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Pendant un long moment, Jerry demeura immobile. Ses yeux ne quittaient pas le visage de Bob. Des doigts de glace étreignaient sa moelle épinière. Puis, avec une appréhension étrange, il fixa de nouveau l’image presque photographique qu’il tenait. « Vous avez raison, » dit-il après une minute. « Ceci est bien une photo de moi. »

— « Mais, lieutenant, c’est impossible ! »

— « Si ! » dit Jerry en laissant retomber le papier jusqu’au sol. « C’est possible, puisque cela existe. Et, tout à coup, je sais pourquoi. »

Sans transition, il sauta de sa couchette et se leva.

« Écoutez, » dit-il d’un ton pressant. « Il n’y a pas un instant à perdre. Rassemblez le personnel de l’hôpital, vite. Et allez me chercher le meilleur psychiatre. Il me faut un hypnotiseur. »

— « Un… un hyp… ? » bredouilla le technicien, stupéfait. Puis il acquiesça et s’éloigna en hâte tout en continuant d’agiter la tête.

— « Ne vous préoccupez pas de savoir pourquoi, docteur. Pouvez-vous le faire ? C’est tout ce que je veux savoir. » La voix de Jerry était sèche et ses yeux avaient un éclat autoritaire.

— « Oui… oui, je le pense, » bredouilla le docteur. « Si vous pouvez être hypnotisé, bien sûr. »

— « Tous les Zoologistes Spatiaux possèdent la puissance psychique nécessaire pour faire de parfaits sujets, » lança Jerry. « Vite, docteur. J’ai déjà gâché un Contact. »

— « Très bien, lieutenant, » dit le docteur. « Étendez-vous et faites le vide en votre esprit…»

— « Je sais, je sais ! Allez-y, voulez-vous ? »

Bob et Jana se tenaient à l’écart dans l’ombre du tableau de contrôle. Ils écoutèrent en silence le docteur plonger Jerry dans une hypnose de plus en plus profonde, jusqu’à ce que son esprit devienne aisément suggestionnable. Il fit alors ce que Jerry lui avait ordonné et, d’un claquement de doigts, réveilla le Zoologiste.

— « Vous avez entendu ? » demanda Jerry au technicien. « A-t-il fait exactement ce que je lui avais dit ? »

— « Lieutenant… » protesta le docteur.

— « Je ne voulais pas vous vexer, » dit Jerry, « mais si les paroles que vous avez prononcées laissent mon esprit trop libre, trop humain, l’étranger le décèlera. Et une ruse comme celle-ci ne peut être tentée une seconde fois si l’étranger devine nos intentions. »

— « Il a fait ce qu’il fallait, lieutenant, » dit Bob. « Mot pour mot, comme vous le lui aviez ordonné. »

— « Parfait, » dit Jerry. « Merci, docteur, et bonne nuit. »

— « Euh… oui, » dit l’autre, se voyant péremptoirement congédié après avoir fait tout ce chemin depuis son lit douillet dans le petit matin. « Bonne nuit, lieutenant. »

Il quitta la pièce et Jana, après un coup d’œil à Bob, ferma la porte derrière lui. Bob demeura près du tableau de contrôle, attendant que Jerry eût ajusté le casque sur sa tête et se fût étendu à nouveau.

— « Ça va ? » demanda-t-il au technicien, tandis que Jana traversait la pièce pour venir prendre le bras de celui-ci. Elle marchait sur la pointe des pieds, bien que personne ne l’eût invitée au silence.

— « Prêt, lieutenant, » dit le technicien en s’efforçant au calme.

— « Vous avez réglé le rupteur ? » demanda Jerry.

— « J’appuierai sur le contact au moment même où je mettrai la machine en marche, » dit Bob.

— « Tout va bien, en ce cas, » dit Jerry.

La main droite de Bob tourna un contact. En même temps, son pouce gauche pressait le bouton de déclenchement du rupteur automatique. Lentement, la grande aiguille rouge commença à se déplacer sur le cadran. Sur la couchette, Jerry se raidit, puis se détendit.

