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En plus des chevaliers et de leurs milices, en plus des techniciens et des mercenaires de toutes catégories, l'armée comprenait un important personnel de non-combattants. Elle traînait avec elle de grands chargements de bagages: les caisses d'armes et; d'armures, les tentes, les cuisines, les outils nécessaires à l'établissement de fortifications, et à la construction des machines; l'armée avait ses femmes, blanchisseuses, ravaudeuses, filles de joie. De plus, les combattants les plus fortunés emmenaient parfois avec eux leurs épouses et même leurs enfants. Enfin, le passage d'une grande armée attirait une foule de vagabonds, mendiants, curieux, voleurs alléchés par l'appât du pillage, colporteurs, jongleurs, bref, une masse de civils dont l'armée n'avait nul besoin, mais qui espéraient vivre d'elle et en fait devenaient une charge supplémentaire pour le pays envahi.

Telle était à peu près la composition d'une armée en campagne. Pour peu qu'elle fut importante, sa seule présence dans un pays constituait déjà un facteur de désordre, car elle paralysait la circulation sur les routes, semait la panique, et, pour se procurer la nourriture et le fourrage, rançonnait les terres environnantes.

La guerre était en général une guerre de sièges plutôt que de batailles rangées; là, l'artillerie jouait un rôle prépondérant. Les tours et les murailles des villes étaient bombardées à coups de boulets lancés par des pierrières, ou par des trébuchets dont la portée pouvait atteindre quatre cents mètres et qui projetaient des boulets pesant jusqu'à quarante kilos; montés sur des échafaudages de bois ou des tours roulantes, ou chattes, ces engins de tir parvenaient souvent à ébrécher des murailles de plusieurs mètres d'épaisseur, sans parler des dégâts qu'ils causaient dans la ville assiégée quand l'assaillant parvenait à construire des tours de bois assez hautes pour dominer les murailles; sous le couvert des tirs d'artillerie, l'assaillant comblait les fossés; les mineurs creusaient des galeries souterraines et ébranlaient le fondements des tours; l'assaut était généralement donné à l'échelle, et réussissait rarement; la prise d'une place forte nécessitait d'abord la démolition des murailles. Or, cette démolition demandait un travail long et dangereux, et dans cette opération les assiégés avaient en général l'avantage, et parvenaient à incendier les tours roulantes et à décimer par leur tir des adversaires qui, eux, n'étaient pas à l'abri de murailles. En fait, la guerre de sièges était le plus souvent une guerre d'usure.

L'apparition de l'ennemi faisait fuir les gens des campagnes vers les châteaux et les villes fortifiées; villes et châteaux, qui risquaient déjà d'être assiégés, donc privés de leurs moyens normaux de ravitaillement, voyaient leur population augmentée d'un grand nombre de bouches inutiles, sans compter les bêtes. Le siège amenait donc la famine et les épidémies. D'autre part, une armée qui avançait en territoire ennemi ravageait les campagnes, pillait ou brûlait les récoltes, abattait les arbres fruitiers, quand leurs adversaires ne s'en chargeaient pas les premiers dans l'intention d'affamer l'agresseur. Les uns et les autres polluaient l'eau des puits, et les maladies, la disette faisaient plus de victimes que les armes, même dans une armée assiégeante. Il était très rare de voir une armée considérable se maintenir longtemps en territoire ennemi.

Le peuple, qui ne faisait pas la guerre, en souffrait plus que ceux qui la faisaient, par la famine surtout, et aussi par les exploits des routiers. Le Midi, habitué de longue date aux guerres et aux guérillas féodales, était devenu un pays de citadins, la plupart des bourgs et des villages étaient fortifiés et les fermes étaient des dépendances des châteaux; à la moindre alerte, le paysan courait se mettre à l'abri. Nous savons que les comtes de Toulouse, de Foix, les vicomtes de Béziers étaient perpétuellement en état de guerre; ces règlements de comptes entre voisins ne semblaient pas désorganiser profondément la vie du pays, qui s'en accommodait comme d'un mal inévitable. Les routiers dont on faisait de tels griefs au comte de Toulouse ne devaient être ni si nombreux ni si; redoutables, puisque plus tard ce même comte apparaîtra aux populations comme le symbole même de l'ordre et de la paix.

