Pour Jerry, cependant, les choses n’auraient rien de tranquille pendant ces quarante minutes.
Lorsque le processus était entamé, il était impossible – même pour l’inventeur du Contact – de raccourcir ou d’allonger la période de temps. L’esprit de Jerry, une fois dans celui de l’être étranger, y restait pendant exactement quarante minutes. Et tout ce qui pouvait arriver à l’étranger arrivait également à Jerry. Même la mort.
Si la créature venait à périr avec Jerry, les gens dans le solarium attendraient en vain son réveil.
Jerry, luttant contre les vagues nauséeuses qu’il éprouvait au creux de l’estomac, était maintenant étendu et coiffé du casque, attendant que le technicien eût achevé les derniers réglages.
Un rayon-sonde dirigé, depuis le solarium, sur la zone suspecte avait immédiatement détecté la trace verte, aussi intense qu’auparavant. Bientôt, Jerry serait au cœur même de la réponse, son esprit rivé à celui de l’étranger.
— « Dépêchez-vous, s’il vous plaît, » dit-il au technicien, en s’efforçant de ne pas crier.
— « Je suis prêt, lieutenant, » dit l’autre, brusquement. « Vous êtes paré ? »
— « Paré, » répondit Jerry. Il ferma les yeux sur l’image du ciel clair, laissant son esprit se relaxer pour le choc brutal du transfert… Il y eut un éclair silencieux, blanc et froid dans son esprit… Et Jerry Norcriss fut en Contact…
L’une des infirmières, nette et digne dans son uniforme empesé, fit un pas hésitant vers la couchette puis s’adressa au technicien sans le regarder, d’une voix tendue : « Quelles sont ses chances ? Il est tellement important qu’il réussisse ! »
Le technicien s’apprêtait à lui répliquer vertement, mais détournant son regard du panneau de contrôle, il rencontra deux yeux du bleu le plus profond qu’il eût jamais vu et un visage sérieux, à la peau douce, sous une frange de cheveux blonds. Il y avait de l’inquiétude dans ces yeux. Immédiatement, son humeur s’adoucit. Essayant de ne pas révéler la soudaine tendresse qu’il éprouvait, il désigna le grand appareil où scintillaient les lampes et tremblaient les aiguilles des cadrans.
— « Toute l’histoire, d’une façon ou d’une autre, est résumée ici, » dit-il. « Les chances d’un Zoologiste Spatial sont toujours de cinquante pour cent. Ou bien il réussit et revient sain et sauf, ou il échoue et ne revient pas du tout. Mais, quels que soient les renseignements qu’il obtient, ceux-ci sont transcrits sur microbande. Et cela peut nous aider à affronter la menace. Ou n’être d’aucune utilité. »
Elle parut surprise. « C’est donc seulement un enregistreur ? Je croyais que ce qui avait lancé son esprit vers la mine était…» Elle hésita sur le dernier mot et son expression refléta une anxiété grandissante.
Le technicien eut envie de lui poser une question, puis décida de se cantonner pour un instant encore sur le terrain de la technique. « Non, son esprit se transmet par lui-même, » dit-il. « C’est-à-dire que le Contact déclenche l’activité d’une certaine zone du cerveau. Son esprit suit alors un rayon-sonde braqué sur l’être étranger et le Contact s’établit. Après cela, la machine peut être arrêtée pour toute la durée du Contact. Au bout de quarante minutes, son esprit regagne son corps de lui-même. Les centres cérébraux se rétractent un peu à la façon d’un muscle sous l’effet d’un coup. Ils sont comme paralysés pendant un temps fixe : quarante minutes. En deçà ou au-delà de cette limite, aucun Contact ni rupture de Contact n’est possible…»
Sa voix traîna sur les derniers mots comme il s’apercevait que les hochements de tête de la jeune fille étaient vagues et absents. Elle avait l’esprit ailleurs et il dit en hésitant : « Écoutez… je ne suis pas psychologue… mais peut-être cela vous soulagerait-il si vous me parliez…»
Un pâle sourire flotta sur ses lèvres. « Je ne croyais pas que cela se voyait. »
Il sourit en réponse et haussa les épaules.
