l'acte matériel de l'imposition des mains qui confère l'Esprit Saint, et c'est cet acte qui est la clef et le centre de la vie de l'Église cathare.

Que les cathares admettent ou non le principe de la succession apostolique, ils soutiennent que l'Esprit ne peut être transmis que par des mains pures; mais ils posent comme postulat la pureté de leurs ministres, et les cas sont rares où le consolamentum est jugé sans valeur par suite de l'indignité de l'officiant. L'Esprit descend réellement sur l'homme qui le reçoit, et cet homme, dès lors, devient un "chrétien" et meurt à ce monde pour renaître à la vie de l'Esprit. Il doit se soumettre sans restrictions ni compromis à toutes les obligations imposées par la religion nouvelle, et ces obligations sont plus dures que celles d'un moine qui reçoit les ordres sacrés. Seule une infime minorité de croyants pouvait se résoudre à gagner son salut de cette façon-là. Mais l'Église cathare admet également le consolamentum à l'article de mort, et l'on voit donc un grand nombre de personnes recevoir le sacrement sans autres garanties de la pureté de leur foi que la conscience d'une mort prochaine. Le sacrement pouvait donc être accordé à des gens qui ne seraient pas, à priori, des élus et des purs, et là, la religion cathare semble encourir le reproche qu'elle fait au catholicisme: celui de faire du sacrement une opération mécanique, indépendante de l'état spirituel de celui qui la reçoit. Si le principe est essentiellement le même, du moins les cathares ont-ils su conférer à leur sacrement la majesté nécessaire, en faisant de lui un don précieux et unique qu'à moins du sacrifice total de sa vie à Dieu un homme ne peut obtenir qu'au moment où les souffrances l'ont déjà détaché du monde.

L'Esprit une fois descendu sur le croyant, celui-ci est déjà une créature nouvelle, à partir de ce moment la faute la plus légère devient un sacrilège qui risque de lui faire perdre l'Esprit dont il est "revêtu". En pratique, on a pu citer des cas de "parfaits" consolés plusieurs fois dans leur vie, à la suite soit de quelque faute, soit d'un affaiblissement de leur foi. Ceci semble prouver que ce sacrement n'avait pas le caractère inexorable qu'on lui prête habituellement.

Le consolamentum, qui correspondait à la fois aux sacrements du baptême, de l'eucharistie, de la confirmation, de l'ordre et de l'extrême-onction, était une cérémonie très simple. Il était précédé d'une longue période de probation ou d'initiation, et le postulant devait rester quelque temps - un an, parfois deux ans - dans une maison de parfaits où sa vocation était longuement éprouvée; c'était une sorte de période de noviciat, et il arrivait qu'à la fin de cette épreuve préparatoire le postulant se voyait refuser l'accès au consolamentum, si ses maîtres n'étaient pas sûrs de sa persévérance. S'il était jugé digne, il était présenté à la communauté qui devait l'élire, et se préparait au jour de sa consécration par de longs jeûnes, des veilles et une incessante prière.

Le jour venu, le postulant était introduit dans la salle commune où se réunissaient les fidèles - les cathares n'avaient pas de temples, et officiaient dans des maisons de particuliers, mais dans les villes, ils avaient leurs maisons à eux, spécialement consacrées au culte, à l'enseignement et aux soins des malades; dans ces maisons ils vivaient en communauté, chaque parfait devant faire abandon de ses biens à l'Église. Les grandes villes comptaient en général plusieurs de ces "maisons des hérétiques".

La salle où les fidèles se réunissaient pour la prière ne contenait aucun signe extérieur du culte. Les murs devaient en être nus, généralement peints à la chaux, le mobilier aussi simple que possible: quelques bancs, une table recouverte d'une nappe d'une blancheur immaculée, sur laquelle est posé le Livre, c'est-à-dire l'Évangile. Des essuie-mains, blancs également, sont aussi disposés sur cette table qui sert d'autel, et sur une autre table où sur un coffre se dressent une aiguière et une cuvette pour le lavement des mains. Seul ornement de cette salle austère, d'innombrables cierges blancs sont allumés, pour symboliser les flammes du Saint-Esprit descendu sur les apôtres le jour de la Pentecôte. En présence d'une assistance composée de croyants fidèles, le nouveau postulant est mené vers la table devant laquelle se tiennent les ministres du culte chargés de le recevoir, diacres ou simples parfaits, vêtus de leurs longues robes noires, symbole de leur séparation du monde. Le parfait qui officie et ses deux assistants se lavent les mains, afin de pouvoir toucher le texte sacré. La cérémonie commence.