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— Alors, je suis plus bête qu’un enfant de huit ans, se lamenta Miss Pefko. Je ne sais même pas ce que c’est qu’un charlatan.

Ou même du jardin d’enfants

Quatre marches de granit menaient au laboratoire de recherche, un austère immeuble de brique à cinq étages. À l’entrée, nous passâmes entre deux gardes armés de façon impressionnante.

Miss Pefko montra au garde de gauche le macaron rose qu’elle portait à la pointe du sein gauche : Confidentiel.

Le Dr Breed fit voir au garde de droite le macaron noir qui ornait le souple revers de sa veste : Ultra-secret. Puis, cérémonieusement, il m’entoura les épaules de son bras, sans toutefois me toucher, pour indiquer au garde que j’étais sous son auguste protection et surveillance.

Je souris à l’un des gardes. Il ne me rendit pas mon sourire. Il n’y a rien de drôle dans la sûreté nationale. Rien du tout.

Pensifs, le Dr Breed, Miss Pefko et moi traversâmes le hall d’apparat du laboratoire, en direction des ascenseurs.

— Demandez donc au Dr Horvath de vous expliquer quelque chose un de ces jours, dit le Dr Breed à Miss Pefko. Vous verrez qu’il vous répondra gentiment et avec clarté.

— Il faudrait qu’il recommence au niveau de l’école primaire… ou même du jardin d’enfants, dit-elle. Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas comprises en classe.

— Il en va de même pour nous tous, convint le Dr Breed. Nous devrions tous recommencer, de préférence à partir du jardin d’enfants.

Nous regardâmes la réceptionniste mettre en marche les nombreuses maquettes éducatives qui tapissaient les murs du hall. C’était une grande fille mince, glaciale, pâle, qui effleurait ses manettes d’un doigt précis. Des lumières se mirent à clignoter, des roues à tourner, des bocaux à bouillonner, des sonneries à carillonner.

— C’est de la magie ! déclara Miss Pefko.

— Je regrette d’entendre un membre de la famille du laboratoire utiliser ce trouble mot médiéval, dit le Dr Breed. Il n’est pas une seule de ces maquettes qui ne s’explique d’elle-même. Elles sont spécialement conçues pour ne pas mystifier, précisément. Elles représentent l’antithèse même de la magie.

— Le quoi de la magie ?

— Le contraire de la magie.

— Ce n’est pas avec moi que vous le prouverez, dit Miss Pefko. (Le Dr Breed eut l’air un tout petit peu irrité.) En tout cas, dit-il, nous ne cherchons pas à mystifier. Accordez-nous au moins ça.

Le service de frappe

Debout sur son bureau dans l’antichambre directoriale, la secrétaire du Dr Breed suspendait au plafonnier un lampion de Noël en forme de cloche, plissé en accordéon.

— Écoutez, Naomi, s’écria le Dr Breed, nous n’avons pas eu d’accident fatal depuis six mois ! N’allez pas tout gâcher en tombant à bas de votre bureau.

Miss Naomi Faust était une vieille dame enjouée et desséchée. J’imagine qu’elle avait servi le Dr Breed toute sa vie, à lui et à elle.

— Je suis indestructible, dit-elle en riant. Et même si je tombais, les anges de Noël me rattraperaient.

— Il arrive qu’ils ratent leur coup, dit le Dr Breed.

Deux guirlandes de papier, plissées en accordéon elles aussi, pendaient du battant de la cloche. Miss Faust en tira une, qui se déplia avec un bruit de colle pour former une longue banderole sur laquelle était inscrit un message.

— Tenez, dit Miss Faust en tendant l’extrémité libre au Dr Breed, tirez à fond et punaisez le bout au tableau d’affichage.

Le Dr Breed obéit, en prenant du recul pour déchiffrer le message.

— Paix sur Terre ! lut-il à voix haute, du fond du cœur.

