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Les cathares formaient, dans le Languedoc, une Église semi-officielle, une société qui n'était plus ni secrète ni clandestine, et comptait parmi ses adeptes de hauts barons et des gens du peuple. Leur Église n'était pas la seule Église hérétique de ce pays. En voulant renseigner ses lecteurs sur le Languedoc avant la croisade, Pierre des Vaux de Cernay reconnaît que certains des hérétiques du Midi, les vaudois, étaient "mauvais, mais beaucoup moins mauvais que les autres" et que "sur beaucoup de points, ils croient comme nous35". Les vaudois, moins nombreux que les cathares, gagnaient en général la faveur du petit peuple (bien qu'une des sœurs du comte de Foix ait été vaudoise). Leur prédication - ainsi que l'indique le témoignage cité ci-dessus - tendait à séduire des personnes révoltées par les abus de l'Église, mais restées fidèles au catholicisme. Elle était beaucoup moins révolutionnaire que celle des cathares, quant au dogme, mais professait une égale aversion de l'Église, de son organisation et de ses rites.

La secte des vaudois était d'origine récente: son fondateur, Pierre Valdo, commença sa prédication vers 1160, à Lyon; c'est pourquoi leur mouvement fut souvent désigné sous le nom de "Pauvres de Lyon" ou "Léonistes". Pierre Valdo, riche marchand de Lyon, était un homme pieux qui, désirant mieux connaître les saintes Écritures, en fit faire une traduction par un de ses amis, Étienne d'Anse; puis, Étienne étant mort dans un accident, Pierre Valdo en fut si bouleversé qu'il décida de se consacrer au service de Dieu: il vendit ses biens pour donner le produit de la vente aux pauvres, et ne vécut plus que pour la charité et pour la prédication; d'autres personnes l'imitèrent et une société pieuse se fonda ainsi, groupant des laies dont le but était de pratiquer la pauvreté absolue à l'exemple des apôtres et de prêcher la parole de Dieu au peuple.

Valdo eut de nombreux disciples qu'il envoya prêcher dans les bourgs et les villages des environs de Lyon, sur les places pupliques et jusque dans les églises. L'archevêque de Lyon, Jean de Bellesmains, s'inquiéta des progrès de ce mouvement populaire; c'était, en effet, un scandale que de voir de simples laïcs, peu instruits, idiotae et illiterati, et n'ayant reçu le mandat d'aucune autorité ecclésiastique, prendre sur eux de commenter à leur guise les saintes Écritures. À cette époque, le mouvement avait déjà gagné beaucoup d'adeptes. Lorsque, en 1180, l'archevêque interdit à Pierre Valdo et à ses disciples de prêcher, ceux-ci répondirent qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes et rappelèrent l'exemple de saint Pierre devant le sanhédrin. Ils continuèrent à prêcher et en appelèrent au pape, Lucius III, qui confirma la condamnation prononcée par Jean de Bellesmains. Trois ans plus tard, les Pauvre de Lyon sont déjà mentionnés comme hérétiques à côté des cathares, dans la constitution Ad Abolendam promulguée par ce pape à Vérone36.

De catholiques réfractaires aux autorités, les disciples de Pierre Valdo se trouvaient donc mués en hérétiques, et, de ce fait, leur "hérésie" ne fit que croître: peu à peu ils passèrent à la révolte ouverte contre les institutions de l'Église, puis contre son principe même. "Les hérétiques, écrit Bernard de Fontcaude dans son traité contre les vaudois, sont ceux qui adhèrent à une ancienne hérésie ou en fabriquent une nouvelle. Tels sont ceux qui déclarent qu'on ne doit obéissance ni aux prêtres ni à l'Église romaine quod dictu horribile est! mais uniquement à Dieu". La position des vaudois est ici clairement définie: ce sont des hommes qui ont fabriqué une hérésie nouvelle (contrairement aux cathares, assimilés aux manichéens) et leur hérésie consiste à ne pas obéir à l'Église romaine, mais uniquement à Dieu.