— « Je m’appelle Jana, » reprit-elle, « Jana Corby. » Elle tentait d’effacer un peu de la tension qui existe habituellement entre deux inconnus.
— « Bob Ryder, » dit le technicien. Et il se tut, attendant qu’elle fît le premier mouvement.
— « Mon père…» commença-t-elle et, pour la première fois, un peu de l’angoisse qui se lisait dans ses yeux passa dans sa voix. « Mon père était l’un des mineurs… Dans l’équipe du matin. C’est la veille de mon mariage que les hommes ne sont pas revenus. »
Bob fronça les sourcils. « Je ne comprends pas. »
Elle cligna des yeux comme des larmes lui venaient et eût un sourire timide et triste.
— « Excusez-moi. Je mélange tout. Voyez-vous, comme papa avait disparu, la cérémonie a été remise, bien sûr, jusqu’à ce que nous ayons des nouvelles. Jim – Jim Kerrick, mon fiancé – a très bien compris. Il est mineur, lui aussi. Il fait partie de l’équipe de nuit, Dieu merci. Mais si le lieutenant Norcriss ne réussit pas, s’il n’arrive pas à trouver un moyen de détruire cet animal, quel qu’il soit… nous ne pourrons jamais nous marier. »
Lentement, Bob secoua la tête.
— « Vous ne pourrez pas vous marier ? Je ne vous suis pas. »
— « Vous êtes du Corps Spatial, » dit-elle. « Peut-être ne connaissez-vous pas les usages des colonies stellaires. Cela coûte cher d’envoyer des gens jusqu’aux étoiles. Les promoteurs exigent des garanties pour leur argent. Nous signons donc tous un contrat de dix ans. Si nous n’en remplissons pas les termes, nous sommes renvoyés sur Terre par le prochain vaisseau. »
— « Eh bien… je pense que vous êtes encore dans les limites, » dit Bob. « Mais en quoi cela contrarie-t-il vos projets de mariage ? »
— « Nous allons là où l’on nous envoie, » dit-elle simplement. « Si la colonie est évacuée, nous serons envoyés sur une nouvelle planète. Ce ne sera peut-être pas la même pour nous deux. J’irai là où l’on a besoin d’infirmières et Jim là où il faut des mineurs. »
Bob éprouvait une impression gênante à parler ainsi du programme de colonisation, mais le désespoir qu’il lisait dans les yeux de la jeune fille lui faisait oublier toute autre considération. « Vous pourriez annuler tous deux vos contrats. »
— « Et retourner ensemble sur Terre ? » Jana secoua la tête. « Jamais je ne ferai cela, pour l’amour de Jim. Il a voué sa vie à la mine et c’est le présodynimium qu’il connaît le mieux. Il n’y en a plus sur Terre. »
— « Il pourrait trouver autre chose, » dit Bob.
— « Je sais. Mais il ne serait pas heureux. Au bout d’un certain temps, il pourrait m’en vouloir. Ou je pourrais tout aussi bien m’en vouloir à moi-même. Je… je pense qu’il est idiot d’accorder tant d’importance à cela ? »
— « Chérie, » dit doucement Bob, « n’importe quel type se couperait un bras pour épouser une fille comme vous. Et moi le premier. »
Embarrassée, elle regarda à nouveau la silhouette immobile sur la couchette. « Vous êtes gentil. »
— « Pas gentil, » dit le technicien, « mais séduit. »
Derrière eux, des myriades de points lumineux et de voyants scintillaient avec une électrique monotonie. Lentement, ils enregistraient les détails les plus infimes du Contact entre Jerry Norcriss et l’être étranger…
3
Il y eut d’abord la sensation d’un soleil tiède sur sa peau, puis une odeur acide de feuilles écrasées, verte, puissante et familière. Puis son esprit s’éveilla. Il perçut le murmure du vent et un éclat doré filtra entre ses paupières closes. Brusquement, l’unité de perception s’établit. Jerry Norcriss était quelque part dans les bois sous le soleil et les perceptions de l’étranger étaient les siennes.