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L'officiant explique au postulant les dogmes de la religion qu'il va embrasser et les obligations auxquelles il devra se soumettre. Ensuite, il récite le Pater, en commentant chaque phrase, que le postulant devra répéter après lui. Ensuite, le futur parfait doit abjurer solennellement la foi catholique dans laquelle il avait été élevé, et demande, en se prosternant trois fois, le droit d'être reçu dans la vraie Église. Il doit "se rendre à Dieu et à l'Évangile". Il promet de ne plus manger désormais de viande, ni d'œufs, ni d'aucune nourriture d'origine animale, de s'abstenir à jamais de tout commerce charnel, de ne plus jamais mentir ni prononcer de serment, et de ne pas renoncer à sa foi par crainte de la mort par le feu, par l'eau ou de toute autre mort. Ensuite, il fait publiquement l'aveu de ses fautes et demande le pardon de l'assistance. Une fois absous, il doit renouveler solennellement les engagements qu'il vient de prendre. Là seulement, il est prêt à recevoir l'Esprit.

Le sacrement s'accomplit au moment où l'officiant place le texte sur la tête du postulant et où lui et ses assistants imposent les mains sur le futur parfait en priant Dieu de le recevoir et de lui envoyer l'Esprit Saint. Cet instant fait de l'homme une créature nouvelle, il est "né de l'Esprit".

L'assistance récite à haute voix le Pater, l'officiant lit ensuite les dix-sept premiers versets de l'Évangile de Jean: "Au commencement était le Verbe..." Puis il récite de nouveau le Pater.

Le nouvel élu reçoit le baiser de paix de l'officiant d'abord, de ses assistants ensuite. Il transmet ce baiser de paix à la personne de l'assistance qui se tient le plus près de lui, et cette salutation fraternelle, tel un flambeau qui passe de main en main, fait le tour de toute l'assistance jusqu'au dernier des fidèles présents. Si le postulant est une femme, le baiser de paix est remplacé par un geste plus symbolique: l'assistante touche l'épaule de la nouvelle parfaite avec l'Évangile et lui touche le coude avec le coude.

Le nouveau "consolé" portera désormais l'habit noir de ses frères, il sera un "revêtu", il ne devra plus quitter cet insigne visible de sa nouvelle dignité; plus tard, lorsque les persécutions obligeront les parfaits à la prudence, la vêture sera remplacée par un cordon que les hommes porteront autour du cou, les femmes autour de la ceinture, sous leurs vêtements. Mais l'importance même accordée à cette "vêture" (les "revêtus" sera le nom sous lequel on désignera le plus souvent les hérétiques parfaits) montre le caractère sacramentel et sacerdotal du consolamentum. Le consolé entrait en religion dans tous les sens du terme admis par les catholiques. Il abandonnait tous ses biens à la communauté, et commençait, à l'exemple du Christ et des apôtres, une vie errante, consacrée à la prière, la prédication et les œuvres de charité.

Le diacre ou l'évêque local désignait au nouveau parfait un camarade, choisi parmi les autres parfaits, et qui allait devenir son socius (ou sa socia s'il s'agissait d'une femme), le compagnon dont il ne devra plus se séparer et qui partagera désormais ses travaux et ses peines.

