Выбрать главу

Jerry savait tout cela.

Et pourtant, il descendait maintenant depuis le vide noir de l’espace vers un monde déjà colonisé, une planète explorée depuis longtemps, cataloguée, prête à être habitée. Les colons y étaient installés depuis bientôt cinq ans – et quelque chose venait de s’attaquer à eux. Un être étranger dont on n’avait jamais soupçonné la présence se trouvait sur cette planète, un être qu’une robofusée envoyée en hâte avait localisé en quelques heures et qui, pourtant, avait échappé aux six mois de sondage qui avaient précédé l’arrivée des pionniers.

C’était impossible. Incroyable. Mais, une fois encore, le fait s’était produit. Et maintenant, il fallait intervenir. Un pressant appel subspatial avait été adressé à la Terre, demandant qu’un Zoologiste entre en contact avec l’étranger pour sonder ses points faibles et trouver ainsi le meilleur moyen de le détruire.

« Un jour, » songea Jerry tout en attendant impatiemment Ollie Gibbs et son café, « un jour je rencontrerai un étranger invincible. Que pourrai-je dire alors ? »

Il se voyait en train de demander à un village de durs pionniers de la seconde génération de faire leurs paquets pour fuir…

Ses réflexions furent interrompues par un coup léger à la porte, annonçant l’arrivée d’Ollie. Jerry grommela une réponse et le garçon du mess apparut. Le visage figé en une expression de politesse protocolaire, il disposa sur la table un pot de café fumant et une tasse de plastique. Jerry, chaque fois qu’il ne se sentait pas à son aise, décelait ce même regard chez le garçon. Il se retourna finalement et lui fit face.

— « Qu’y a-t-il, Ollie ? » demanda-t-il non sans douceur. « Je te fiche dehors si tu ne réponds pas. Vas-y, parle ! »

Ollie eut un sourire bref, un éclat de ses dents blanches qui brillaient dans son visage brun. « Ce serait vraiment me ficher dehors pour rien, lieutenant ! »

Jerry détourna les yeux pour fixer l’horloge. Les horloges du vaisseau étaient toutes réglées sur le Temps Terrestre Oriental. Il eut un soupir. Le temps passait terriblement vite, cette fois. Et soudain, il eut besoin de parler à quelqu’un. Soudain il ne pensait plus au danger auquel il s’exposait en relâchant sa tension mentale. Le vaisseau ne se poserait pas avant deux heures et parler ne le ferait pas plus souffrir que garder le silence.

— « Assieds-toi, Ollie, » dit-il brusquement. Le garçon haussa les sourcils à cette invitation inattendue mais, obéissant, il s’assit au bord d’un siège, prêt à se redresser d’un bond. Jamais, à sa connaissance, il n’avait eu de conversation avec un Zoologiste Spatial.

Lentement, Jerry se versa une tasse de café, but une gorgée puis se renforça confortablement dans son fauteuil. « À quoi penses-tu, Ollie ? »

— « Comme je vous le disais, lieutenant, vraiment à rien. Je… je ne peux pas vous comprendre, vous autres, Sondeurs. C’est tout, lieutenant… Je me demande tout le temps ce qui vous force à faire ce travail. Pourquoi vous le faites si longtemps et pourquoi vous mourez si vite quand vous quittez le Corps, ou… Enfin, tout ça, lieutenant. »

— « En somme, il ne s’agit que d’une curiosité générale à propos de mon éthique et de mes motivations, hein ? » demanda Jerry. Il n’essayait nullement d’impressionner le garçon par son vocabulaire. Le dernier des hommes d’équipage d’un astronef était choisi plutôt pour ses facultés intellectuelles que pour sa force physique.