— « Vous feriez bien de rester auprès de lui, » dit Bob à Jana. « La machine est réglée sur l’automatique. Si je ne suis pas revenu à temps, elle fonctionnera toute seule. »

— « À temps ? » demanda-t-elle. « Mais c’est impossible, Bob. Si ce qu’il a dit à propos du temps est…»

Le technicien ferma les yeux et se prit le front entre le pouce et l’index. « Mais oui, bien sûr. Je deviens stupide. Cette manœuvre est tellement inhabituelle…» Il sourit. « Restez quand même avec lui. Je me sentirai plus tranquille, si vous n’êtes pas avec nous. »

— « Bien, Bob, » dit-elle en un murmure. « Soyez prudent. »

Il lui sourit avec plus de confiance qu’il n’en ressentait vraiment et quitta la pièce. Lentement, Jana retourna près de la couchette où Jerry était plongé dans un sommeil anormal. Elle fixa son visage étrange, à la fois jeune et ancien, avec des yeux brillants d’inquiétude.

5

« Qu’est-ce que c’est ? » gémit l’esprit de Jerry. « Où suis-je encore ? »

— « Tout va bien, » dit une voix apaisante. « Tu es avec moi, maintenant. »

— « Oh ! oh ! » ricana l’esprit de Jerry. « Et qui pouvez-vous bien être ? »

Il faisait sombre comme il regardait par les yeux de l’être, mais il agita rapidement une patte devant lui et fut rassuré. Ses griffes étaient toujours aussi blanches et acérées, ses poils gris, raides et intacts.

« Comment puis-je être vous ? » demanda Jerry. « Si je suis un rat gris et que vous êtes aussi un rat gris, que fais-je ici ? »

— « Tu es venu m’espionner, je le sais, » dit la voix apaisante. « Mais tu vois ? Tu n’as rien à craindre. Rien du tout. Je ne te veux aucun mal. Tu ne décèles aucune menace en moi, n’est-ce pas ? »

— « Non. Aucune menace. Aucun danger. Je suis en sécurité. À l’abri. Je suis bien et l’on m’aime…»

— « Repose-toi, » dit l’étranger. « Repose-toi. Et laisse-moi reprendre le contrôle. Tu peux dormir si tu le désires. Tu peux te reposer. Je prendrai soin de toi, crois-moi. »

— « Oui. Dormir. Plus de course, plus de terreur…» dit l’esprit de Jerry Norcriss – l’esprit d’un rat gris, dans le corps invisible d’un autre rat gris qui lui ressemblait beaucoup…

— « Dépêchez-vous, avec ce projecteur ! » lança Bob. Il avançait à travers bois à la tête des autres hommes. Deux d’entre eux étaient armés de fusils, l’un portait un lance-flammes et Bob lui-même était chargé d’un des nouveaux bazookas à projectiles nucléaires. Ollie, qui tenait le projecteur, courut pour le rattraper tout en s’excusant.

— « Ça va, ça va, » dit Bob. « Mais il faut que je voie ce cadran. Ah ! voilà… Nous sommes dans la bonne direction. Viens, Ollie. Garde le rayon comme ça, afin qu’il éclaire en même temps le sol et le cadran du traceur. Nous ne devons pas courir le risque de nous tromper de route. Il ne nous reste plus que sept minutes avant la fin du Contact. »

— « Mais le lieutenant ?…» dit Ollie. « Êtes-vous sûr qu’il ne va pas… ? »

— « Le rupteur est là pour ça. Nous devons frapper au moment exact où le Contact sera interrompu. Plus tôt, nous tuerions le lieutenant Norcriss en même temps que l’étranger. Plus tard, ce serait l’étranger qui nous tuerait. Tout comme il l’a fait pour ceux qui se sont approchés de lui. »

— « Mais comment fait-il. À quoi ressemble-t-il ? » insista Ollie.

— « Bon sang, nous n’avons pas le temps de bavarder ! Surveille cette lumière et dépêche-toi ! »

Les hommes s’enfonçaient toujours plus avant dans le bois. Les cercles de lumière blanche projetés par la torche figeaient en un éclat blême les feuilles humides et l’herbe décolorée.