On a pu dire avec raison que l'Église cathare proprement dite se composait de ceux qui avaient eu part au sacrement; que c'était, en somme, une Église uniquement composée de prêtres. Notre postulant, qui a reçu le terrible privilège d'être admis parmi les parfaits, est à présent un "chrétien" séparé des autres; partout où il ira, les simples croyants devront l'"adorer", ou plutôt lui témoigner leur respect, en s'agenouillant ou en s'inclinant trois fois devant lui avec les paroles rituelles: "Priez Dieu pour qu'il fasse de moi un bon chrétien et qu'il me conduise à une bonne fin". Le parfait priera Dieu, mais ne répondra pas: "Priez pour moi, pécheur". L'égalité théorique qui existe entre tous les chrétiens orthodoxes, du pape au dernier des criminels, semble être absente de cette religion réaliste. D'après leur propre doctrine, les parfaits constituent en quelque sorte l'échelon supérieur de l'humanité, l'Esprit qui leur a été conféré par le sacrement n'habite pas, et ne peut habiter les âmes des non-consolés. (Il faut évidemment prendre le mot "parfait" dans son sens étymologique de "parachevé", "complet": l'homme étant corps, âme et esprit, les parfaits étaient les hommes qui, par la vertu du sacrement, étaient parvenus à retrouver leur "esprit", la partie divine d'eux-mêmes dont la chute originelle les avait privés). Nous nous trouvons devant le fait paradoxal d'une Église puissante, qui gagne sans cesse du terrain, qui compte parmi ses adhérents une bonne partie de la noblesse du pays, de la bourgeoisie, des artisans, qui a soumis à son influence des châteaux, des bourgs, des régions entières, et qui passe pour ne compter que quelques centaines, tout au plus quelques milliers de membres effectifs.

Nous reviendrons sur cette question des croyants et du rôle qu'ils jouaient dans cette Église qui, à priori, semblait leur accorder si peu d'importance. Il est certain qu'ici quelque chose nous échappe, car malgré cette distinction en apparence capitale entre le parfait et le simple croyant, nous verrons que la conduite de ces derniers est exactement celle qu'auraient eue de bons catholiques à l'égard de l'Église de Rome, et l'attitude des parfaits à l'égard des croyants ne diffère pas de l'attitude des prêtres soucieux de leurs devoirs envers leurs paroissiens. Dans le Languedoc, chaque province avait son évêque cathare, chaque ville ou localité importante son diacre: on n'institue pas des évêques et des diacres pour une poignée d'élus. Les évêques cathares se considéraient comme les pasteurs spirituels de grandes communautés, et montraient probablement plus de sollicitude envers leurs frères non encore initiés que ne le faisaient les évêques catholiques à l'égard de leurs fidèles, pour cette simple raison qu'une religion qui doit lutter pour son existence tient beaucoup plus compte de ses adhérents qu'une religion établie. Les croyants étaient loin de ressembler à un troupeau sans pasteurs, et ne devaient nullement se considérer comme privés de tout contact avec les choses spirituelles.

Mais il n'en reste pas moins vrai que ce sont les parfaits qui forment le noyau, l'âme vivante de l'Église cathare. Nous savons ce qu'ils ont été: des confesseurs, dans le sens où l'entend l'Église. Ces hommes triés sur le volet, choisis et ordonnés avec tant de circonspection que même dans une Église déjà prospère ils ne seront jamais qu'une infime minorité, ont forcé l'admiration de leurs pires ennemis. D'après le nombre des hérétiques brûlés pendant les années de croisade (on ne brûlait généralement que les parfaits), on peut juger qu'ils ont dû être plusieurs milliers dans le Midi de la France, en comptant ceux qui ont pu réussir à se cacher jusqu'au bout, ceux qui sont passés en Italie, ceux qui ont dû tomber victimes du hasard des massacres de la guerre. Or, dans toute l'histoire de la croisade et des années qui l'ont suivie, les historiens n'ont enregistré que trois cas d'abjuration de parfaits: encore le premier, le converti in extremis échappé par miracle au feu, n'était-il qu'un néophyte, non encore "consolé", le second, Pons Roger, converti par saint Dominique, n'est présumé avoir été un parfait qu'à cause de la rigueur de la pénitence imposée à lui par le saint. Le troisième est Guilhem de Solier, qui, en 1229, abjura pour ne pas être livré au bûcher, et acheta sa vie au prix de la dénonciation de ses frères. Si l'on songe à ce qu'est la mort par le feu, on est saisi d'étonnement quand on constate que sur des centaines d'hommes et de femmes menacés de cette mort, il ne se soit trouvé qu'un seul traître.