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Pierre des Vaux de Cernay cite le cas d'un nommé Hugues Faure, qui profana de la façon la plus grossière l'autel d'une église, le cas d'hérétiques de Béziers attaquant un prêtre et lui arrachant le calice pour le souiller32; les registres de l'Inquisition rapportent le cas d'un B. de Quiders urinant sur la tonsure d'un prêtre33; de tels faits devaient être rares, car les adversaires des hérétiques auraient eu intérêt à les signaler et n'en citent en fait que très peu. Mais le même Pierre des Vaux de Cernay nous raconte comment le comte de Foix, en litige avec les moines de Saint-Antonin, seigneurs de la ville de Pamiers, y envoie deux de ses chevaliers pour venger l'affront fait à une noble parfaite expulsée de la ville par les moines; ces chevaliers coupent un chanoine en morceaux, arrachant les yeux à un autre; après quoi, le comte lui-même fait irruption dans le monastère, fait la fête dans les locaux du couvent et y met le feu. Il en fait autant dans les locaux du couvent de Sainte-Marie après avoir assiégé les moines et les avoir réduits à se rendre par la faim et pillé l'église. Dans une autre église, il fait arracher bras et jambes à un crucifix et ses soldats s'en servent pour piler des épices; un de ses écuyers perce un crucifix de coups de lance en lui criant de se racheter34.

S'agit-il seulement de calomnies? C'est possible, mais si le catholique Raymond VI a pu être accusé d'avoir brûlé une église avec les personnes qui s'y trouvaient, de la part du comte de Foix de telles violences n'ont pas de quoi surprendre; dans ce cas, une telle conduite montre moins de brutalité que de véritable passion anticléricale; de tels actes sont inspirés par la haine la plus vive de l'Église catholique. Et si, plus tard, Raymond-Roger de Foix protestera devant le pape de son orthodoxie, il ne le fera sans doute que pour obéir à un mot d'ordre des siens; cet infatigable lutteur, cet ennemi redoutable des croisés devait être le représentant le plus marquant d'une certaine noblesse cathare, ardemment croyante, combative et fanatique.

Si des seigneurs comme le comte de Foix avaient le pouvoir de faire beaucoup de mal à l'Église, des croyants moins puissants mais aussi zélés ne brûlaient pas les couvents, ne les confisquaient pas pour y installer des parfaits, mais maltraitaient les prêtres et saccageaient églises et cimetières. À ceux-là, se joignaient sans doute un grand nombre de soldats vagabonds ou simplement d'énergumènes toujours heureux d'un prétexte de faire des dégâts; se prétendant hérétiques, ils pouvaient le faire sans encourir le blâme public. Les autorités, favorables à l'hérésie, ne réprimaient pas ce genre de délits; le peuple, fanatisé ou simplement hostile aux clercs, les approuvait. Les témoignages des contemporains sont formels: non seulement des régions entières étaient acquises à l'hérésie, mais dans celles qui passaient pour catholiques, il n'y eut pas de mouvements de révolte contre les sacrilèges commis par des hérétiques faux ou vrais.

La haine toute spéciale que les cathares professaient pour la croix (instrument du supplice de Dieu) et pour la messe (sacrilège suprême, puisqu'elle prenait pour le corps de Dieu une parcelle de vile matière destinée à se corrompre dans les entrailles des fidèles) les entraînait à des attaques violentes contre les dogmes les plus sacrés de l'Église catholique; et le seul fait que ces attaques ne semblaient plus révolter personne prouve à quel point l'Église était, dans ce pays, unanimement méprisée. Les villes restées catholiques n'ont pas cherche à défendre leur foi par des croisades locales et des massacres, ce qui est tout à leur honneur, mais montre surtout que dans le Languedoc c'était l'Église cathare qui était en fait la plus forte. Parmi les évêques et les abbés beaucoup étaient de familles hérétiques et montraient de l'indulgence pour l'hérésie. Curés et chanoines fraternisaient avec les croyants, même avec des parfaits, soit par opportunisme soit par sympathie pour une doctrine dont ils reconnaissaient la force morale. Et cependant, pour les cathares, l'Église était l'ennemie par excellence, Babylone et prostituée, siège de Satan et lieu de damnation, et ils ne pouvaient en aucune façon tolérer ce qu'ils appelaient ses superstitions et ses erreurs grossières.

