Il avait fait un pas vers la jeune femme, il tendait la main, sa main gantée de noir, comme s’il eut voulu prendre Hélène par le bras.
La femme de Fandor précipitamment se recula.
— Venir ? fit-elle d’une voix rauque… Allons donc… Vous suivre ? Vous accompagner ? Jamais…
Et comme Fantômas ne bronchait point en l’écoutant, comme il gardait son impassibilité coutumière, Hélène se hâtait de reprendre :
— Fantômas, il est inutile de vouloir peser sur mes résolutions. Vous ne m’êtes rien… Grâce à Dieu, je suis délivrée de l’horrible cauchemar que j’ai connu lorsque je me croyais votre fille. Vous ne m’êtes rien, vous n’avez aucun droit sur moi, je vous hais…
Elle était frémissante, elle était superbe, Hélène, à l’instant où elle osait, elle, faible femme, défier ainsi le Maître de l’effroi, et lui crier sa haine, cette haine qui était sans doute si cruelle à la pensée de Fantômas.
Le Génie du crime, impassible, toujours cependant, et feignant de ne pas l’entendre, se contentait d’insister :
— Viens… disait-il. Viens, je le veux…
Il avançait toujours vers la jeune femme. Hélène, reculant devant lui, pas à pas, se trouvait maintenant adossée presque à la tenture garnissant la fenêtre du salon orange.
— Je ne vous suivrai pas, riposta Hélène, articulant ses paroles avec une lenteur décidée. Je ne vous suivrai jamais… Tuez-moi si vous le voulez, Fantômas ; cela seulement vous pouvez le tenter… et encore, si vous faites un mouvement, je vous avertis que je donne l’alarme et que je vous ferai prendre, enfin, comme un ignoble bandit que vous êtes…
Or, à cette apostrophe virulente, Fantômas ne répondait point. Simplement il haussait les épaules, pendant qu’un sourire passait sur ses lèvres.
La colère alors affolait Hélène. Cessant de reculer, elle marcha brusquement dans la direction du Génie du crime.
— Je suis la femme de Fandor, murmurait-elle. La femme de Fandor ne peut pas être une poltronne. Fantômas, je n’ai point peur de vous… Fantômas, je vous somme de fuir… On vient… Dans quelques secondes, il sera trop tard. Partez… Je ne vous livre pas, par respect pour les sentiments dont vous avez fait preuve pour moi… Vous m’avez aimée, vous m’aimez peut-être encore maintenant ; j’étais à vos yeux votre fille, une fille ne livre pas son père. Ah !… profitez de ma clémence, Fantômas, mais souvenez-vous que vous êtes à ma merci ! Allons, fuyez… partez…
Certes, à cet instant, Hélène, comme elle l’avait dit elle-même, se montrait digne de Fandor. Il fallait une âme intrépide à la jeune femme, il lui fallait un courage surprenant pour oser parler ainsi au Maître de l’épouvante, pour oser lui donner des ordres, à lui qui en donnait à tous.
Fantômas, toutefois, souriait toujours.
Sous le masque qui voilait ses traits, son impassibilité amusée avait quelque chose d’énigmatique et d’effroyable. On sentait que la colère d’Hélène, que les efforts de la jeune femme étaient vains, et que Fantômas, à son heure, à l’instant où cela lui semblerait bon, disposerait d’elle, en dépit d’elle-même.
Fantômas jouait avec Hélène comme un chat joue avec la souris qu’il fascine. Il était le tigre qui fixe sa proie ; immobile encore, on le devinait prêt à bondir, prêt à satisfaire sa férocité.
Hélène, cependant, s’énervait de plus en plus. Véhémente, elle osa s’avancer jusqu’à frôler presque Fantômas. La voix sifflante, le regard affolé, elle répéta :
— Fantômas, on vient… Fantômas, il faut fuir…
La jeune femme tendait les bras, désignant la porte au bandit. Des pas se rapprochaient en effet, Fantômas seulement alors parut sortir de son impassibilité.
Sa main se leva. Son gant noir, tranquillement, fut arraché, tomba sur le tapis. En un instant, il dépouillait la cagoule qu’il portait sur son visage, et qu’il jetait à terre au hasard…
— Il faut fuir, Hélène ? demandait-il sur un ton de raillerie…
— Il faut fuir, répéta la jeune femme, se contraignant à parler sur un ton de suprême énergie.
Mais elle n’achevait même pas sa phrase. Fantômas, brusquement, venait d’éclater de rire.