À cause de cela peut-être, la menace d'une croisade n'avait pas troublé outre mesure un peuple qui croyait savoir se défendre. Peut-être les Occitans s'attendaient-ils à une expédition militaire comme ils en avaient vu des dizaines, et envisageaient-ils de se défendre par les moyens ordinaires, ou de se soumettre, le cas échéant, pour la durée d'une guerre qui ne manquerait pas d'être brève.

Mais, au début de juillet 1209, lorsque la nouvelle de l'avance des croisés se répandit dans le pays, lorsque les premiers groupes de fugitifs commencèrent à remonter vers les villes, quand du haut de leurs tours de guet les sentinelles des châteaux dominant la vallée du Rhône purent voir se dérouler sur des kilomètres et des kilomètres le mouvant et interminable ruban composé de milliers d'hommes à cheval et à pied, lorsqu'ils virent le Rhône encombré par les files de barques portant les bagages et les provisions de l'armée, les populations des terres menacées par la croisade furent impressionnées par l'importance de l'armée ennemie, dont la "Chanson de la Croisade" dit qu'on n'en avait jamais vu de pareille dans le pays.

Témoignage de vaincu, sans doute; il devait cependant correspondre à la réalité. Les descriptions du chroniqueur donnent à penser que la vue de la multitude armée qui descendait la vallée du Rhône avait stupéfait les contemporains comme quelque chose de monstrueux. Quelle que pût être l'issue de la guerre, la seule présence d'une telle quantité de soldats étrangers dans le pays prenait déjà des allures de catastrophe nationale.

Cette armée, de loin, paraissait plus redoutable encore qu'elle ne l'était, car, en plus des bandes de gens sans aveu qui accompagnaient toute formation militaire en campagne, l' "ost" croisée était suivie, entourée, encombrée d'une foule de pèlerins civils partis avec l'intention de gagner les indulgences promises à tout homme qui prendrait la croix, et désireux, dans leur sainte simplicité, de participer à une œuvre pie en aidant à exterminer les hérétiques. La tradition du pèlerinage des croisés civils, solidement établie par un siècle d'expéditions en Terre Sainte, lançait vers la terre hérétique ces singuliers "pèlerins" qui partaient, non pour se recueillir devant des reliques vénérées, mais pour contempler des bûchers et prendre part à des massacres. Ces civils, qui n'étaient pas une force combattante, mais plutôt une gêne pour l'armée, pouvaient cependant contribuer à donner aux troupes croisées l'aspect formidable d'un flot d'envahisseurs déferlant sur le pays.

II - BÉZIERS

Conduits par le légat Milon, les croisés avançaient rapidement: partis au début de juillet de Lyon, le 12 ils étaient déjà à Montélimar; à Valence le comte de Toulouse les avait rejoints, la croix sur la poitrine, et avait pris sa place parmi les hauts barons chefs de la croisade. Avant le 20, les croisés s'arrêtent à Montpellier, ville amie, catholique par tradition, et terre du roi d'Aragon; ce sera leur dernière halte avant le commencement des hostilités. Dans le même temps une autre armée croisée, moins importante, pénétrait dans le Languedoc par le Quercy, commandée par l'archevêque de Bordeaux accompagnés des évêques de Limoges, de Bazas, de Cahors et d'Agen, du comte d'Auvergne et du vicomte de Turenne; cette armée prit la ville de Casseneuil où plusieurs hérétiques furent pris et brûlés.

Si Raymond VI n'est plus un ennemi de la foi, les croisés ne se sont pas dérangés pour rien, et les légats ont déjà désigné le premier adversaire à abattre, le premier en titre des "fauteurs d'hérésie" du Languedoc. Les domaines du vicomte de Béziers sont de longue date considérés comme terres hérétiques par excellence, et le jeune vicomte ne possède ni l'audace ni la duplicité de son oncle et suzerain le comte de Toulouse.