— « C’est à peu près ça, lieutenant, » dit Ollie. « Je veux dire que je vous observe quand vous vous préparez pour ces missions. Vous êtes tendu, inquiet, mal à l’aise, et je me demande toujours : pourquoi fait-il ça ? Pourquoi ne s’en sort-il pas si cela lui est si pénible ? »

Jerry regarda pensivement la paroi en face de lui. Il évita le regard du garçon tout en répondant : « Tout homme est effrayé et tendu lorsqu’il a une tâche importante à accomplir. Ce n’est que de l’inquiétude, purement et simplement. La pensée de l’échec me tenaille constamment. »

Il s’interrompit, guettant une réponse. Comme il n’en venait aucune, il tourna lentement son regard vers le garçon, espérant paraître assez calme pour ne pas éveiller ses soupçons. Mais le sourire qu’il rencontra, bien que sympathique, n’était pas celui d’un homme que l’on abuse.

— « Ce n’est pas ça, lieutenant, » dit Ollie. « Je sais que ce n’est pas ça. Parce que votre inquiétude n’est pas normale. Vous craignez de ne pas avoir à faire votre travail. Vous êtes un peu comme… comme un ivrogne qui attend de boire… si vous me pardonnez la comparaison, lieutenant. »

— « Je ne pardonne rien ! » gronda Jerry. Puis il serra les accoudoirs de son fauteuil et secoua la tête en signe d’excuse. Le visage du garçon s’était figé de surprise. « Non, Ollie, non. Je retire ce que je viens de dire. C’est moi qui t’ai demandé de t’asseoir là pour me dire ce que tu pensais. Je ne peux pas me fâcher parce que tu m’as obéi. »

— « Tout le monde se fâche de temps en temps, lieutenant, » dit Ollie.

Jerry hocha la tête d’un air sombre. Ollie se leva.

« Je serai au carré, lieutenant, si vous désirez autre chose. À moins que vous ne vouliez que je reste encore un moment ? »

Jerry examina la proposition, puis secoua la tête. « Non… Il vaut mieux pas, Ollie. » Un pâle fantôme de sourire apparut sur son visage. « Il est trop facile de discuter avec toi. »

— « Oui, lieutenant, » dit Ollie en souriant. Puis il sortit et referma derrière lui. Jerry resta assis encore une seconde, puis il se dressa et rouvrit la porte. Ollie, qui s’était éloigné de quelques pas dans la coursive tourna la tête, surpris.

« Lieutenant ? »

— « Dis au capitaine…» commença Jerry, puis il s’aperçut que sa voix était presque un cri rauque et il changea de ton. « Voudrais-tu, s’il te plaît, dire au capitaine d’accélérer s’il le peut, Ollie ? »

Ollie hésita. « Le vecteur…» commença-t-il, puis il se raidit en une attitude militaire et répondit : « Oui, lieutenant. Tout de suite, lieutenant. »

— « Non, » grommela Jerry. Il ferma les yeux et s’agrippa au montant de métal. « Laisse tomber. Il doit suivre sa vitesse. Il ne peut pas accélérer. »

Ollie, qui savait parfaitement cela, demeura silencieux.

« Je vais reprendre une tasse de café, » poursuivit Jerry, gêné. « Et à propos de ce que je t’ai dit…»

— « Vous savez que je ne répéterai rien, lieutenant, » dit Ollie.

— « Je sais. Je suis navré. Ce doit être les nerfs. Le mal de l’espace ou quelque chose de ce genre…»

— « Certainement, lieutenant. »

Le garçon se détourna et gagna l’extrémité de la coursive. Jerry, lentement, referma la porte et se rassit. Il jeta un coup d’œil à l’horloge, but une gorgée de café chaud. Il sentait les froides aiguilles de la peur dans chaque muscle, chaque articulation de son corps…

2

La colonie de la seconde planète de Sirius n’existait que par l’effet d’un de ces cercles vicieux qui composent le progrès. Tout comme le fer est indispensable pour fondre l’acier dont on fait les outils et l’équipement permettant d’extraire le fer des mines, la colonie devait exploiter les gisements de minerai précieux qui justifiaient en premier lieu l’existence de colonies semblables. Le minerai était appelé présodynimium, vocable polysyllabique signifiant simplement qu’il s’agissait d’un cristal instable, isotope provenant à l’origine de sodium ordinaire (d’où pré : avant et sod : sodium), doué de grandes propriétés cinétiques (dyn : force). Il avait été d’abord extrait de composés sodés par un savant canadien (d’où, imium, moins américain qu’inum ou um).