— Enfant… dit-il.
Et avant qu’Hélène ait fait un mouvement, elle sentait son poignet à demi brisé, sous l’étreinte de Fantômas qui l’attirait violemment.
— Hélène, disait avec précaution le Génie du crime… Hélène, vous devriez savoir que je ne suis point de ceux qui fuient… moins encore de ceux qui peuvent avoir peur, et que personne jamais, en aucun temps, en aucun lieu, en aucun cas, n’a pu faire obstacle à ma volonté ! Il faut m’obéir, il faut venir, tu viendras !
Le bouton de la porte grinça.
Fantômas et Hélène étaient encore au milieu du salon orange. Dans une seconde Fandor allait entrer. C’était lui qui, rassuré sur le sort de la reine, ayant fait son devoir jusqu’au bout, revenait vers sa femme.
Fandor entra… et c’était alors qu’il poussait un cri terrible : le salon orange était vide !
Fantômas et Hélène venaient de disparaître !
Où donc était le Maître de l’effroi ?
Comment donc avait-il ravi la jeune femme ?
Pourquoi celle-ci, sans mot dire, s’était-elle subitement résignée à accompagner le monstre ?
Fantômas, une fois de plus, venait de trouver, dans sa froide férocité, une terrible force morale pour contraindre Hélène à faire son bon plaisir.
Comme la porte s’ouvrait déjà, Fantômas avait brusquement repoussé la jeune femme dans l’embrasure de la fenêtre. Hélène était cachée par la tenture. Lui-même, dans les plis du grand rideau de velours, se dissimulait aisément…
Et Fantômas avait tiré un revolver. Ce revolver il le braquait sur la personne qui entrait, sur Fandor ; disait en même temps :
— Un mot, Hélène, et je fais feu… Un mot, et Fandor est mort…
Alors, Hélène se taisait.
Dans le salon orange, cependant, où Juve s’était précipité derrière Fandor, une scène tragique se poursuivait.
Les deux hommes, petit à petit, retrouvaient un peu de leur habituel sang-froid. Juve et Fandor s’arrachaient à l’anéantissement qui s’était emparé d’eux lorsqu’ils avaient dû s’apercevoir de la disparition d’Hélène.
Juve, debout, secouait Fandor par les épaules.
— Nous n’avons pas le droit de nous désespérer, murmurait le policier, il faut agir… Hélène ne peut pas être loin, il faut la chercher, il faut la retrouver… il faut la sauver.
Et Fandor, lui aussi, se levait. Il passait d’un geste égaré sa main tremblante sur son front moite. Il titubait de douleur, de vertige. Pourtant, il se reprenait déjà.
— Vous avez raison, Juve. Sangloter, c’est lâche. Se désespérer, c’est indigne. Il faut lutter.
Et d’une voix changée, d’une voix basse, d’une voix qui détonnait sinistrement, Fandor reprenait :
— Ah, parbleu, oui, il faut lutter… Fantômas, Fantômas… tu ne sais point ce que nous pouvons oser Juve et moi, quand il s’agit d’Hélène. Pardieu… ta vie, ton sang, nous paiera ces minutes, je le jure.
Juve déjà cependant, enquêtait. Devant la reine affolée, le policier examinait la pièce.
— La fenêtre est fermée, remarquait-il. Fantômas et Hélène ne sont point partis par là… Ils sont certainement sortis par l’intérieur du palais. Peut-être sont-ils encore à l’intérieur des bâtiments même. Hardi ! Fandor, cherchons !
Et Juve, se tournant vers la reine, ajoutait :
— Que Votre Majesté oublie notre angoisse ! Votre Majesté se doit à son peuple. Qu’elle daigne regagner ses appartements ; Fandor et moi nous lui demandons de ne point s’exposer inutilement. La reine de Hollande n’a pas à savoir qu’il y a guerre et guerre à mort entre nous et le Génie du crime.
Wilhemine, cependant, refusait tout d’abord de s’éloigner. La reine ne pouvait pas se résoudre à abandonner ainsi celle qui ne l’avait pas abandonnée et qui au péril de sa vie, lui avait gardé son trône.
Malgré tout, cependant, Juve finissait par la convaincre.
Le policier trouvait des phrases persuasives.
À coup sûr, Fantômas était vaincu. À coup sûr, l’émeute hollandaise était matée. Toutefois, il convenait de ne pas prêter le flanc à ces terribles attaques. Cela ne serait en rien utile à Hélène, et cela simplement compliquerait la situation.