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Arrivé en 1206 dans un évêché ruiné et pour ainsi dire inexistant, Foulques parviendra non seulement à payer les dettes, à rétablir l'ordre dans les affaires (il n'était pas pour rien issu d'une famille de marchands), il réussira à s'acquérir, dans sa ville, une réelle popularité personnelle, du moins parmi les catholiques. L'historien Guillaume de Puylaurens, qui fut notaire à l'évêché de Toulouse dès 1241, et fut de 1242 à 1247 chapelain des comtes de Toulouse, parle de l'évêque, mort depuis quarante ans au moins à l'époque où il rédige sa chronique, avec une vénération admirative: Foulques avait dû laisser un bon souvenir dans les milieux ecclésiastiques du Toulousain. (Il n'est que juste de rappeler cela, car ceux à qui il laissait un mauvais souvenir devaient être légion).

En fait, l'inquiétante figure de l'évêque-troubadour qui, parvenu à l'âge de quatre-vingts ans, mourra en écrivant un cantique sur la venue de l'aurore céleste, inspire plus d'étonnement que de respect. Nous le verrons agir avec une énergie qui est plutôt celle d'un chef de parti extrémiste que celle d'un évêque. Guillaume de Puylaurens le loue d'apporter aux citoyens de Toulouse "non une mauvaise paix mais une bonne guerre". Son éloquence de tribun incitait à une action réelle et concrète, et c'est à Foulques que revient le douteux honneur d'avoir été un des seuls à réussir dans la tentative de soulever les populations catholiques contre leurs frères hérétiques. Encore ne s'agit-il là que d'un assez petit nombre de militants fanatisés, et pour le peuple Foulques restera, comme le diront un jour les bourgeois de la Bessède, "l'évêque des diables".

À part les légats et leurs missionnaires, à part les évêques de nouveau style et récemment intronisés, tels que Foulques de Marseille et Navarre, évêque de Couserans, à part les évêques du Comminges, de Cahors, d'Albi, de Béziers et plusieurs autres dont la fidélité à l'Église ne faisait pas de doute, mais dont les efforts dans la lutte contre l'hérésie restaient tout platoniques, sur quel appui l'Église pouvait-elle compter dans les provinces occitanes?

Une partie de la noblesse devait être catholique: le légat Pierre de Castelnau avait réussi à former une ligue de barons destinée à combattre l'hérésie; il faut croire pourtant que ces barons n'agissaient ainsi que pour déplaire au comte de Toulouse, car on ne les verra pas prendre la croix. Les croisés du Midi venaient surtout de Provence, terre peu touchée par l'hérésie, ou du Quercy et d'Auvergne. Les évêques de Cahors et d'Agen réussiront à grouper quelques corps armés de pèlerins qui participeront à la croisade. Mais il semble que dans toute la région comprise entre Montpellier, les Pyrénées, jusqu'au Comminges au Sud et Agen au Nord, l'Église n'ait eu que des partisans isolés, et en tout cas peu actifs, plus conscients de leur solidarité envers leurs concitoyens hérétiques que de leurs obligations envers l'Église - du moins quand ces obligations allaient jusqu'à expulser et persécuter les hérétiques. D'ailleurs, ces derniers étaient assez forts pour se défendre. Le comte, l'eût-il voulu, ne possédait pas le pouvoir de provoquer une guerre civile.

L'Église, malgré la vigueur combative de ses éléments sains, malgré le fanatisme de certains de ses chefs, malgré les efforts de persuasion et d'intimidation tentés par le pape et malgré la puissance administrative et financière qu'elle possédait encore dans le pays, se voyait incapable de freiner les progrès de la religion nouvelle qui commençait à paralyser toute volonté de résistance chez la population restée catholique. Le pape et les légats ne voyaient plus d'autre moyen de lutter que la force armée. C'est à ce moment que le meurtre de Pierre de Castelnau donna le signal de la levée de boucliers. L'Église abandonnait sa tâche à la force du glaive.

40 Ép. CCCLXV.

41 Ép. CCXLI, Migne, P.L., t. 182, col. 434.

