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Les cathares avaient la plus haute idée de la valeur et la dignité de la vie: ainsi, ils n'admettaient pas que le Dieu de l'Ancien Testament ait pu être bon, puisqu'il avait noyé tous les peuples de la terre lors du Déluge, fait périr le Pharaon et son armée, les habitants de Sodome, etc.; qu'il approuvait les meurtres et ordonnait aux Israélites de massacrer les populations de Canaan. Pour les catholiques, la mort des méchants ne semblait poser aucun problème; la morale des cathares était plus exigeante et plus nuancée. En se basant sur l'Évangile, ils condamnaient absolument la peine de mort et même toute peine afflictive et prétendaient que les criminels ne devaient pas être punis, mais soumis à un traitement qui pût les rendre meilleurs. Sans doute leur était-il facile de parler ainsi puisque la justice était entre les mains de leurs adversaires. Il n'en est pas moins troublant de constater que des doctrines aussi humaines étaient dénoncées par l'Église comme scandaleuses. Il est également compréhensible qu'elles aient pu séduire beaucoup de personnes, en un siècle qui apparaît, de ce fait, moins cruel et primaire que les observateurs superficiels ne le croient d'habitude.

Ceux qui écoutaient les sermons des parfaits devaient avoir une conscience de la solidarité humaine que n'avaient pas les chevaliers qui croyaient gagner le paradis en pourfendant des Sarrasins; il n'était pas immoral de proclamer que le meurtre d'un Sarrasin est un crime aussi grand que le meurtre d'un père ou d'un frère; ce n'était pas immoral, c'était peut-être imprudent. Nous verrons par la suite que la guerre forcera les parfaits à se départir de leur intransigeance et à permettre à leurs fidèles de se battre, sans doute même à les y encourager. Mais il n'est pas impossible que leur pacifisme n'ait été une des causes de la mollesse relative de la résistance des Occitans au début de la guerre.

V - LUTTE CONTRE "BABYLONE"

Ces quelques considérations nous montrent que la doctrine cathare pouvait présenter certains dangers du point de vue social, bien que l'examen objectif de la situation soit pratiquement impossible faute de données concrètes. Mais ce qui est certain, c'est que, dans le Languedoc, les pouvoirs publics, aussi bien que les princes et les barons, que les consuls et les grands bourgeois, ont été d'une manière générale favorables à l'hérésie. En fait, le caractère anarchique de cette religion inquiétait si peu les grands seigneurs et les consuls qu'ils y adhéraient eux-mêmes ou y faisaient adhérer leurs femmes et leurs sœurs. Si la religion cathare était combative, ce n'était pas contre les pouvoirs temporels, mais contre l'Église.

L'Église était, comme nous l'avons indiqué plus haut, la rivale et souvent l'ennemie de la noblesse, et ceci depuis des siècles. Si, au moyen des croisades, l'Église avait su mobiliser en partie à son profit l'ardeur guerrière et conquérante de la chevalerie, la noblesse non croisée était, dans tous les pays, à l'affût des biens de l'Église qu'elle convoitait par le droit du plus fort; l'Église, de son côté, enrichie de siècle en siècle par les donations, les testaments, les impôts de plus en plus nombreux qu'elle prélevait sur les villes et les campagnes, s'était en grande partie sécularisée. Elle gérait d'immenses domaines et entretenait des milices pour les défendre (on a vu que certains évêques, tel Bérenger de Narbonne, allaient jusqu'à faire ramasser leurs impôts par des capitaines de routiers; si ces cas étaient rares, ce seul détail indique que l'Église ne plaisantait pas sur le non-payement des dîmes). Par ces impôts, prélevés sur des populations déjà pauvres, l'Église faisait concurrence aux seigneurs; par ses richesses en terres et en châteaux elle irritait leur ambition, les hommes de guerre n'ayant souvent que mépris pour les tonsurés. Partout où ils le pouvaient les seigneurs entraient en procès ou même en guerre contre les évêchés ou abbayes. Les prélats (à la fin du XIIe siècle) commençaient à abuser des excommunications, qui restaient toujours un grave ennui d'ordre administratif mais ne provoquaient plus la terreur, et qui, bien souvent, demeuraient sans effet pour avoir été fulminées sans discernement.