Tous les témoignages concordent sur ce point: dans un pays catholique, où une importante partie des pouvoirs, des terres, des richesses était aux mains de l'Église, où tous les actes de la vie privée et publique étaient contrôlés et sanctionnés par l'Église, le peuple était soit indifférent, soit hostile à la religion catholique, et une nouvelle Église y était installée, favorisée, tolérée par tous, faisant déjà partie intégrante de la vie du pays, gagnant du terrain sans guerre civile, sans désordres spectaculaires; et cette Église avait pour but avoué la destruction de l'Église établie. Celle-ci, seule visée, seule menacée par ce puissant mouvement à la fois populaire et mystique, perdait peu à peu tout contact avec la vie profonde du pays et se cantonnait toujours davantage dans son rôle de caste sociale, préoccupée avant tout par la défense de ses intérêts.

À la veille des événements qui ont amené sur le Languedoc la catastrophe qui allait lui coûter son indépendance, l'Église ne représentait ni la justice, ni l'ordre, ni la paix, ni la charité, ni Dieu; elle représentait la papauté. La situation véritablement tragique où elle se trouvait placée allait l'amener à la plus effrayante confusion de valeurs et lui faire subordonner toute idée de morale à la défense de ses intérêts temporels.

Les historiens catholiques (aussi bien ceux du XIIIe siècle que ceux du XXe) ont tous insisté sur le fait que l'hérésie représentait un grave danger pour les pays qu'elle avait "infectés". Ce qui est parfaitement vrai et confirmé par les événements: ce danger n'était autre que la croisade elle-même. Ce danger était la menace d'une réaction violente de l'Église contre le péril qu'elle courait; car il ne faut pas oublier que, malgré ses nombreux abus de pouvoir, l'Église faisait partie intégrante de la société, qu'elle en était un des rouages principaux, de mauvaise qualité peut-être mais pratiquement irremplaçable. Même en confisquant ses richesses, princes et consuls se servaient d'elle et ne songeaient nullement à la supprimer; et, en même temps le sentiment populaire, alimenté par la foi cathare, la minait, la harcelait, la privait de plus en plus de sa raison d'être. Il serait faux de dire que l'esprit de tyrannie, d'intolérance, de sectarisme était uniquement du côté des catholiques: deux partis en lutte ouverte se contaminent mutuellement et progressivement. Les parfaits certains d'entre eux - n'en étaient qu'aux violences verbales; mais ils étaient déjà assez influents pour attirer à eux des fanatiques.

Peut-on imaginer, pour un instant, quelque pape animé de sentiments évangéliques qui eût, par une bulle, destitué et dépossédé abbés et évêques, les eût forcés à distribuer aux pauvres les biens de l'Église, à vivre d'aumônes et à prêcher sur les routes? À part ce remède radical qui eût entraîné les plus terribles désordres s'il avait pu être appliqué, par quel moyen pouvait-on réformer une Église dont le mal intérieur venait de sa puissance temporelle? La force des cathares venait en partie de leur relative pauvreté et leur irresponsabilité à l'égard des affaires publiques; et l'Église catholique était un administrateur, parfois dur et intéressé, mais expérimenté, contraint de faire face à des difficultés pratiques dont ses adversaires ne soupçonnaient même pas l'existence.

Le plus grand reproche que l'on puisse faire aux cathares est celui qu'à juste titre on a fait à leurs ennemis: celui d'intolérance religieuse. Ils n'ont pas traduit leurs adversaires en justice ni allumé de bûchers (ils n'en avaient ni les moyens ni le désir), mais ils ont dénigré et tourné en dérision une foi qui méritait en elle-même leur respect, et souvent sans discernement et de façon abusive. Sans doute, la faute en incombe-t-elle à la mauvaise conduite des prélats et des prêtres, à la dureté de l'administration ecclésiastique, au tempérament fougueux des gens du Midi; même aux temps du paganisme, les Pères de l'Église blâmaient parfois ceux qui insultaient le culte païen et profanaient les images des dieux.