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Ils consacraient leur vie à la prédication et surtout à l'interprétation des Écritures, qu'ils mettaient à la portée du peuple en faisant circuler un grand nombre de Bibles traduites en langue vulgaire. Bien qu'on eût reproché à certains d'entre eux leur ignorance, ils étaient avides d'instruire le peuple, et tout comme les cathares ils avaient leurs écoles, où ils expliquaient aux enfants les Évangiles et les Épîtres39.

Les parfaites vaudoises prêchaient également, le droit à la prédication étant reconnu à tout chrétien, en cela les vaudois étaient plus révolutionnaires que les cathares; chez ces derniers, en effet, les femmes semblent n'avoir exercé que très rarement l'office de la prédication.

Comme chez les cathares, leur principale et presque unique oraison était le Pater, qu'ils récitaient un certain nombre de fois (parfois trente à quarante fois), plusieurs fois par jour; à la différence des cathares, pour lesquels la confession n'était pratiquée que sous forme d'absolution publique des péchés par l'assemblée de l'Église, les vaudois pouvaient se confesser à un de leurs frères, et être absous.

Comme les cathares, enfin, les vaudois étaient très sévères pour l'Église romaine (qu'ils appelaient Babylone) et ne manquaient aucune occasion de flétrir ses "superstitions" et ses abus. En cela, du moins, ils faisaient cause commune avec les hérétiques, dont on les distinguait cependant dans le pays en leur donnant le sobriquet d'ensabatés (ensabatatz). Et il est fort probable que dans le Languedoc, où les cathares dominaient (les vaudois étaient surtout nombreux dans les Alpes et en Lombardie), les communautés vaudoises avaient fini par se laisser pénétrer par les idées et les coutumes des communautés cathares.

Dans le peuple des campagnes et parmi les artisans, il y eut sans doute beaucoup de vaudois; il y en avait moins dans les classes dirigeantes: à titre d'exemple, sur la liste des deux cent vingt-deux personnalités hérétiques dressée à Béziers en 1209, une dizaine de noms seulement sont accompagnés de la mention val (valdenses). Et si leurs adversaires eux-mêmes reconnaissent qu'ils étaient "beaucoup moins mauvais" que les autres, il ne semble pas que, lors des persécutions, une différence ait jamais été faite entre les cathares et les vaudois. L'Église cathare, la plus forte et la plus organisée, avait fini par couvrir de son ombre la petite Église vaudoise du Languedoc, et la guerre allait cimenter leur union dans le martyre commun.

À l'époque de la croisade, il semble bien qu'une grande partie de la population du Languedoc ait été hérétique ou du moins ouvertement sympathisante à l'hérésie. Encore n'est-ce pas sûr: elle n'était peut-être que tolérante; il n'était pas nécessaire d'être un adepte de la religion cathare pour se battre contre les croisés, ils suffisait d'être un honnête homme. Cette guerre de religion ne fut pas une guerre civile.

Notre dessein n'est pas de discuter de la valeur en soi de la religion cathare, mais uniquement de présenter une situation concrète: les faits, tel que nous les connaissons, montrent les progrès d'une religion jeune, forte de sa position de mouvement semi-clandestin, habile à s'implanter dans une société dont elle peut librement dénoncer les tares, n'y étant pas associée, face à une religion établie, sûre de ses privilèges, corrompue et discréditée par les compromis auxquels la défense de ses intérêts l'a depuis trop longtemps habituée.

L'Église de Rome ne pouvait pas plus s'empêcher de frapper l'hérésie aussi durement qu'elle l'a fait, qu'un homme dont les vêtements sont en flammes ne peut s'empêcher d'éteindre le feu par tous les moyens à sa portée. Il est vrai que même dans ce cas-là tous les moyens ne sont pas légitimes. Mais nous allons voir que l'Église, devenue au cours des siècles et sous la pression des circonstances une puissance totalitaire, donc oppressive, avait déjà tendance à ne considérer comme légitime que ce qui servait ses intérêts temporels.

15 Le schisme qui entraîna en 1054 la séparation définitive de l'Église de Byzance de celle de Rome ne fut que la constatation d'un état de fait: malgré l'identité des dogmes, les deux Églises, politiquement et historiquement séparées, n'avaient plus aucune raison de dépendre l'une de l'autre. Pour l'Occident, Rome était à présent le seul juge en matière de vérité religieuse; ce qui équivaut à dire qu'elle détenait le monopole de la vérité.

16 Interrogatio Johannis ou Cène secrète, document publié dans la Coll. Doat, vol. XXXVI, fos 27 et suiv. et Liber de duobus principiis (Un traité manichéen du XIIIe siècle, "Liber de duobus principiis", publ. par le P. Dondaine, Instituto Storico Dominicano, S. Sabina, Roraa, 1939).

17 Pierre des Vaux de Cernay, ch. IV.

18 Prêtre bulgare du xe siècle, auteur d'un Traité contre les Bogomiles (édité par le P. Joseph Gafort, Theologia antibogomilistica cosmae presbiteri. Rome, 1942).

19 Douais, Les Albigeois, p. 10.

20 Bibl. de Toulouse, ras. 609, f° 239.

21 Innocent III, Épître, t. VII, p. 79.

22 Guillaume de Puylaurens. Prologue.

23 Cependant, un des prédicateurs cathares les plus renommés en Languedoc à l'époque de la croisade était Guillaume, qui fut doyen du chapitre de Nevers (connu sous le nom de Théodoric).

24 V. infra, appendice III.

25 Guillaume de Puylaurens, ch. VIII.

26 "Chanson de la Croisade", CXLV, 3292-3293.

27 Doat, t. XXIV, pp. 59-60.

28 Bernard Gui, Practica Inquisitionis, p. 130.

29 Bibl. de Toulouse, ms. 609. Doat, T. XXII, p. 15.

30 Dom Bouquet, "Chronicon" de Rodolphe, abbé de Coggeshall, t. XVIII, p. 59.

31 Dom Vaissette, "Histoire du Languedoc", éd. Molinier, t. VI, p. 227.

32 Pierre des Vaux de Cernay, ch. 4.

33 Bibl. de Toulouse, ms. 609, f° 130.

34 Pierre des Vaux de Cernay, ch. 46.

35 Pierre des Vaux de Cernay, ch. II.

36 Mansi Concil, t. XXII, col. 477.

37 Il ne faut pas oublier que l'administration des sacrements (baptême, mariage, extrême-onction) et surtout les messes pour les morts, constituaient une des grandes sources des revenus de l'Église.

38 Douais, t. II, p. 109.

39 Bernard Gui, Practica Inquisitionis, t. I, p. 63.

CHAPITRE III

L'ÉGLISE DEVANT L'HÉRÉSIE

I - AVANT INNOCENT III

Il ne faut pas s'étonner si la réaction de l'Église catholique en face de la religion cathare a été celle d'une intolérance absolue et sans compromis. Le christianisme romain ne détenait pas le monopole de l'intolérance. Une religion forte, devenue religion d'État, opprime en toute bonne foi parce que toute contradiction lui paraît un sacrilège et une offense à Dieu. Une Église ne peut pas plus se débarrasser de ses fanatiques qu'un homme ne peut s'amputer lui-même d'un bras ou d'une jambe. Sans le fanatisme, peu de religions eussent réussi à survivre, du moins en Occident.