Si dans des pays où nul ne cherchait à mettre en doute la doctrine de l'Église, il existait un antagonisme chronique entre la noblesse et l'Église, dans des pays où l'hérésie était puissante, cet antagonisme prenait l'aspect d'une guerre ouverte. Faut-il croire que c'est par intérêt et pour s'emparer des biens de l'Église que tels grands seigneurs étaient devenus hérétiques? Il est certain que les hauts barons du Languedoc et, en premier lieu le comte de Toulouse, étaient grands spoliateurs de biens d'Église. (Raymond VI reconnaît lui-même, en 1209, s'être livré à des actes de violence contre des moines et des abbés, avoir emprisonné l'évêque de Vaison, déposé l'évêque de Carpentras, confisqué des châteaux et des bourgs aux évêques de Vaison, de Cavaillon, de Rodez, aux abbés de Saint-Gilles, de Saint-Pons, de Saint-Thibéry, de Gaillac, de Clarac, etc.; ce qui prouve tout autant la rapacité du comte que l'extrême richesse des évêchés et des abbayes31). La noblesse, tout autant que le peuple, reprochait à l'Église sa richesse excessive et hors de proportion avec les services qu'elle rendait.

Les comtes de Toulouse et de Foix, les vicomtes de Béziers confisquaient les biens d'Église pour s'enrichir; d'autre part, ils faisaient des donations importantes à des églises et des abbayes. Cette façon d'agir semble dictée plutôt par des questions d'intérêts locaux et de relations personnelles que par une politique bien définie. Mais ce que l'apparition du catharisme (et plus tard du valdisme) avait provoqué ou plutôt révélé dans le Languedoc, c'était une haine profonde et active de l'Église catholique, haine qui trouvait un écho dans toutes les couches de la population.

Il serait faux de croire que la propagande des parfaits ait provoqué cette haine, qui devait être déjà assez forte puisque les attaques les plus violentes contre l'Église ont pu être favorablement accueillies par un grand nombre de catholiques. Bien plus, on a pu voir dans le caractère anticlérical de la prédication des cathares une des grandes raisons de leur succès, et cette explication (qui constitue en elle-même le plus terrible jugement qu'on puisse porter contre l'Église,) a été proposée par certains historiens catholiques, donc nullement suspects d'anticléricalisme. Mais si l'Église était, dans le Languedoc, impopulaire et incapable de remplir sa tâche, il faut dire que la propagande de ses adversaires fournissait parfois des armes aux passions les plus basses et provoquait des désordres et des scandales.

Telles confiscations de terres d'Église par de grands ou petits seigneurs pouvaient, somme toute, n'être qu'une réaction légitime contre les trop vastes appétits de certains prélats. Mais pour les pauvres gens qui poussaient un soupir de soulagement à l'idée de ne plus payer la dîme et les multiples redevances exigées pour les sacrements, l'abandon de l'ancienne foi ne pouvait être une question de sous; ceux qui se détournaient d'une Église en laquelle ils avaient cru, même vaguement et de mauvaise grâce, étaient poussés par une propagande souvent indiscrète à des actes odieux que les parfaits n'eussent sans doute pas approuvés, mais dont ils portent en partie la responsabilité. La foi nouvelle, après avoir pris racine dans le pays, y avait suscité un véritable fanatisme, qui n'était sans doute pas le fait de la majorité des croyants (puisqu'en général catholiques et hérétiques s'entendaient fort bien entre eux), mais qui ne saurait pas non plus être attribué aux seuls bandits des grands chemins.