Les vaudois condamnaient l'Église en se basant sur ce principe que, les chefs de l'Église, étant corrompus, ne pouvaient être les véhicules de la grâce; rejetant le principe du sacerdoce, ils rejetaient également les autres sacrements, y compris le baptême et l'eucharistie. Ils en vinrent à nier tout le culte catholique, en même temps qu'une grande partie des dogmes: pas plus qu'à la présence réelle du Christ dans le sacrifice de la messe, ils ne croyaient à la communion des saints, ni au purgatoire; on ne devait prier que Jésus, seul Médiateur à l'exclusion des saints, et il ne fallait pas prier pour les morts, l'homme étant, dès l'instant où il quitte la terre, soit sauvé, soit damné. (Or, le culte des saints et les prières pour les morts tenaient au moyen âge une place immense, difficilement imaginable aujourd'hui37). Les vaudois se refusaient donc à célébrer les fêtes religieuses; toutefois, ils observaient les dimanches, les fêtes de la Vierge, celles des apôtres et des évangélistes.

Leur religion était donc une religion chrétienne, en partie orthodoxe, mais très simplifiée. Tout comme les catholiques, ils croyaient à l'inspiration divine de l'Ancien Testament; ils croyaient aux dogmes de la Trinité, de l'Incarnation, à la réalité de la Passion et de la Résurrection du Christ, à l'enfer, au jugement dernier; bref, à tous les articles du Credo qu'ils acceptaient suivant l'interprétation traditionnelle de l'Église (bien qu'ils ne récitassent pas le Credo, comme ils ne récitaient aucune prière adoptée par l'Église, à l'exception du Pater). Ils déclaraient que l'Église catholique était tombée dans l'hérésie par la faute du pape Sylvestre qui aurait été le fondateur de l'Église romaine, et que tout ce que l'Église avait promulgué et établi depuis le IVe siècle était faux et sans valeur.

L'hérésie des vaudois, malgré leur négation de certains dogmes fondamentaux tel celui de l'eucharistie, consiste ainsi presque uniquement dans le rejet absolu de l'Église romaine. Ce sont des réformateurs trop zélés plutôt que des hérétiques, ils ne semblent pas avoir inventé de doctrines nouvelles; bien qu'ils aient eu leurs professions de foi, leurs prières et leur littérature apologétique, leur pensée n'était ni aussi cohérente ni aussi constructive que celle des cathares. Leur succès fut grand surtout auprès des classes laborieuses qu'ils séduisaient par leur prédication de la pauvreté, leur amour du travail, et leur piété qui paraissait à bien des catholiques plus authentiquement chrétienne que celle de certains prêtres. Bien qu'ils fussent, depuis 1184, officiellement catalogués comme hérétiques, ils s'attiraient, même au début du XIIIe siècle, les sympathies de personnes catholiques qui voyaient en eux les "pauvres de Dieu", leur faisaient volontiers l'aumône et les laissaient chanter dans les églises38. Cependant, les papes dénonçaient les vaudois comme des hérétiques dangereux, aussi détestables que les cathares.

Le fait est que, dans le Languedoc du moins, ces deux mouvements hérétiques qui se ressemblaient si peu et s'affrontaient à l'occasion dans d'ardentes polémiques furent souvent si bien confondus qu'il est difficile de déterminer à quels hérétiques les autorités avaient affaire, dans telle ou telle localité (du moins en ce qui concerne les simples croyants). Cette confusion venait de ce que 1°les deux hérésies étant également hostiles à l'Église, celle-ci les mettait sur le même plan; 2°les vaudois, dont l'origine était récente, ont eu tendance à calquer leur organisation et leurs mœurs sur celles des cathares.

Tout comme ces derniers, les vaudois avaient leurs parfaits et leurs croyants; les parfaits étaient élevés à cette dignité par une cérémonie également appelée consolamentum, et qui consistait en l'imposition des mains, et était suivie de l'abandon des biens à la communauté, du vœu de pauvreté et de chasteté; sans avoir leurs évêques, les communautés de vaudois étaient dirigées par des supérieurs, des diacres et des prêtres, et leur organisation rappelait celle des ordres religieux. Elles avaient leurs maisons, qui ressemblaient à des couvents, où les parfaits vaudois pratiquaient le jeûne et s'adonnaient à l'étude et à la prière; leurs abstinences n'étaient pas aussi rigoureuses que celles des cathares ni fondées sur des bases dogmatiques; cependant, tout comme les cathares, les vaudois passaient pour de grands ascètes.