42 Cf. l'appendice IV.

43 B. Jordanis de Saxonia, Opéra, Fribourg, 1891.

44 Guillaume de Puylaurens, ch. X.

45 Jourdain de Saxe, Op. cit., p. 549.

46 Guillaume de Puylaurens, ch. IX.

47 Guillaume de Puylaurens, ch. VIII.

48 Balme et Lelaidier. Cartulaire de saint Dominique, t. I, pp. 186-188.

49 Humbert de Romans, L'Enquête de Toulouse pour la canonisation de saint Dominique, ch. XIII.

50 Dante, Paradis, chant IX.

CHAPITRE IV

LA CAMPAGNE DE 1209

En juin 1209 Raymond VI est flagellé à Saint-Gilles et fait sa réconciliation solennelle avec l'Église. L'armée des pèlerins-guerriers qui se sont levés à l'appel du pape a terminé ses préparatifs, se rassemble à Lyon et le départ est fixé pour la Saint-Jean (24 juin). Ayant perdu tout espoir d'éviter la guerre le comte joue sa dernière carte: il prend lui-même la croix.

La guerre, déclarée en fait au lendemain de la mort de Pierre de Castelnau, va entrer dans sa phase active: l'armée croisée est prête au combat et ne peut plus tarder à se mettre en marche. Les croisés prennent la croix pour quarante jours de campagne effective, les chefs de l'armée n'ont donc pas de temps à perdre.

Leurs adversaires, au cours de l'hiver 1208-1209, semblent ne pas trop croire à la réalité du danger et n'ont pas organisé de système de défense; bien au contraire, ils s'entendent mal entre eux, hésitent jusqu'au dernier moment sur l'attitude à prendre, espèrent toujours désarmer le pape et ses représentants par des promesses de soumission. Selon la "Chanson de la Croisade"51, le comte de Toulouse aurait vainement supplié son neveu, le vicomte de Béziers, "de ne pas lui faire la guerre, de ne pas lui mouvoir querelle, et que tous deux soient à la défense", et le vicomte aurait répondu "non par oui, mais par non"; les deux barons se seraient séparés en mauvais termes, fait qui n'a rien d'étonnant si l'on songe que les maisons de Béziers et de Toulouse étaient en état de désaccord et de rivalité permanente depuis des générations.

Les historiens qui n'ont pas manqué de déplorer cette absence d'union entre les dirigeants du pays devant le danger semblent oublier combien la situation de ces hommes était équivoque et difficile: en juin 1209, ils ne pouvaient prévoir la tournure que prendraient les événements; ils étaient attaqués, non par une puissance étrangère, mais par des soldats de Dieu; la guerre leur était déclarée par le chef de leur propre Église, leurs adversaires avaient des alliés puissants et nombreux sur leur territoire même. D'autre part, les rois d'Occident, leurs suzerains directs ou indirects, s'en tenaient à une attitude de neutralité plutôt énigmatique, et, s'ils ne faisaient rien pour seconder la croisade, ils ne semblaient pas non plus s'y opposer.

Il faut donc penser que l'attitude des barons méridionaux était le résultat d'une sorte de prudence élémentaire: bouger le moins possible, plier sous l'orage, afin de s'en tirer avec le minimum de dégâts. Le comte de Toulouse, qui semble avoir le mieux compris le danger que présentait une lutte ouverte contre l'Église, passe dans le camp de ses propres ennemis, et met ainsi ses domaines - foyer notoire d'hérésie - sous la protection de la loi qui déclare intangibles les biens des croisés. Les plus puissants de ses vassaux ne vont pas aussi loin dans la voie de la soumission et se préparent à la résistance. Ils s'y préparent en fait assez mal, non par manque de courage ni de moyens, sans doute, mais parce qu'une guerre déclarée à l'hérésie était encore quelque chose de trop imprécis, de trop incertain pour qu'il fût possible de compter sur la loyauté absolue de leurs vassaux, lesquels n'avaient déjà que trop tendance à désobéir et à se révolter au moindre prétexte.