Miss Faust descendit de son bureau avec l’autre guirlande, qu’elle déploya. Celle-ci disait : « Aux hommes de bonne volonté. »

— Ma parole, dit le Dr Breed avec un petit gloussement, mais même Noël est lyophilisé maintenant ! C’est très gai, très gai.

— Et j’ai aussi pensé aux chocolats pour les employés du service de frappe. Vous êtes fier de moi, j’espère !

Le Dr Breed se toucha le front, consterné de sa distraction.

— Mon Dieu ! Ça m’était complètement sorti de l’esprit !

— Nous ne devons jamais l’oublier, dit Miss Faust. C’est devenu une tradition – le Dr Breed et ses chocolats pour le service de frappe. (Elle m’expliqua ce qu’était le service de frappe, situé au sous-sol du laboratoire.) Les employées y sont à la disposition de quiconque a accès à un dictaphone.

D’un bout à l’autre de l’année, dit-elle, ces filles écoutaient les voix sans visages des savants qui leur faisaient porter des disques de dictaphone par des estafettes. Une fois par an, elles sortaient de leur blockhaus pour aller chanter un hymne de Noël et recevoir leurs bouchées au chocolat du Dr Breed.

— Elles servent la science, elles aussi, témoigna le Dr Breed, même si elles n’y comprennent pas un traître mot. Que Dieu les bénisse, toutes tant qu’elles sont !

Ce qu’il y a de plus précieux sur terre

Une fois dans le bureau personnel du Dr Breed j’essayai de mettre mes idées en ordre afin d’obtenir une interview qui tienne debout. Je découvris que ma santé mentale ne s’était pas améliorée. Et quand je commençai à poser au Dr Breed des questions sur le jour de la bombe, je m’aperçus que les centres de mon cerveau qui commandent les relations publiques avaient été intoxiqués par l’alcool et le poil de chat brûlé. Chaque question que je posais donnait à entendre que les créateurs de la bombe atomique avaient été les complices d’un meurtre crapuleux.

D’abord surpris, le Dr Breed se fâcha bientôt. Il prit ses distances et grommela :

— Je crois comprendre que vous n’aimez guère les scientifiques.

— Je ne dirai pas ça, monsieur.

— Le but de toutes vos questions semble être de me faire admettre que les scientifiques sont des gribouilles sans cœur ni conscience, indifférents au sort du reste de l’humanité, si tant est qu’ils fassent réellement partie de l’espèce humaine.

— Disons que c’est très exagéré.

— Pas plus exagéré que ce que vous allez mettre dans votre livre, apparemment. Je croyais que vous vous proposiez d’écrire une biographie honnête et objective de Felix Hoenikker – ce qui serait une des tâches les plus importantes que pourrait s’assigner un jeune auteur à notre époque. Mais non, vous arrivez ici avec des notions préconçues sur les savants fous. Où avez-vous déniché ces idées ? Dans les bandes dessinées ?

— Pour ne citer qu’une source, auprès du fils de Felix Hoenikker.

— Lequel ?

— Newton, dis-je (J’avais sur moi la lettre du petit Newt, et je la lui montrai.) Quelle taille a Newt, à propos ?

— Il n’est pas plus grand qu’un porte-parapluies, dit le Dr Breed, qui fronçait les sourcils en lisant la lettre de Newt.

— Les autres enfants sont normaux ?

— Mais oui ! Je suis désolé de vous décevoir, mais les scientifiques ont des enfants normaux comme tout le monde.

Je fis de mon mieux pour calmer le Dr Breed et le convaincre que je me proposais vraiment de brosser un portrait fidèle du Dr Hoenikker.

— Je n’avais pas d’autre motif en venant ici que de noter exactement ce que vous me diriez au sujet du Dr Hoenikker. La lettre de Newt n’est qu’un commencement, et j’en pèserai les termes en regard de ce que vous m’apprendrez.

— J’en ai par-dessus la tête des gens qui comprennent de travers ce qu’est un savant et ce qu’il fait.

— Je ferai de mon mieux pour dissiper ce malentendu.