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— Est-ce que nous pouvons descendre, monsieur Knowles ? supplia Miss Faust.

— Je lui ai dit, poursuivit Knowles, ici, c’est un laboratoire de recherche. Re-chercher, ça veut bien dire chercher de nouveau, non ? Ça veut dire qu’ils cherchent de nouveau un truc qu’ils ont perdu, qui a réussi à disparaître et qu’il faut qu’ils retrouvent. Pourquoi ont-ils construit un immeuble comme celui-ci, avec des ascenseurs incassables et tout le bataclan, pourquoi y ont-ils installé tous ces cinglés ? Qu’est-ce qu’on a perdu, et qui est responsable ? Oui, oui !

— C’est très intéressant, soupira Miss Faust. Maintenant, pouvons-nous descendre ?

— C’est la seule direction possible, aboya Knowles. On est au dernier étage. Vous me demanderiez d’aller plus haut que je ne pourrais pas, même pour vous faire plaisir. Oui, oui !

— Donc, descendons, dit Miss Faust.

— Dans un instant. Monsieur est allé rendre hommage au Dr Hoenikker ?

— Oui, fis-je. Vous le connaissiez ?

— Intimement, dit-il. Vous savez ce que j’ai dit quand il est mort ?

— Non.

— J’ai dit : « Le Dr Hoenikker, il est pas mort. »

— Ah oui ?

— Il est entré dans une nouvelle dimension, c’est tout. Oui, oui !

Il appuya sur un bouton et nous descendîmes.

— Avez-vous connu les enfants Hoenikker ? lui demandai-je.

— Des morveux pleins de morve, dit-il. Oui, oui !

Les chers absents

Il y avait une dernière chose que je voulais faire à Ilium : prendre une photo de la tombe du savant. Je retournai donc à l’hôtel. Sandra n’était plus dans ma chambre. Je pris mon appareil de photo et sautai dans un taxi.

Il tombait toujours une neige mouillée, grise et acide. Je songeai qu’avec un temps pareil, la tombe du vieux ferait une bonne photo, qui pourrait peut-être même illustrer la jaquette de mon livre.

À l’entrée du cimetière, le gardien m’expliqua comment trouver la concession Hoenikker.

— Vous ne pouvez pas la rater. C’est le plus grand monument de tout le cimetière.

Il n’avait pas menti. C’était une stèle, un phallus d’albâtre de six mètres de haut sur un mètre de diamètre. Elle était gaufrée de neige fondue.

— Grand Dieu ! m’exclamai-je en riant comme je descendais de taxi avec mon appareil. Voilà qui me semble assez bien choisi pour célébrer la mémoire du père de la bombe atomique !

Je demandai au chauffeur s’il voulait bien poser à côté du monument pour donner une idée de l’échelle. Puis je lui demandai de balayer de la main un peu de neige afin qu’on puisse voir le nom du défunt.

Ce qu’il fit.

Et Dieu m’est témoin que nous vîmes apparaître sur la colonne, en lettres de quinze centimètres, l’inscription suivante :

MÈRE

Tu n’es qu’assoupie

— Mère ? fit le chauffeur, incrédule.

Je dégageai plus de neige et découvris ce poème :

Maman, maman, c’est tous les jours Que nous prions pour ton amour.
Angela Hoenikker

Et sous ce poème s’en trouvait un autre :

Tu n’es pas morte, maman, Tu n’es qu’assoupie. Ici faisons le serment De sécher nos larmes.
Franklin Hoenikker

Et plus bas encore, incrusté dans la colonne, un carré de ciment portait l’empreinte d’une main de bébé. Sous l’empreinte, on lisait :

Baby Newt

— Si ça, c’est la mère, dit le chauffeur, qu’est-ce qu’ils ont dû ériger sur leur père !

En quelques mots obscènes, il décrivit le monument qui, selon lui, s’imposait.

Nous trouvâmes le père non loin de là. Son monument – tel qu’il l’avait, je devais l’apprendre plus tard, spécifié dans son testament – était un cube de marbre de quarante centimètres de côté.

« PERE », y lisait-on.

Un autre Breed

Comme nous quittions le cimetière, le chauffeur de taxi s’inquiéta de l’état de la tombe de sa propre mère. Il me demanda si cela m’ennuierait qu’il fasse un petit détour pour la voir.

C’était une petite pierre attendrissante – mais là n’est pas la question. Le chauffeur me demanda ensuite si je verrais un inconvénient à ce qu’il fasse un autre bref détour, pour s’arrêter cette fois chez un marchand de monuments funéraires juste en face du cimetière.

N’étant pas bokononiste alors, j’acquiesçai avec quelque humeur. Bokononiste, j’eusse envisagé allègrement d’aller n’importe où à la suggestion de n’importe qui. Ainsi que le dit Bokonon : « Les propositions de voyages singulières sont des leçons de danse données par Dieu. »

L’établissement funéraire était à l’enseigne d’Avram Breed et Fils. Tandis que mon chauffeur parlait avec le vendeur, j’errai parmi les monuments – des monuments vierges ne marquant encore la mémoire d’aucun événement.

Dans la salle d’exposition, je découvris ce qui devait être une petite plaisanterie de gens du métier : un ange de pierre était surmonté d’une touffe de gui tandis que des branches de cèdre s’amoncelaient sur son piédestal et qu’un collier d’ampoules d’arbre de Noël lui pendait au cou.

— Combien ? demandai-je au vendeur.

— Pas à vendre. Cet ange est centenaire. C’est mon arrière-grand-père, Avram Breed, qui l’a sculpté.

— Votre maison est donc si ancienne ?

— Oui.

— Et vous êtes vous-même de la famille ?

— La quatrième génération de Breed dans cette maison.

— Seriez-vous par hasard apparenté au Dr Asa Breed, le directeur du laboratoire de recherche ?

— C’est mon frère.

Il me dit s’appeler Marvin Breed.

— Le monde est petit, dis-je.

— Quand on le fourre dans un cimetière, oui.

Marvin Breed était gras et vulgaire, malin et sentimental.

Les deniers de la dynamite

— Je sors à l’instant du bureau de votre frère. Je suis écrivain et je l’ai interviewé au sujet du Dr Hoenikker, dis-je à Marvin Breed.

— Quel salaud, celui-là ! Pas mon frère, Hoenikker.

— C’est vous qui lui avez vendu le monument de sa femme ?

— À ses gosses, je l’ai vendu. Il n’a rien à voir là-dedans. Il ne s’est jamais soucié d’ériger un monument sur sa tombe. Et puis, un an ou plus après la mort de leur mère, les trois enfants Hoenikker sont venus ici. La grande asperge, le garçon et le tout-petit. Ils voulaient le plus grand monument possible, sans regarder à la dépense, et les deux aînés avaient apporté des poèmes écrits par eux. Ils voulaient les faire graver dans la pierre.

« Vous pouvez rigoler de cette pierre tombale si ça vous chante, continua Marvin Breed, mais ces enfants en ont retiré plus de consolation que de tout ce qu’on peut imaginer. Ils venaient la regarder je ne sais combien de fois par an et ils y déposaient des fleurs. »